Les Fondamentaux pour une Intonation Juste Lors d’une Répétition d’une Chorale dans les Collèges et Lycées
Par Brad Pierson
Le terme « intonation juste » est une notion souvent ambigüe et source de confusion, qui peut paraître plus un concept qu’un moyen à utiliser en pratique pour la plupart des chefs de chœurs de l’enseignement secondaire.
Pourtant, dans son sens le plus profond, l’intonation juste est un système d’accord naturel des voix, permettant une meilleure efficacité lors de la répétition d’un chœur, car elle exploite la capacité auditive à reconnaître les harmoniques naturelles dans les séquences d’accords. Conjuguée à des connaissances de base et complétée par quelques règles fondamentales, l’intonation juste peut permettre de jouer de la musique d’une manière excellente et efficace.
Les Harmoniques
Les harmoniques ont été étudiées par des musiciens et des mathématiciens depuis l’Antiquité Grecque. Cependant, depuis l’apparition de la gamme tempérée et l’utilisation du piano au cours des répétitions chorales, on ne s’en sert plus autant. Les harmoniques font souvent l’objet de discussions, mais d’habitude – selon mon expérience – en se référant à leur perception comme un phénomène, plutôt que comme un objectif ou un outil.
Ces harmoniques, aussi appelés « partiels » des fondamentaux, sont produits lors de la stimulation d’un système de résonance (comme la voix humaine). Plus spécifiquement, quand un chanteur chante avec un son fort, juste et plein, les harmoniques se forment au-dessus du son fondamental.
Tandis que les harmoniques sont perceptibles bien au-delà du 5ème partial, l’utilisation d’une grille d’harmoniques avec une limite basse mettra en exergue la série d’harmoniques et facilitera leur bonne exploitation (pour plus d’informations sur ce système voir « The Harmonic Experience » – L’expérience harmonique – de W.A. Mathieu). La grille des cinq premiers rangs d’harmoniques représente les sons qui entourent le centre tonal, organisés selon leurs relations de tierces et de quintes (autrement dit, par intervalles de quintes justes et de tierces majeures respectivement). Cette grille est représentée ci-dessous.
Figure 1. Diagramme de base d’un réseau à cinq niveaux d’harmoniques, pour le centre tonal do.
L’Échauffement Vocal
Le processus « d’échauffement » est très important à chaque répétition, mais pas seulement pour préparer correctement l’organe vocal. Ces vocalises devraient être l’opportunité pour les chœurs d’exercer leur capacité d’« Audiation » et de construire une ambiance riche pour la compréhension harmonique. (« Audiation » est un terme défini par Edwin Gordon comme la base de toute musicalité, l’évènement selon lequel nous entendons et comprenons la musique dont le son ne retentit plus – ou dont nous n’avons jamais entendu le son). Sachant qu’un piano accordé selon la gamme tempérée sonne légèrement faux à l’oreille humaine, un chef de chœur peut modifier son approche de l’échauffement afin d’améliorer les harmoniques. Au lieu de jouer la tierce de l’accord (laquelle est légèrement plus haute une fois jouée sur le piano) le chef de chœur peut jouer les deuxième et/ou quatrième degrés de la gamme. Ces notes possèdent en effet une harmonique commune au troisième degré par rapport au centre tonal, c’est-à-dire – comme vous pouvez le constater sur le Figure 1 – que lorsqu’elles sont approchés dans l’ordre de l’harmonie, elles sont toutes liées par une quinte parfaite. Puisque les 3èmes partiels sont les harmonies les plus basses que l’oreille puisse percevoir, hormis l’octave, ces harmoniques sont les plus faciles à entendre.
