La Salle de Concert

Réflexions sur l’Acoustique à l’Usage des Chorales

 

Par Walter Marzilli

 

Introduction

Les implications physico-acoustiques en ce qui concerne la propagation du son sont multiples et extrêmement compliquées, et le but n’est pas de discuter des coefficients d’absorption, de l’impédance acoustique, et autres. Il serait plus utile dans ce contexte, de focaliser notre attention sur les différences entre deux situations : lorsque qu’une chorale chante lors d’un service religieux, ou qu’elle chante en concert. Les conséquences peuvent être très éloignées quand, dans le premier cas, le but de la vibration sonore n’est pas seulement de propager un son, mais la Parole de Dieu. Faisant face à un sujet aussi sérieux, chacun d’entre nous doit faire de son mieux pour ne pas perturber cette transmission, car la parole de Dieu doit aller directement vers le cœur des auditeurs, pas seulement vers leurs oreilles. En se posant la question en ces termes, nous pouvons voir comment toute réflexion à ce sujet puisse côtoyer la théologie, l’éthique, la philosophie et plus encore ; il est donc impératif de faire une pause et de rechercher une base solide. Tenons-nous en donc à quelques réflexions essentielles qui ne prendraient en compte la présence de la chorale dans la liturgie que de façon marginale, mais plutôt à la situation la plus répandue, le concert.

 

Disposition de la Chorale

Jusqu’au seizième siècle, la chorale était toujours positionnée dos à la congrégation, face à l’autel. La figure 1 montre une chorale sur un document datant de 1580.[1] L’ouverture du théâtre de San Gassiano à Venise en 1637 – le premier théâtre à avoir été ouvert au public – marqua la fin du processus de rotation du chœur : dans un premier temps, la chorale s’est tournée et fit face à la congrégation, puis elle se multiplia pour devenir deux, trois, ou six chœurs ou plus, de façon à entourer complètement l’audience. Car cette fois, l’audience, historiquement et socialement, avait atteint une telle position qu’elle ne pouvait plus être sous-estimée.

 

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La réforme liturgique introduite par le concile Vatican II (1962-1965) a définitivement repoussé l’autel bien en avant, plus près de la congrégation, quoique ceci ne soit pas une complète obligation. Ceci apporta une altération significative de l’architecture acoustique de toutes les églises. Rappelons nous que la position de l’officiant dans le chœur a une signification acoustique très fine, car, de cette place sa voix se gonfle en vagues sonores dirigée directement vers l’assistance, même quand le célébrant était tourné versus orientem.[2] Le phénomène illustré en fig. 2 est provoqué par une loi acoustique qui gouverne la réflexion des ondes sonores, qui « rebondissent » sur un mur avec un angle de réflexion égal à l’angle d’incidence.[3] Si le mur est concave, le résultat est celui décrit en fig. 2. 

 

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Sur la scène d’un théâtre, la zone acoustique correspondant à celle du célébrant dans une église est connue comme « le point Callas ». Cette position est très recherchée par les chanteurs d’opéras car c’est de ce point que la voix porte le mieux. L’on pourrait également placer des haut-parleurs à la place du célébrant pour créer une vaste masse sonore au point focal de réflexion parabolique des ondes sonores sur le mur concave.[4] c’est exactement ce que

l’ingénieur du son de Sergiu Celibidache faisait, ainsi que celui des Pink Floyd, les deux étant connus pour rechercher systématiquement un endroit concave en face duquel ils pouvaient placer leurs micros lors des enregistrements publics… ceci explique la fameuse coquille acoustique placée derrière les musiciens quand ils se produisent à l’extérieur nous en reparlerons dans la suite de cet article ou à l’intérieur dans un lieu à faible réverbération. Les architectes du monde antique résolvaient ce problème en dessinant le chœur.

Cependant, afin d’optimiser la puissance acoustique, la chorale devra être positionnée dans le chœur : à la place exacte où, dans toute église ancienne, on peut trouver les stalles de bois servant aux chorales. Le son produit par la chorale a besoin d’être complètement formé avant d’être enfin diffusé. La position du chef de chœur, véritablement à l’intérieur de la chorale est la moins agréable, car il ou elle entend le son de la chorale avant que la contribution vitale fournie par l’environnement acoustique n’ait complété le son. Vous n’iriez pas chez votre boulanger pour acheter séparément la farine l’eau, la levure et le sel ; lorsque vous allez chez le boulanger, vous voulez repartir avec le produit fini – du pain – il devrait en être de même pour le son de la chorale.[5] Pour atteindre la plénitude du son, la chorale a besoin de deux éléments essentiels : l’espace et la résonnance. Le premier élément ne peut être obtenu en plaçant la chorale trop près de son audience ; et le deuxième nécessite une courbe entourant les chanteurs, ou au minimum un mur derrière eux. Ces deux conditions peuvent être immédiatement remplies en plaçant la chorale dans le chœur. En effet, durant la liturgie la chorale n’a jamais chanté de façon directe mais plutôt transversale (être mais ne pas paraitre).[6]

