Le choix du critique … Prières et poèmes, Le Chœur des Anciens Étudiants de l’ACJC & Valarie Wilson, Chef de chœur (Singapour)
Par Tobin Sparfeld, critique musical, chef de chœur et enseignant
Anglo-Chinese Junior Choir– le Chœur Junior Sino-anglais a produit depuis sa création en 1977 un remarquable ensemble de belle musique chorale. On se doute donc qu’un Chœur d’Anciens, constitué d’anciens étudiants ayant persévéré dans le chant, est également impressionnant. Cette intuition se confirme à l’écoute de leur dernier enregistrement, Prières et poèmes.
Le Collège universitaire sino-anglais est un établissement méthodiste d’études en deux ans, fondé à Singapour en 1977. Il compte un peu moins de 2000 étudiants, et son chœur universitaire a joué un rôle important d’ambassadeur, gagnant des concours internationaux en Suède, Finlande, Hollande, Tchéquie et Slovaquie. Le chœur des anciens étudiants se compose de 37 chanteurs qui continuent à produire de la musique chorale ambitieuse au-delà de leurs années d’étudiants. Valarie Wilson, ancienne étudiante de l’Anglo-Chinese Junior College et du King’s College de Londres, dirige l’ensemble.
Outre ses concerts annuels, concours et tournées, le Chœur des Anciens s’attache à commander et créer des œuvres originales écrites par des compositeurs de Singapour ou étrangers. Le nouvel album comporte des œuvres de deux contemporains, Eran Dinur et Kelly Tang. Dinur est un Israélien vivant à New York, dont les compositions utilisent des effets visuels. Il a composé de la musique pour divers ensembles instrumentaux et vocaux, dont des œuvres destinées au théâtre. Kelly Tang, lui, est de Singapour ; ses œuvres orchestrales sont régulièrement données par l’orchestre symphonique de Singapour. Plus connu pour ses œuvres pour fanfare et instruments, il a également composé pour plusieurs chœurs de Singapour. Toutes les œuvres de l’album ont été composées au cours des dix dernières années.
L’album commence par deux piyutim d’Eran Dinur, poèmes liturgiques psalmodiés ou récités lors de cérémonies religieuses. Adon Haselighot (Dieu miséricordieux) est une œuvre fascinante, explorant l’aspiration au pardon. Elle comporte un refrain en accords disjoints, accompagné d’une mélodie en rythmes pointés dans le mode mineur, qui s’intensifie jusqu’à atteindre un puissant apogée. De brèves exclamations ponctuent cet entraînant début. Adon Olam contraste par son ambiance placide faite d’harmonies ambiguës, mais pas nécessairement dissonantes, qui fait penser aux ambiances chorales de Barber.
Puis vient Tres cuidades (Trois villes). C’est une suite fondée sur des poèmes de Federico Garcia Lorca. Le premier, Malagueña, débute avec les basses chantant des mélopées inquiétantes en demi-tons dans le grave. Y répond une mélodie intense chantée par les ténors. Les altos, puis les sopranes imitent cette mélodie doucement ascendante. Après une ornementation véloce, la tension s’apaise pour la fin.
Barrio de Córdoba (Quartier de Cordoue), qui suit, offre un contraste doux et sombre. Les thèmes homophoniques sont entrecoupés de glissandos descendants vers de nouveaux accords inattendus. La dernière pièce, Baile (Danse), offre une mélodie criarde avec les effets de percussion d’une guitare de flamenco. Alors que l’intonation et les solistes sont impressionnants, ces trois pièces manquent de sens dramatique.
Le choix le plus irrésistible de Kelly Tang est Tread softly (Marchez en douceur), arrangement de ” He Wishes for the Cloths of Heaven” (Il espère les vêtements du paradis) de William Butler Yeats. Il fait entendre de riches effets harmoniques, magnifiquement chantés par le Chœur des Anciens, en particulier les solos des sopranes.
