LES MOORAMBILLA VOICES: PLUS QU’UN SIMPLE CHŒUR?
Par Michelle Leonard – directrice artistique, fondatrice et chef des Moorambilla Voices
Les Moorambilla voices sont un programme choral unique, très apprécié et nationalement reconnu. C’est un organisme culturel de la partie rurale et éloignée de l’NSW Australie occidentale. Au fil des 11 dernières années, elles ont procuré aux enfants une extraordinaire occasion de pratiquer une musique de haut niveau, de danser et de pratiquer les arts près de chez eux. En fouillant dans l’histoire, le vécu et l’héritage culturel régional, les Morambilla Voices ont mis en lumière le potentiel des populations et leur ont fourni un moyen de l’exprimer.
Comme nous le savons tous, les chœurs sont des catalyseurs extrêmement favorables au progrès social. Les trois chœurs des Moorambilla Voices, le chœur régional de fillettes, celui de garçons et l’ensemble d’école secondaire MAXed OUT apportent leur contribution unique à chaque concert, répétition ou enregistrement que nous faisons.
Mais est-ce plus que simplement un chœur? Et quels sont les éléments précis qui rendent cet ensemble tellement hors du commun ?
L’énergie des paysages australiens de notre région se ressent: elle est a priori constitutive de chaque aspect de notre démarche. Le grand ciel d’un bleu intense, les gommiers, les rivières qui allaient à l’ancienne mer, la terre rouge, les rochers et la poussière noire, et bien sûr la chaleur ! L’humour et la souplesse des gens dans cette portion de l’Australie font que les distances et l’isolement apparaissent comme de petites barrières. C’est une région où il n’y a que trois professeurs de musique formés (alors que géographiquement, elle représente plus d’un tiers de l’NSW). Ici le sport est roi, les garçons NE pratiquent PAS à un niveau “élevé” le chant ou la danse, et dans aucune des 63 écoles primaires ou secondaires il n’y a de chorale. Les Moorambilla Voices sont le seul programme choral ou artistique à avoir survécu au-delà de trois ans dans cette région. Après 11 ans, il se développe. Pourquoi ?
Peut-être est-ce parce que les Moorambilla Voices ne sont pas “rien qu’une chorale”. C’est maintenant un programme qui a fait ses preuves, pour écoliers de 8 à 18 ans, entièrement consacré à la recherche de l’excellence artistique. Il ménage pour chacun (sans distinction d’identité, de race ou de situation financière) des espaces sûrs pour développer son potentiel artistique dans le domaine du chœur, de la danse, des arts du spectacle, de la sculpture, de la langue et de la culture indigènes. C’est un programme artistique global orienté de manière holiste[1] vers les enfants, qui les aide et les arme pour faire face à leur présent. Cela les connecte concrètement à leurs pairs et les initie à la joie du chant choral, qui dure toute la vie.
L’effet de halo de ce programme est communicatif vis-à-vis des parents comme superviseurs bénévoles et des artistes régionaux, tant établis qu’émergents, et de nos incroyables partenaires artistiques professionnels. Il s’étend aussi à nos responsables culturels, aux familles de ces enfants, et même à toute l’équipe logistique! Tous ces gens ont certes constaté l’importance des chœurs; mais plus incroyable: ils défendent auprès de responsables du gouvernement ou dans les sphères éducatives que ce programme est vital pour le tissu social et culturel de notre pays. Ils sont désormais fièrement impliqués dans des programmes de concert entièrement consacrés à des œuvres contemporaines australiennes par des compositeurs confirmés ou émergents. Dans l’Australie rurale, ce n’est rien de moins qu’un miracle!
Cette promotion culturelle signifie beaucoup pour des gens qui ont grand besoin de prendre conscience que leur propre valeur : leur place et leur visibilité mondiale doivent être promues. Moorambilla est une manière intégrée et holiste de réaliser cela, et permet aux gens d’échanger et de communiquer d’un peuple à l’autre.
En suscitant la quête de l’excellence comme ambition de toute une vie, nous enseignons aussi la souplesse, l’autonomie et le pouvoir de la collaboration artistique et du travail d’équipe. Tout cela dans un respect constant envers les arts, les artistes et le pouvoir des chœurs d’être leur propre “bien-être” de façon très durable.
Souvent on m’a demandé si cet enchevêtrement des formes d’art ne diminuait pas, n’anéantissait pas l’aspect choral du programme Moorambilla Voices. Et par conséquent si (en étant “plus que simplement un chœur”) Moorambilla Voices reste vraiment un chœur. Ce sont de bonnes questions, intéressantes: je ne vois que des aspects résolument positifs dans la richesse qu’apporte à nos chœurs ce style de collaboration.