Pour les concerts, cependant, il y a une différence : l’écoute est le facteur dominant, alors que dans la liturgie ce n’est qu’une partie d’un ensemble, et l’aspect visuel est également important. Pour cette raison (et également pour ne pas compromettre la sonorité d’une petite chorale ou d’un groupe de chanteurs ayant une capacité limitée à projeter les sons) il est recommandé de placer la chorale devant l’autel, tout en maintenant une distance adéquate avec l’audience. Le meilleur arrangement est de placer la chorale en demi-cercle. Ce que l’on perd en qualité directionnelle par rapport à une ligne droite, est compensé par la façon dont le son est immédiatement plus sûr et plus intimement lié. Les chanteurs qui se tiennent en un demi-cercle étroit gardent un contact plus étroit entre eux.

 

Le Dôme

Il ne faut pas oublier le dôme. Il crée un vortex d’air ascendant qui tire le son vers le haut, avec l’aide de la chaleur générée par l’éclairage dirigé vers la chorale. Installer la chorale juste sous le dôme signifie diriger le son vers le haut, et en conséquence en perdre une quantité importante. Cependant, ceci n’est exact que pour les dômes très élevés. Habituellement et heureusement d’ailleurs, c’est seulement l’effet de perspective des fresques qui fait paraître les dômes si hauts, si proche du ciel…[7] La même chose se produit derrière le proscenium des théâtres.

 

La Tribune

Parfois la tribune de chorale surélevée fait partie de l’architecture originale du lieu et possède ses propres fonctions acoustiques. Dans ce cas il est conseillé de l’utiliser, car du haut de cette galerie le son de la chorale peut se propager librement et remplir tout l’espace disponible, libre de tout obstacle qui inévitablement bloque sa propagation quand sa source est située près du sol[8]. C’est un excellent endroit pour placer une seconde chorale, ou pour débuter un concert, enveloppant l’audience d’un son éthéré ; et le concert peut alors se poursuivre la chorale chantant en procession en entrant dans l’église.

 

L’Amplification du Son

Dans de très grandes églises, on peut être tenté d’amplifier le son, mais les micros captent le son et le transportent immédiatement à une distance considérable, avant que le son émis ne puisse arriver. Les deux sons sont alors superposés, augmentant la réverbération et les mots et l’harmonie deviennent plus difficiles à comprendre. Il faut conseiller de ne placer les haut-parleurs qu’aux endroits que le son ne peut atteindre, mais ceci n’arrive que très rarement, on ne rencontre cela qu’en présence d’un lieu architectural particulier appelé la zone de silence (fig. 3).

 

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Il y a trois zones acoustiques distinctes dans un espace clos défini : un espace où la propagation directe de la voix produit un son agréable et puissant ; la zone de silence (pas toujours présente) où la voix n’arrive pas directement, mais seulement via de très rares ondes sonores réfléchies (celles des notes graves, plus sphériques que les autres), produisant un son délicat mais peu satisfaisant[9] ; et la zone de sons réfléchis, qui donne un son doux comme le précédent mais moins éthéré et plus présent.[10]

 

La Réverbération

Un autre paramètre à prendre en compte est l’écho On estime la figure optimale pour une représentation chorale à au moins deux secondes.[11] Ceci permet aux choristes d’avoir un contrôle idéal de leur voix et offre à l’audience un son clair mais bien intégré à entendre.[12] Un temps sensiblement plus long offrira aux chanteurs un sens de la propriété de leur voix très réconfortante, quand, pour l’audience l’écoute sera plus confuse et plus difficile[13]. En dessous de deux secondes, au contraire l’audience sera aisément capable de saisir la moindre nuance, alors que les chanteurs auront l’horrible sensation d’un total isolement vocal, rendant le contrôle de l’émission vocale très difficile[14].

