Vers les Sommets de la Virtuosité
par Inessa Bodyako, Professeur associé à l’Académie nationale de musique de Biélorussie
Etes-vous fier de votre reconnaissance?
– Bien sûr. Je suis un vrai artiste. Mes sphères sont la salle de concert, la scène, le public.
Victor Victorovic Rovdo (1921-2007) fait partie des artistes nationaux de l’URSS. Il a commencé la période biélorusse de son activité artistique en août 1956, après avoir obtenu son diplôme d’enseignement sous la direction de K. Kavyatkas au Conservatoire de Musique à Vilnius.
Il a achevé un cursus postuniversitaire sous la direction de l’artiste national de l’URSS, le Professeur Sveshnikov au conservatoire national de Moscou qui a reçu son nom d’après P.I. Tchaïkovski. Il fut le leader immortel de deux choeurs pendant 4 décennies, le choeur d’élèves de l’Académie nationale de la Biélorussie, et le chœur de la Radio et Télévision biélorusse. Ce professeur fut un vrai leader de l’école de chefs de chœurs biélorussien, et un « patriarcat » conservateur de l’art choral national.
Sa brève biographie démontrera comment peut représenter les séquences d’une vie d’un homme par son esprit plein d’objectifs, l’époque entière de la vie chorale de tout un pays.
Le père de Victor, Vladimir Rovdo, prêtre, s’est installé avec sa famille à Smorgon, appartenant à la Pologne de 1920 à 1939.
L’église orthodoxe de Smorgon fut démolie pendant la guerre en 1917-1918, c’est pourquoi le père Vladimir a transformé une pièce de sa propre maison en salle de prière[1]. Dans l’autre chambre naquit le 2ème fils du père, Victor le 10/23 nov. 1921. Il fut prénommé Victor en l’honneur du martyre St Victor. De ce fait, Victor Vladimirovich a souvent dit « qu’il est né dans une église ». En 1926 le maître de l’école primaire de Smorgon découvrit les extraordinaires capacités en musique de ce garçon et en automne 1929 Victor fut inscrit au séminaire de Vilnius avec son frère aîné Anatoly[2]. L’époque de Vilnius (1929-1951) est consacrée, d’après la biographie de Victor Rovdo, aux études du grec, du latin, de l’allemand, du polonais et du biélorusse, à l’apprentissage des mathématiques, des sciences physiques et chimiques, des sciences naturelles, de la rhétorique, de la logique et, bien sûr, de la formation vocale, de la direction ainsi que des études des matières de théorie musicale. A l’automne 1936 (Victor Rovdo avait à peine 15 ans), le recteur du séminaire lui donna un diapason et le nomma responsable du chœur pour les services liturgiques hebdomadaires. C’est à cette date que commença la carrière du chef de choeur du jeune homme. A la fin des années 30 les petits ensembles vocaux étaient très populaires à Vilnius. Quelques élèves du séminaire construisirent avec Victor un ensemble qui chantait souvent pendant les services liturgiques[3].
A l’automne 1938 les élèves du séminaire reçurent une invitation de la part de Grigory Romanovich Schirma à joindre sa chorale, lieu de rassemblement pour des jeunes progressistes chantant aussi des chants folkloriques biélorusses. Après l’éclatement de la 2ème guerre mondiale, Victor Rovdo, parmi d’autres élèves, avait déjà obtenu en juin 1940 son diplôme et l’attestation finale de l’école de théologie de Vilnius, mais celui-ci n’était pas reconnu par les autorités du gouvernement soviétiques.