Utiliser les « Modes »
Tandis que la plupart des chœurs de jeunes utilisent les gammes (ou au moins des modèles apparentées) au cours de leur échauffement, l’utilisation des modes ecclésiastiques est beaucoup moins fréquente. L’enseignement de ces modes et leur application lors des répétitions peut aider la chorale à améliorer ses connaissances en matière d’harmonie et d’intonation. L’apprentissage des modes dans l’ordre des modes claires vers les modes sombres (Lydien, Ionien, Myxolydien, Dorien, Eolien, Phrygien) permettra d’englober toutes les notes de la gamme chromatique, et donnera l’opportunité d’exprimer toutes les couleurs de sons présentes dans les différentes structures harmoniques. Combiné avec les signes de la main de Curwen, une méthode adaptée aux élèves kinesthésiques, l’utilisation des modes va offrir une riche palette d’harmoniques dans laquelle vos chanteurs pourront puiser.
Chanter à l’Aide d’un Bourdon
La plupart des chefs de chœur proposeraient de sortir le piano de la salle de répétition quand il s’agit de chanter de la musique a capella. Prenant en considération que le piano n’est pas accordé juste, y jouer des parties conduirait à un ajustement qui ne serait pas totalement aligné aux séries d’harmoniques. Cependant, comme l’intervalle de quinte du piano est assez proche de l’intonation juste, il est possible d’utiliser un bourdon afin d’améliorer l’intonation musicale du chant a capella. Cela demande de la part du chef de chœur une étude attentive de la partition afin de bien déterminer le centre tonal d’un chant, d’un système ou d’une phrase musicale. Cependant, une fois ce centre tonal fixé, le chœur peut recourir au bourdon pour ajuster les accords sur ce centre tonal, plutôt que de les ajuster simplement sur les autres notes de l’accord. Par exemple, si une phrase est centrée autour du Do, cela ne signifie pas pour autant que tous les accords de cette phrase contiendront un Do. Un accord de mi mineur serait un accord commun dans une tonalité en Do. Si vous jouez un intervalle de quinte ouverte (Do-Sol) en même temps que la chorale chante un accord de mi mineur, la chorale pourra s’ajuster sur le centre tonal plutôt que simplement sur les notes de l’accord en question. Cela permet plus de justesse dans la tonalité. Quand cela est appliqué en répétition, les chœurs peuvent « audiater » le bourdon pendant la répétition ou pendant une représentation, même si le bourdon a été enlevé.
De la même manière que l’utilisation du bourdon pendant les échauffements vocaux, nous pouvons également l’utiliser pour une pièce a capella (ou au moins dans toute section de l’œuvre basée sur un centre tonal cohérent). La capacité à se référer à cet accord peut renforcer la capacité de la chorale à chanter juste. En outre, on trouve le même concept dans la musique chorale accompagnée, si la musique est sélectionnée avec précaution. Si vous cherchez de la musique accompagnée qui peut vous permettre de stabiliser plus facilement l’intonation, il faut prendre en considération les éléments suivants : (A) éviter les accompagnements qui doublent les lignes vocales et (B) se rappeler que des accompagnements qui utilisent les pédales ou des traits voisins du bourdon vont agir plus ou moins de la même manière que le fait un bourdon pour la musique a capella.
Empiler les Accords
Dans une chorale de jeunes, on ne peut supposer que tous vos jeunes chanteurs comprendront la théorie des harmoniques quand ils rejoindront votre première répétition. Il se peut qu’ils ne connaissent même pas suffisamment la théorie musicale pour comprendre la structure des accords ou arpèges. Bien sûr, cela ne vous empêche pas d’utiliser cette connaissance à votre avantage. Tout simplement parce que la construction de vos accords selon un ordre harmonique vous permettra d’exploiter l’efficacité naturelle des harmoniques..