Mon expérience est qu’avec une direction artistique claire et des partenaires artistiques exceptionnels, la confiance entre artistes facilite une synergie supérieure à la somme des parties séparées.
Quand cette synergie se produit dans nos camps résidentiels, elle est palpable. Le foyer, l’énergie et l’attention à écouter permet des réactions artistiques claires de tous les partenaires. Dans ce contexte incroyablement porteur, nous devenons chaque année un groupe différent, artistiquement flexible, constamment impliqué et capable de la réalisation commune d’œuvres d’une complexité incroyable. Grâce à cela, la composante chorale du programme décolle, et nous honorons le riche patrimoine culturel de nos régions d’une façon puissante et électrique.
Les Moorambilla Voices montrent que mettre auprès d’enfants et de jeunes des artistes professionnels de haut niveau est à la fois intéressant artistiquement et profitable à tous. C’est un des plus grands intérêts de ce programme, et cela confirme que le concept est non seulement possible, mais aussi nécessaire pour nous tous et nos constants progrès artistiques.
On m’a aussi demandé: “Qu’est-ce que la danse et le Taiko[2] (2) apportent à vos chœurs ?”. En bref, plus de mouvement signifie une meilleure sonorité chorale, une meilleure implication physique au sein du chœur, et une plus grande présence sur scène pour beaucoup. Une capacité rythmique accrue, un plus profond respect envers les autres ensembles et une compréhension de l’écoute et de l’observation intenses requises pour améliorer un ensemble sont d’autres résultats. Ces qualités sont immédiatement applicables au contexte choral.
Le fait d’avoir eu pour encadrer nos chanteurs un ensemble vocal aussi exceptionnel que The Song Company a signifié que non seulement ils ont eu des modèles vocaux clairs, mais aussi un soutien émotionnel et musical (et nos compositeurs, dans leur écriture, apprécient cela et s’y adaptent). Disposer de chanteurs de cette envergure a apporté quelque chose aux participants, et a représenté pour plusieurs un changement vital (en particulier dans MAXed OUT).
Pour nos enfants de primaire (ayant chaque jour du temps consacré à une activité basée sur un art visuel, ce qui leur permet d’appréhender l’énorme quantité de matériel musical nouveau qu’ils reçoivent), ce fut un ajout incroyablement profitable à leur emploi du temps journalier. Ces jeunes chanteurs ont réalisé des sculptures et autres œuvres d’art, puis ont rassemblé ce processus et cette structure lors des répétitions chorales (une autre façon de combiner processus artistique et apprentissage).
Après 11 ans, les chœurs des Moorambilla Voices trouvent maintenant tout à fait normal d’engager “en direct” des compositeurs, chorégraphes ou artistes visuels à créer des œuvres nouvelles en rapport avec l’histoire de leur région. Ils voient la musique, et les chœurs en particulier, comme un organisme vivant qui respire, et a une signification par rapport à leur vie. Le concept de chœurs simplement debout et débitant une prestation préparée d’avance par des compositeurs qu’ils n’ont jamais rencontrés leur est complètement étrangère.
En lisant ceci, beaucoup d’entre vous reconnaîtront qu’il s’agit d’un scénario artistique rare et privilégié. Mais c’est celui dont je sens vivement qu’ils sont dignes, quand tous les autres autour d’eux ont tellement peu d’espoir que cette occasion soit appréciée de tous.
C’est clair: ce modèle collaboratif ne s’est pas réalisé sans ses défis. Pour conserver son niveau et sa portée, le processus difficile de l’expérimentation en atelier, universelle sans sélection, les frais artistiques et administratifs occasionnés pour engager des partenaires exceptionnels et la rigueur du programme ont rendu très exigeantes certaines des premières années.
Mais si les Moorambilla Voices devaient pointer sept facteurs-clefs de leur succès, à mon avis ceux-ci pourraient grosso modo se résumer comme suit:
- Le paysage – Il n’y a rien, à part l’immensité de la brousse australienne. L’énergie artistique émanant de cette partie du pays est unique, et incroyablement forte. Le paysage influence l’énergie des enfants, leur physicalité[3], la robustesse de leur sonorité et leur approche de l’apprentissage.
- Les gens – Les “petites mains” de notre structure organisationnelle, ce sont des femmes de la région. Nos deux “Moorambilla mums”, notre directeur général, nos modèles culturels et nos chanteurs, tous sons issus de ce paysage. Leur aptitude à gérer l’adversité avec humour et en usant de stratagèmes est vitale pour trouver des solutions logistiques de transport, de levée de fonds, de durabilité. La boussole culturelle et émotionnelle des Moorambilla Voices, ce sont nos gens. Ils vivent en tout nos trois piliers: excellence, équité et opportunité pour tous.