La mère du futur chef, Stefania Rovdo souhaita en vain que ses enfants deviennent médecins[4]. Pendant la guerre, entre 1942-43, Victor Rovdo fréquenta parmi d’autres auditeurs enthousiastes une faculté de médecine clandestine. Ils réussirent à cacher leur activité à la Gestapo pendant assez longtemps, mais l’institution d’éducation clandestine fut dénoncée et les élèves encerclés. Victor s’échappa de justesse, caché derrière une baignoire remplie de formol, au sous-sol, où se trouvait la chambre de désinfestations. Après la guerre Victor se pose sérieusement la question : « Que devrais-je faire ? ». Il ne voulait pas renoncer à ses passions, et c’est ainsi qu’à l’été 1945 il s’inscrit à la faculté de médecine de Vilnius et parallèlement au conservatoire de Vilnius. Il était toujours ponctuel puisqu’il disposait une moto. A partir de 1946 il dirigea le chœur du monastère St Wind (Saint Vent) composé des élèves du conservatoire, de vocalistes et d’auteurs de musique chorale. De nombreux choristes étaient issus de familles croyantes. Il s’agissait d’une période incroyablement difficile d’oppression en URSS pour tout ce qui concernait les activités religieuses. Une personne avertit l’administration du conservatoire que Rovdo, parmi d’autres élèves, avait participé à des veillés de Pâques. Le lendemain de Pâques, le chef de chœur, Rovdo, n’appartenant pas à l’organisation de jeunesses communistes de l’URSS (organisation nommée Komsomol) fut éliminé du conservatoire par décision administrative. L’année suivante, Victor Rondo fut réadmis dans les cours de niveau 5, ayant de bonnes références de comportement de la part du bureau de recrutement (étant donné qu’il avait dirigé la chorale des femmes d’officiers soutenue par la base militaire des aviateurs, à l’extérieur de Vilnius). Après avoir réussi l’examen final du Conservatoire National en Lituanie, à la fin de l’automne 1951 il arriva à Moscou pour s’inscrire au Conservatoire National de Moscou et d’y poursuivre ses études postdoctorales. Après avoir intégré les cours (entre 1951-56) à Moscou il devint maître de concert (depuis 1952) puis maître de chœur (depuis décembre 1954) et également maître du Chœur Académique National Russe de l’URSS, et maître du chœur de garçons de l’école de chant de Moscou (depuis mars 1952). Il travailla en tant que maître de chœur du Studio opéra du Conservatoire de Moscou Tchaïkovski (depuis mars 1954).
En Biélorussie, le professeur Victor Rovdo révéla sa vitalité et son intense créativité pour la première fois lorsqu’il travailla comme maître de chœur à la Chapelle Nationale de la République socialiste soviétique de Biélorussie (1956-65). Depuis septembre 1965 V.V. Rovdo travaillait déjà comme directeur en chef et directeur artistique du chœur de la Radio et Télévision biélorusse. En août 1990 V.V. Rovdo fut décoré de la distinction honoraire « Académicien » pour ses résultats concernant l’amélioration du niveau artistique musicale au sein du chœur et en septembre de la même année il obtint le titre honoraire d’Artiste national de l’URSS.
Le travail pédagogique actif de Victor Rovdo au sein de l’Académie Nationale de Musique de Biélorussie fut déployée à travers trois branches d’activités depuis 1956 (pendant 50 ans !) : en tant que chef du sous-département, chef de chœur des élèves et professeur de « direction de chœur ». Tout au long de ses années de travail avec le chœur des élèves (depuis 1961) plus de 800 élèves sont passés par l’école, ses nombreux élèves ont dirigé ou servi des collectivités locales religieuses et professionnelles, ont chanté, ont enseigné la musique et le chant aux enfants.
V. Rovdo a considéré le maître Alexander Sveshnikov comme son professeur, personnage célèbre de la culture chorale russe, le meilleur interprète de chants folkloriques, un des derniers « Synodaux ».
Cet homme lui a donné un « point de départ pour la vie ». En 1972 V. Rovdo a organisé la visite de A.V. Sveshnikov à Minsk. N.I. Lomanovich, chef de chœur principal de l’Opéra Nationale de la République de Biélorussie raconte cette rencontre comme suit : « Alexander Vasilievich Sveshnikov était déjà assez âgé et travaillait avec nous assis sur une chaise. J’ai même gardé une photo de lui. Puis nous avons chanté au concert. Sveshnikov a dirigé quelques morceaux. Nous avons été touchés par l’attitude de Victor Valdimirovich, maitre-musicien, envers son Professeur – respect profond et admiration absolue. »
Pour le Maestro Rovdo le concept du « Modèle de qualité du ton » fut lié avant tout à une intensité et une profondeur de la sonorité bien typique pour la direction de chœur de A.V. Sveshnikov. L’adoration et la fierté pour tout chœur – dans l’esprit de V.V. Rovdo – passaient par la couleur des basses « Russes » masculines et débordantes d’émotions, pleines et mûres, avec présence obligatoire d’octaviâtes.