Vient ensuite Nei’la, prière récitée pendant le Yom Kippur. L’œuvre débute par un intense solo vocal inspiré de mélodies moyen-orientales. Les voix masculines y répondent et l’amplifient, jusqu’à atteindre une intense cacophonie de mélopées descendantes et des glissandos sur une octave. Après leur retrait, les voix altos entrent, d’abord calmement, puis implorent le pardon en des mélopées bruyantes ressemblant à des ruches en colère. Ce moment se dénoue en déclarations lentes, réitérées et inquiètes à propos d’un prochain jugement.
Les deux derniers chants sont de Kelly Tang. The Snow Man (Le bonhomme de neige) met en musique un poème du poète étatsunien Wallace Stevens. Le texte existentialiste est illustré par des harmonies chaudes au début, qui se dispersent lentement en dissonances étouffées puis s’éteignent. Suit une adaptation du Notre Père en anglais. Il s’agit d’une commande du chœur de l’ACJC pour commémorer le 25e anniversaire de son excellence chorale. Le chant est de bonne tenue, mais la fin du morceau est abrupte et comporte peu de moments d’émotion ou d’événements musicaux marquants.
Les prestations du Chœur des Anciens de l’ACJC sont un régal bienvenu pour les férus de chant choral : leur façon de chanter est fantastique. Chanter toutes ces œuvres a cappella est un défi, et leur intonation ne trébuche que très rarement. Les voix sont libres et vibrantes : le ton est donc soutenu et résonant. Il faut féliciter Valarie Wilson de son travail, sa construction d’une sonorité aussi agréable. Il est difficile de trouver des suggestions pour l’améliorer : dans Malagueña, par exemple, les basses pourraient se placer dans un registre plus brillant, et à plusieurs endroits les ténors pourraient chercher une meilleure unité sonore. Dans certaines œuvres, la diction est parfois difficile à comprendre. Mais ce sont là des vétilles dans un enregistrement d’une telle qualité.
Cela dit, alors que le son du chœur est constamment excellent, la valeur des compositions est variable. Des œuvres comme Malagueña, Nei’la, Adon Haselichot et Tread softly sont uniques et retiennent l’attention, tandis que d’autres morceaux aux harmonies typiques de notre époque ponctuées de dissonances acerbes ne laissent guère de traces.
Alors que le Chœur de l’université ACJC a établi sa réputation tant à Singapour qu’internationalement, celui des Anciens Étudiants cherche à faire sa place au sommet. Prières et poèmes est un album que les amateurs de musique chorale devraient mettre au nombre des œuvres bien connues. C’est un modèle de joli son choral, de talent artistique et d’attachement à la promotion d’œuvres chorales contemporaines. On espère que ce sera le début de beaucoup de superbes enregistrements de ces excellents chanteurs.
Comme ancien membre du Chœur d’Enfants de Saint Louis, Tobin Sparfeld a sillonné le monde, de l’extrême ouest (Vancouver, en Colombie Britannique) jusqu’à l’extrême est (Moscou, en Russie. Tobin a aussi chanté avec Seraphic Fire et la Chorale du Désert de Santa Fe. Il a travaillé avec des chœurs de tout âge, fut Directeur Adjoint du Chœur d’Enfants de Miami et de même pour le Chœur d’Enfants de Saint Louis. Il enseigna également à l’université Principia et fut Directeur des activités chorales à l’Université Millersville de Pennsylvanie. Il reçut son diplôme de direction à l’université de Miami à Coral Gables, où il étudia avec Jo-Michel Scheibe et Joshua Habermann. Il reçut aussi un diplôme d’enseignement artistique de l’Institut CME dirigé par Doreen Rao. Il dirige en ce moment deux chœurs, et le programme vocal du Collège de la Communauté de Glendale, en Californie. Courriel: tobin.sparfeld@gmail.com
Traduit de l’anglais par Claude Julien (France)