- L’envergure des partenaires artistiques – Associer des enfants et des jeunes à des artistes professionnels exceptionnels, c’est inhabituel – mais notre démarche et notre paysage le sont certainement eux aussi. Plutôt que de compromettre leur savoir-faire dans un cadre pédagogique, nous créons la notion d’excellence naturelle. Nos fructueux partenariats en cours avec des organismes artistiques de premier plan a suscité une nouvelle vigueur dans la scène chorale plus large, et permis à d’autres d’expérimenter ce modèle formel d’art croisé.
- L’immersion annuelle artistique culturelle – C’est pour tout notre staff artistique une expérience incroyable. Chaque année pendant 5 jours, nous abandonnons nos téléphones et nous immergeons “à la campagne” dans les riches légendes, traditions et visions du monde de l’Australie indigène. Les points de vue sont généreusement échangés de plusieurs aspects, et au clair de lune après des journées intenses, nous avons une vision partagée et un tas d’expériences qui nourriront notre collaboration.
- Le parcours de développement des talents – égalité d’accès — Depuis des débuts incroyablement humbles, notre parcours de développement des talents a maintenant atteint plus de 15.000 enfants de notre rayon d’action, avec l’occasion de participer à des ateliers gratuits dans leur propre école (ôtant toutes barrières pour expérimenter la joie de chanter,… sauf inondations ou feu!). Chaque année je vois 2.500 enfants pour en choisir 300 qui participeront au programme lors du prochain stage (les camps résidentiels). Une séance d’une heure est consacrée à la littérature musicale, au chant polyphonique et au placement d’une bonne et claire voix de tête par les enfants. Dans les écoles secondaires, nous travaillons l’acceptation de la mue comme une partie normale de la vie, tout en se concentrant sur le travail d’équipe et la littérature rythmique. Les parents, les éducateurs et les membres de la communauté sont bien placés pour observer les aptitudes requises pour lire, créer et interpréter de la musique.
- Les camps résidentiels à Baradine – C’est ici que commence le vrai travail. Dans cette communauté sûre et douillette, tous les participants séjournent pour des camps de 4 jours dans la détente du mois d’août. Ils créent non seulement des représentations exceptionnelles, mais aussi des amitiés pour la vie avec leurs condisciples. En septembre ils se retrouvent de nouveau et se concentrent pour ” monter” le concert final avec les ensembles professionnels.
- La vision artistique – Je suis persuadé que les communautés régionales et décentrées sont capables de grandeur. Nous avons créé cela en promouvant une culture de collaboration, de générosité et un esprit vraiment ouvert à ce qu’un chœur peut être (artistiquement et culturellement). En faisant cela, les Moorambilla Voices ont suscité des conversations positives autour de l’identité, de la normalité culturelle, et de notre besoin émotionnel de nous relier à l’héritage de la connaissance, aux histoires et à la sagesse de notre peuple natal. Elles ont normalisé le chant dans une région qui avait oublié que c’était possible. Elles ont donné aux gens l’occasion de danser, de battre tambour, de peindre, de sculpter et de rire. Pourvu que ça dure longtemps!
Pour de plus amples informations sur le programme des Moorambilla Voices:
- Website www.moorambilla.com
- FB www.facebook.com/moorambilla.voices
- Twitter https://twitter.com/moorambilla
- Insta https://www.instagram.com/moorambilla/
- Youtube https://www.youtube.com/user/moorambilla1
Michelle Leonard est directrice artistique, fondatrice et chef des Moorambilla Voices et du Moorambilla Festival. Wide Open Sky (lauréat de l’Award Sydney Film Festival Audience) et Outback Choir (ABC Australie) sont des documentaires sur le programme Moorambilla Voices qui ont bénéficié d’un grand succès. Sous sa direction, les Moorambilla voices ont récemment remporté le national Art music award (APRA AMCOS) de “National excellence in a regional area” aux Awards 2016, après avoir remporté les State awards en 2012 et 2015. Michelle est aussi directrice artistique fondatrice et chef du Leichhardt Espresso Chorus et de ses chœurs de chambre Ristretto et Espresso Kids depuis 1998. Sous sa direction ils ont chanté beaucoup d’” œuvres majeures” du répertoire traditionnel choral avec orchestre, et commandé plus de 100 nouvelles œuvres australiennes, tant chorales qu’orchestrales. Courriel: michelle@moorambilla.com
Traduit de l’anglais par Jean Payon (Belgique)
[1] holiste: relatif à une doctrine qui ramène la connaissance du particulier, de l’individuel à celle de l’ensemble, du tout dans lequel il s’inscrit.
[2] taïko: grand tambour japonais
[3] physicalité (néologisme): ensemble des attributs physiques.