Le 12e concours international de chœurs de chambre de Marktoberdorf.
Par Tim Koeritz
Concours, mais aussi rencontre, tel est pour la 12e fois déjà le but du Concours international de chœurs de chambre de Marktoberdorf, qui s’est tenu du 10 au 15 juin 2011 et s’adressait cette fois aux catégories chœurs mixtes et chœurs de femmes. Dans la région rurale de l’Allgäu, ce centre exceptionnel de l’art choral s’est développé depuis des années pour devenir une Mecque internationale de la musique chorale. Le monde du chant choral international s’y retrouve et discute les développements de la musique chorale. Pour les connaisseurs du monde entier, Marktoberdorf est une référence. La comparaison auditive directe de différents idéaux sonores et d’interprétation est une expérience passionnante. Et on se demande toujours: un jury, même et justement parce qu’il est formé d’experts de divers pays, peut-il découvrir les qualités des chœurs derrière le rideau de tant de couleurs vocales locales et de traditions chorales insolites? Cette fois-ci, les membres du jury, placés sous la présidence de l’allemande Gudrun Schröfel, venaient de Suède, du Vénézuela, de Taiwan, de Slovénie, du Canada et d’Arménie. Le membre slovène du jury, Martina Batič, a fait cette découverte peut-être surprenante : « On s’étonne des diverses couleurs des chœurs, qui viennent de divers pays. Le jury vient même cette fois-ci de divers continents. Mais pourtant, nous sommes tous d’accord sur ce qui est beau ou sur ce qui nous touche et nous va droit au cœur ».
Naturellement, les différences d’interprétation et la question de la fidélité au style ont donné lieu à des discussions. Comparativement, des problèmes se posent lorsque par exemple l’excellent chœur cubain Entrevoces de la Havane doit chanter en pièce imposée du romantisme allemand la Rhapsodie de Joseph Gabriel Rheinberger. Malgré une excellente technique vocale et un haut degré de connaissance, un tel chœur échoue forcément à rendre la coloration vocale exacte de la langue allemande. Frieder Bernius, un des chefs de chœur les plus réputés d’Allemagne et connaisseur du monde choral, qui se trouvait en spectateur à Marktoberdorf, n’admet aucun compromis : « Je trouve difficile de dire, oui pourquoi devrais-je maintenant, très libéralement, accepter une toute autre vision de ce Rheinberger ? Je trouve que ce n’est pas approprié. Tout aussi peu qu’un chœur européen puisse chanter avec facilité une pièce cubaine ou que la première pièce du concours des chœurs de femmes, une œuvre de Rachmaninov. On ne peut s’y essayer que si l’on connaît un peu la tradition d’interprétation des Russes ou des Cubains et très bien la sonorité de la langue. C’est mon opinion. »
Pour la pièce imposée de Rheinberger, comme on s’y attendait, les chœurs allemands ont triomphé : le chœur Cantabile de Regensburg sous la direction de Matthias Beckert et le chœur de chambre de l’école supérieure de Detmold, dirigé par Anne Kohler.
Finalement, les chanteurs de Detmold n’ont pas réussi le Rheinberger à la perfection, mais s’en sont le plus rapprochés. Pourtant ils n’ont obtenu « que » le 4e rang. Beaucoup plus de chœurs que d’habitude se sont classés au dernier échelon III, « bon niveau international ». Il faut savoir que les autres désignations s’intitulent « très bon niveau international », échelon II « excellent niveau international », échelon I. Pour le tout premier échelon, il fallait obtenir un nombre minimal de points défini.
Dans l’ensemble, c’était une année moyenne, a dû déclarer Gudrun Schröfel: « La qualité était bonne, mais les années précédentes nous avions davantage de chœurs à l’échelon I ‘excellent niveau international’. On espère en fait y revenir à moyen terme. » Finalement, le seul chœur mixte à atteindre cet échelon a été le chœur cubain Entrevoces de la Havane, dont la substance sonore était simplement la meilleure. Ce chœur a aussi les meilleures conditions. Il répète quatre heures par jour. Est-ce alors encore un chœur amateur, comme l’exige le règlement? Il y a ici comme ailleurs de nettes distorsions dans les concours de ce genre. D’autres chœurs se composent de choristes qui font de la musique moins professionnellement et qui répètent, puisqu’ils doivent exercer leurs professions, une seule fois par semaine, le soir, lorsque la faculté de concentration proprement dite est épuisée. C’est la raison pour laquelle de nombreux chœurs se sont mis à répéter spécifiquement pour des projets.