D’après les grilles d’harmoniques et les sons d’un accord différent, les accords sont établis du son le plus éloigné du coin en bas et à gauche de la grille. La raison en est que tous les sons situés à droite ou au-dessus de ce son seront des harmoniques appartenant aux séries d’harmoniques naturelles inhérentes à ce son (tandis que les notes situées à gauche, ou en-dessous seront considérées comme sous-tonales de nature). De telle manière, en admettant que le chœur puisse produire un son juste, les harmoniques seront naturellement présentes dans l’interprétation des intervalles données. Supposons que le chœur chante l’accord suivant:
Plutôt que construire cet accord dans l’ordre des notes de la partition (de la partie de basse à celle de soprane) l’accord devrait être chanté par la chorale dans un ordre harmonique, c’est-à-dire Fa-Do-Sol-Ré-Mi. Quand plusieurs pupitres chantent la même note, la première note chantée devrait toujours être dans l’octave la plus basse possible. L’idée est que quand le Fa est chanté, le Do doit être présent dans l’air et audible pour l’oreille en tant que 3ème partiel harmonique. En écoutant cet intervalle, la chorale peut trouver un son à chanter qui sera beaucoup plus juste que la note telle qu’elle aurait été jouée sur le piano. Lorsque tous les pupitres entrent, il est important pour les chanteurs d’écouter la partie que vient d’être chantée juste avant et de s’ajuster sur leur son (ainsi quand la partie de ténor 1 se prépare à chanter un Ré, ils vont chanter une quinte au dessus du Sol plutôt qu’un ton au dessus du Do). Je voudrais clarifier rapidement que cette pratique vise le procédé d’ajustement des accords, et ne signifie aucun changement dans l’accord même ou dans la manière de le chanter lors d’un concert. Cet entrainement permet simplement à la chorale d’entendre l’accord dans un contexte différent, lequel renforce le réglage naturel des harmoniques.
L’Effet Général
Bien que plusieurs de ces suggestions soient une large sur-simplification des harmoniques et de l’intonation juste, chacune d’elles constitue un moyen pour vous permettre d’améliorer l’intonation générale de votre ensemble. Cela apportera à vos chanteurs une nouvelle approche pour écouter et entendre, et peut conduire à d’excellentes interprétations musicales. Etant donné que l’intonation juste utilise les sonorités naturellement présentes dans la musique, elle va conduire à une meilleure sonorité et une meilleure production vocale. Mon expérience m’a révélé que les jeunes chanteurs sont vite fascinés par ces exercices. Quand ils entendent un accord selon un aspect différent, ils commencent à décrire la musique avec un vocabulaire entièrement nouveau. Mes étudiants ont une palette de couleur totalement nouvelle, qu’ils utilisent pour décrire la musique qu’ils pratiquent. Sans devoir expliquer la science des harmonies, les étudiants commencent à voir les résultats de l’attention qu’ils portent à ses détails de l’harmonie. Et plus important encore, ces moyens contribuent à améliorer la production vocale et à optimiser le temps de répétitions, et je suis certain que nous apprécions tous les outils qui permettent d’aplanir les difficultés.
Note de l’auteur : Un grand merci à mes professeurs et collègues participant au programme Three Summer Choral Master’s (programme pour chefs de chœur) à CSULA, sans lesquels il n’aurait pas été possible d’écrire cet article.
Brad Pierson est Chef de chœur au Lycée Desert Oasis à Las Vegas, au Nevada. Actuellement c’est sa sixième année à l’école Clark County School District, ses chœurs ont obtenu d’excellents classementa au Nevada, en Californie et en Arizona. En 2005, Brad a fondé le Las Vegas A Cappella Summit (Sommer de Las Vegas sur l’A Cappella) un événement introduisant la musique à cappella contemporaine dans les établissements scolaires. Diplômé de l’Université du Nevada, Las Vegas, Pierson termine actuellement un Master en Direction de chœur dans le cadre du « Master d’études de trois étés de la direction chorale »de l’Université d’Etat de Californie à Los Angeles. Brad a été invité deux fois à faire une présentation à la Convention interétatique de l’Association des enseignants de la musique due Nevada, et en 2010 il était intervenant à la Convention occidentale de l’ACDA à Tucson, Arizona. E-mail : the_briz@hotmail.com
Traduit de l’anglais par Maria Bartha (France)
Révisé par Mélanie Clériot (France)