Le son clair mais puissant des ténors a été mélangé à une qualité de ton doux et intensif des altos. Ces deux pupitres devaient se compléter et s’enrichir mutuellement, comme Roméo et Juliette. Le ton du chant des soprani est doux, homogène, sans vibration métallique ce qui est souvent typique aux voix aigues, aux premières sopranes du chœur. Diluées dans une alliance toutes ses voix devaient donner l’impression d’un instrument accordé à perfection nivelant et rectifiant les nuances des pupitres.
Rovdo avait un pouvoir colossal en tant que chef pour influencer le chœur. Il s’agissait d’une sorte de magnétisme, d’une énergie de la plus grande force émanée du dirigeant, de toute sa personnalité, de tout son corps et de son visage, de chaque mouvement de ses bras et de ses doigts. Les musiciens ont clairement ressenti que ses gestes étaient délicats, concentrés, laconiques, puisque le chœur semblait être pour lui un instrument sur lequel il a joué chaque jour.
Le professeur A.V. Sveshnikov a transmis à V.V. Rovdo une attention particulière et une attitude exigeante vis-à-vis du texte des partitions chorales. D’un coté, il eut comme objectif de placer correctement des points significatifs dans un texte poétique, de souligner les mots importants, de distinguer la proportion des phonétiques « révélateurs » et « moins importants » en chantant, assurer que l’intelligence « bien collé » sorte de chaque élément verbal.
D’un autre point de vue, la « lecture » finale du texte verbal a été rendue entièrement en fonction d’un but supérieur de la performance – révéler le sens profond du contenu, afin qu’il puisse arriver jusqu’à la conscience de l’audience dans son ampleur maximale.
En 1968 le chœur du conservatoire national de Biélorussie, dirigé par le professeur depuis 45 ans, a participé pour la première fois aux « Vacances chantantes » d’étudiants du chant Gaudeamus à Vilnius. Selon les responsables du Comité Gaudeamus, le chœur des élèves de Minsk a participé depuis dans sept vacances musicales itinérantes à Vilnius, à Riga, Tartu et Tallin (1968, 1972, 1975, 1978, 1981 ; 1984 et 1987). Victor a du diriger le chœur commun intégrant cinq mille choristes, pour présenter un ou deux œuvres de musique. Avec un chœur d’un tel grand nombre de participants il est très difficile d’obtenir un aussi bon résultat que Rovdo. L’inspecteur du chœur de la Radio et Télévision Biélorusse A. Androsov (jusqu’à 2008) se souvient dans son interview : Quelle impression énorme/majestueuse a fait la technique de Victor Rovdo sur les participants des vacances chantantes à Tallin en 1985 : « Il portait toujours une veste blanche et se présentait devant le public comme un hooligan distrait. Et tout d’un seul coup un doigt se met à se balancer et tous chantent d’une seule voix. Lors de la répétition ils réclamèrent de répéter davantage, tellement il paraissait incroyable que les 5 mille chanteurs puissent entrer en mouvement sur une simple geste d’un doigt ». Cette impression est aussi partagée par le professeur de l’Académie de Musique et du Théâtre de Lituanie, P. Gilis, un des organisateurs permanents des vacances en chanson en Lituanie. « Que pourrais-je dire ou raconter de Victor V. en tant que chef de chœur de ces fêtes ? Il avait un tel talent qu’il n’a jamais eu aucun problème avec les petits ou les grands choeurs. Ses gestes étaient toujours très clairs, ses exigences toujours très élevées. Il n’a jamais été content du niveau obtenu, auquel on arrivait, il voulait toujours obtenir plus, des choses parfois presque impossibles à exécuter. L’effet que le chef est arrivé à produire avec son choeur dans une salle de concert est impossible reproduire en chantant en plein air. Mais bien sûr, il est possible d’avoir des aspirations à l’obtenir. Et le