L’absence totale de réverbération peut être combattue de différentes façons. La première est de retirer tous les matériaux absorbant le son tels que tapis, rideaux, etc. Puis les chanteurs devront se tenir en un demi-cercle serré, pour que chacun entende les voix des autres et que leurs voix soient projetées vers l’audience sans contrôle, ce qui arrive quand les chanteurs se tiennent en ligne droite ou dans un arc de cercle à large courbure. Une façon alternative d’améliorer le contrôle de chaque chanteur(se) sur sa propre voix est de se placer plus loin les uns des autres : ou encore d’alterner les voix (STSTSTSTST-ABABABABAB), chaque voix étant ainsi entourée par deux voix différentes. Evidement, les deux dernières solutions doivent être testées et mises en pratique pendant les répétitions. Ces deux solutions ne présentent que peu de problèmes et offrent de nombreux avantages pour ce qui est de mettre en avant chaque voix, améliore la fusion des voix, caractérise les timbres, favorise l’évolution des couleurs, etc., mais nous ne pouvons développer ce sujet ici. Un excès de réverbération peut être corrigé en appliquant des techniques inverses : en installant des tapis, des rideaux et plaçant les choristes en ligne droite pour améliorer la directivité du son.

 

L’Effet Haas

Il s’agit du nom donné à un phénomène acoustique particulier : Un auditeur qui se déplace de simplement trente centimètres de l’axe central entre deux haut-parleurs stéréophoniques, n’entendra que le haut-parleur le plus proche de lui, et non l’autre. Si nous comparons une chorale à une large source stéréophonique (habituellement avec les voix aiguës à gauche et les voix graves à droite) nous pouvons raisonnablement supposer que l’écoute depuis une position non symétrique par rapport à la chorale – ce qui, en pratique, signifie toute place assise dans l’église, celle-ci étant séparée par l’allée centrale – devrait produire le même effet, c’est-à-dire que les voix les plus éloignées sont inaudibles. Heureusement, la présence de réverbération atténue cet effet négatif, qui sinon rendrait impossible l’audition de toute musique. Mais, c’est pour cette raison que les micros sont placés au milieu de l’allée centrale et jamais sur les côtés. Est-ce pour cette raison (primitive-empirique) et non pour des considérations sociales de caste[15] que les personnes importantes sont assises au centre des deux séries de bancs ?

 

Chanter à l’Extérieur

C’est la situation la moins favorable, car il n’y a aucun espace architectural clos vers l’arrière qui, comme nous l’avons vu a une part fondamentale à jouer dans la formation du son final. De plus, un autre phénomène – un type particulier de réfraction[16] – est la cause de problèmes additionnels. Les ondes sonores sont dispersées vers le haut quand le sol est plus chaud que l’air (fig. 4), tandis que la gamme des sons est largement réduite quand le sol est plus froid que l’air, car dans ce cas, le son a tendance à descendre (fig. 5).

 

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Dans les deux cas la situation produit des effets négatifs qu’il convient d’éviter. Il est essentiel de régler le problème en utilisant des micros et des haut-parleurs pour recréer un espace clos. Cependant, il y a un prix à payer, le timbre sera inévitablement perdu, car malgré les altérations apportées par la table de mixage – qui peut apporter des améliorations – il faut se rappeler que chaque microphone possède ses propres caractéristiques sonores… Sans prendre en compte les haut-parleurs, chacun d’entre eux a une « voix » particulière. De plus, les chanteurs seront pratiquement incapables de s’entendre les uns les autres et devront avoir recours à un moniteur et/ou à la coquille acoustique décrite au début. Dans tous les cas, il est indispensable d’être flexible et d’être suffisamment habitué et confiant dans l’espace extérieur, les micros, les moniteurs, la dispersion du son, etc.

 


[1] Filippo Galle (1537-1612) :Capella Musicale. Détails d&rsquoune gravure de : J. Stradanus,Encomium Musicae, Anvers, 1580.  

[2] La théorie largement répandue que le célébrant dise la messe « dos à la congrégation, ignorant celle-ci » n&rsquoest pas exacte, bien au contraire, le célébrant conduisait l&rsquoassemblée en une procession idéale vers l&rsquoest, c’est-à-dire, vers Dieu, et cela était fait avec amour, acoustiquement parlant &ndash comme cela peut être observé en fig. 2. Les objections habituellement formulées contre la célébration de la messe, officiant tourné vers l&rsquoest/Dieu sont basées sur le fait que le pape, dans la basilique St Pierre célèbre la messe face au peuple mais ceci ne tient pas en compte le fait que l&rsquoautel de St Pierre est lui-même orienté vers l&rsquoest. Ceci est en partie du à la position de l&rsquoautel au dessus de la tombe de St Pierre et en partie à la configuration géologique de la colline située à l&rsquoarrière. En ceci, elle diffère de la plupart des églises anciennes, autour desquelles les centres urbains grandirent par la suite.  

[3] Nous devrions prendre en compte le fait que les graphiques informatiques sont incapables de produire un angle incident et un angle réfléchi parfaitement symétriques.  

[4] C&rsquoest le même principe que celui de l&rsquoantenne parabolique TV.

[5] C&rsquoest pourquoi positionner les micros trop près de la chorale gâche et contrecarre tous les efforts faits par les chanteurs et le chef de ch&oeligur pour créer une fusion appréciable des voix. Les micros captent les voix séparément et sont alors incapables et ne peuvent donc capter l&rsquoeffet acoustique dans son ensemble, qui inclut la contribution faite par la réflexion du son dans l&rsquoenvironnement architectural.

[6] Gardez cependant en tête que la législation post conciliaire de l&rsquoEglise invite les chanteurs à quitter le ch&oeligur et à se mélanger à la congrégation, dont ils font partie, sans perturber si possible la fonction du chef de ch&oeligur.  

[7] On peut interpréter cet lutte vers le paradis, vers le Créateur, comme un symbole du pouvoir d&rsquoune église par rapport à une autre, à une époque où l&rsquoEglise était également un pouvoir temporel notable.

[8] La tribune surélevée est motivée par des considérations supérieures à celles de la simple acoustique. Lorsque vous pénétrez dans n&rsquoimporte quelle église ancienne assez haute, il n&rsquoest jamais possible de voir le sol devant l&rsquoautel et le plafond au dessus de celui-ci. Ceci Symbolise l&rsquoinfranchissable espace entre l&rsquoespèce humaine et Dieu, à la base de la théologie pré-concile. Il y avait pourtant un point particulier, d&rsquooù l&rsquoon pouvait voir le sol (l&rsquohumanité) et le plafond (Dieu) au niveau du ch&oeligur, c&rsquoest la tribune.

[9] Ceci fait référence à l&rsquoendroit bien connu où une personne assise là pendant un concert dira invariablement, « ce sois, vous n&rsquoavez pas chanté assez fort &hellip ». ne jamais installer un micro à cet endroit lors d&rsquoun enregistrement ; même s&rsquoil s&rsquoagit d&rsquoun second micro d&rsquoambiance.

[10] Garder en mémoire que les retours ne viennent pas seulement du plafond, mais également des murs latéraux, du sol des piliers, de l&rsquoaudience, etc.

[11] Notez que ceci est le temps que met un son pour subir une décroissance de 60 décibels (106fois). En pratique, le temps considéré est celui qui sépare la fin de l&rsquoémission à sa décroissance à zéro.

[12] Garder en mémoire que tout son réfléchi est superposé au son direct pendant le premier dixième de seconde de l&rsquoécoute renforçant ainsi le son original.

[13] Le chef de ch&oeligur devra ralentir le tempo et allonger les silences pour éviter la superposition des notes et des accords.

[14] Dans ce cas il serait judicieux que le chef de ch&oeligur ralentisse le tempo de la musique, qui autrement pourrait sonner creuse et sombre.

[15] Il y a beaucoup de situations acoustiques que les musiciens du passé ont résolus empiriquement, sans avoir les connaissances nécessaires. Mais ceci pourrait être un thème intéressant à développer plus tard.

[16] Nous faisons ici référence à la réfraction quand l&rsquoonde sonore traverse deux espaces de températures différentes.

 

walter-marzilliWalter Marzilli est professeur diplômé de chant Grégorien, de musique chorale et de direction de chœur à l’institut pontifical de musique sacrée de Rome. Il a reçu un diplôme de musicologie du même institut. Des études en Allemagne lui ont valu un diplôme de spécialisation en musique pour chœur et orchestre de l’Université de Cologne, et un diplôme supérieur en enseignement de la musique de l’Université de Düsseldorf. Il a été élu trois fois à la commission artistique de FENIARCO (la fédération nationale Italienne des chorales régionales). Il est directeur de divers ensembles: I Madrigalisti di Magliano, basé à Magliano, en Toscane ; L’Octet vocal de Rome ; Le quartet vocal Amaryllis ; et le Chœur de musique polyphonique sacrée Pontificale de Rome. Il enseigne le chant au collège international « Sedes Sapientiae » de Rome, où il est également directeur du département musique, il a également enseigné au séminaire pontifical de France et à l’académie d’opéra Italienne. Il a été directeur du centre de protection de l’enseignement de la musique à Rome, où il a aussi enseigné pendant de nombreuses années. Il enseigne le chant choral au conservatoire de musique Francesco Cilea à Reggio de Calabre et la direction de chœur dans le cours de spécialisation au conservatoire de musique de Novara. Il enseigne également à l’institut supérieur de direction de chœurs de la fondation Guido d’Arezzo et professeur titulaire de direction de chœur  à l’institut pontifical de musique sacrée à Rome. Email : waltermarzilli@alice.it

 

Traduit de l’anglais par Dominique Martin,