professeur Rovdo a tenté d’obtenir cet effet, par conséquent, il n’a pas été toujours satisfait. Le prof. Karyuatskes a essayé de le calmer : « Tout ira bien ». Et la pièce a été chantée vraiment à perfection. Tant à la répétition que lors du concert, le prof. Rovdo a confirmé à chaque occasion sa place en tant qu’acteur au niveau le plus élevé ». Le concert du chœur des étudiants de l’Académie de Musique nationale de Biélorussie (renommé en 1992) sous la baguette de V. Rovdo a obtenu d’énormes succès d’une créativité puissante. En juin 1995 cette collectivité chorale a remporté le Grand Prix au 1er Festival International de chœurs à Chisinau (Moldavie) dan la catégorie « Chœur des Ecoles supérieures de Musique d’Europe et de la Communauté des états indépendants». En mars 1997 elle a gagné deux coupes et trois diplômes d’Or lors du IIème Concours international de chœurs à Darmstadt (Allemagne) où il a obtenu également le plus haute distinction, le « Oscar ». En 1997 le Chœur de conservatoire de l’Académie Nationale de Musique de Biélorussie a reçu le Grand Prix du XVIème Festival International de Musique religieuse à Hajnovka (Pologne). Fils d’un prêtre, ancien élève du séminaire, chirurgien, musicien, artiste national de l’URSS, professeur de l’Académie internationale Slave de musique, directeur artistique des chœurs de la Radio et Télévision de Biélorussie et de l’Académie de musique, critique d’art, gagnant de deux décorations nationales et mari de la diva d’opéra Voevodskaya Sofia, qui a rayonnée sur les scènes de Vilnius et Minsk autrefois, il a été aussi conversationniste brillant et, non moins important, professeur de notre vie.
Dans l’Encyclopédie bibliographique américaine « Who’s Who in Classical Music 2002 » il est écrit : Professeur Rovdo a eu comme hobby la photographie. Beaucoup de photos de cet article viennent des archives personnelles de V. Rovdo.
Cet article est basé sur les interviews avec le Professeur V. Rovdo par les périodiques de la République de Biélorussie et sur le document de recherche doctorale « In memoriam du Maître : Victor Rovdo » préparé par l’une des dernières élèves du professeur, Olga Korzh dont l’œuvre professionnel est liée au temple du Prince béni Alexander Nevsky à Minsk.
[1] Actuellement il existe une église de Transfiguration à la place de la maison du prêtre V.P. Rovdo
[2] De 1920 à 1939 Vilnius a été sous occupation polonaise : son nom officle a été Vilno.
[3] Le frère de Gennady Tsitovich , Alesander Tsitovich a dirigé la bande. Au début des années 40 il a été arrété, dénoncé d’erreur et a décédé en prison
[4] Le frère aîné de Victor Rovdo, Anatoly Vladimirovich est arrivé à Cracovie après la guerre, a terminé ses études à la faculté de médecine de l’Université Jagello, et vivait en Pologne jusqu’à sa mort en tant que médecin. Il est décédé en Pologne en 2008.
Inessa Bodyako, Professeur associée et directrice artistique du chœur des élèves, enseigne la direction chorale et l’histoire de la musique chorale russe à l’Académie Nationale de Musique en Biélorussie. Elle a été maître du Chœur Académique de la compagnie Radio et Télévision Nationale de la République de Biélorussie, fondatrice et directrice du Chœur de chambre « Cantemus » lauréate de concours internationaux de chœurs en Italie (Arezzo, Gorizia), Espagne (Tolosa), Pologne (Hajnovka), Biélorussie (Minsk). Inessa était membre du jury dans des compétitions nationales et internationales, a donné des Master Classes en Allemagne, en France, a été responsable d’un grand nombre de projets pour chorales en Biélorussie, y compris la « Compétition ouverte aux chefs de cœurs V. Rovdo », « Pages chorales du XXème siècle, « Charouniya lilei » pour chœurs de femmes. Email: inesminsk@tut.by
Traduit de l’anglais par Maria Bartha (France)