Les conditions ont toujours été un facteur déterminant des excellentes prestations à Marktoberdorf. Et une fois de plus, un chœur des Etats-Unis et un chœur suédois se sont distingués. A l’échelon II, « très bon niveau international » le classement a mis les Cubains en tête, puis le chœur University of Louisville Cardinal Singers du Kentucky (deuxième prix) et le St Jacobs Ungdomskör de Stockholm (troisième prix), un chœur dont les choristes ont tous entre 19 et 25 ans – condition optimale d’homogénéité vocale que le chef de l’Ensemble Cantabile Regensburg décrit en ces termes : « Le fait que les dames surtout chantent ensemble depuis plusieurs années s’entend dans ce chœur. La couleur est si bien fondue que l’on se demande si ce sont des sœurs ou si elles ont toutes les mêmes parents. C’est ce sens de l’ensemble polyphonique qui m’a énormément impressionné dans la forme. » Il ne manque décidément à ce chœur suédois qu’une certaine maturité et l’achèvement de la formation des voix. En Suède, c’est tout un système de formation qui aboutit à ces prestations hors-pair. Comme l’explique le chef Mikael Wedar : « En Suède, à Stockholm, nous avons une formation artistique spéciale, qui porte le nom de son fondateur, « Adolf-Fredrik ». Ce système existe depuis environ 70 ans dans les classes musicales. Les enfants commencent à l’âge de dix ans, au 4ème. Ensuite ils ont six ans pour chanter ensemble. Et ils chantent beaucoup, environ six à huit heures par semaine. Naturellement, ils ont aussi les autres matières « normales ». Et nous espérons qu’ils aillent ensuite au gymnase musical où je travaille. » On entend bien dans chaque chœur, immédiatement, le niveau de formation vocale de chaque individu. Et combien le chœur travaille à sa sonorité d’ensemble. Le secret d’une couleur chorale optimale n’est en fait pas un secret, mais pour Kent Hatteberg, le chef du chœur américain, c’est quelque chose de très simple en principe : « Il y a trois choses : l’intonation, la formation vocale et la dynamique. Si les dynamiques et les couleurs vocales des choristes sont très équilibrées et si l’intonation des quintes et les tierces est impeccable, on peut atteindre un équilibre et une homogénéité extraordinaires. Et pourtant il ne faut pas que les voix soient toutes les mêmes. Il s’agit justement de la diversité de la coloration, mais avec un bon équilibre des voix, de la dynamique et de la justesse. C’est ainsi que se construit simplement une sonorité homogène. »
Ce furent la qualité sonore pure, mais aussi la capacité d’articulation et la technique vocale qui ont également amené au premier rang le chœur ukrainien de l’Institut de musique de Gière, de Kiew, qui a nettement distancé ses concurrents en obtenant le premier prix et la mention « excellent niveau international ». L’appréciation de la présidente du jury Gudrun Schröfel n’était pas moins univoque : « C’est tout simplement un chœur qui possède une merveilleuse substance sonore, totalement équilibrée dans tous les registres, parfaitement fondue, qui est en mesure de chanter un véritable legato, ce que nous avons rarement entendu à ce concours, et qui chante de façon naturelle même des œuvre très exigeantes. »
Tim Koeritz, 1965, né à Stade, a d’abord étudié la musique avec le piano pour matière principale et l’histoire pour enseigner aux lycées de Hanovre et de Fribourg-en-Brisgau. Après son stage pédagogique à Hildesheim et le deuxième examen d’Etat, il a effectué un cursus de deux ans en journalisme de radiodiffusion à l’Institut Lernradio de l’école supérieure de musique de Karlsruhe, et obtenu le Diplôme en 1998. Depuis 1998, il vit et travaille à Munich, où il est journaliste radio indépendant. Il honore les mandats de divers organismes de radiodiffusion ARD (entre autres pour den BR, WDR, la Deutsche Welle et Deutschlandradio Kultur). Il s’est spécialisé en musique contemporaine et en musique chorale. Ses activités de journaliste musical comprennent également la rédaction de textes de livrets-programmes, par exemple pour le théâtre d’Augsburg, avec la série de concerts « Matinée philharmonique » et le festival estival « concerts au Fronhof ». Depuis 2000, il chante au chœur via-nova à Munich, un chœur spécialisé dans la musique chorale contemporaine. Il travaille bénévolement depuis septembre 2007 comme premier président de l’association des amis du chœur via-nova. Cette tâche comprend la recherche de fonds, le sponsoring, le marketing, les relations publiques et l’organisation des concerts. Tim Koeritz est également musicopédagogue chargé de cours depuis 2005 à l’Université populaire de Munich. Il y donne des cours de théorie musicale et d’histoire de la musique, et des introductions aux concerts de la Philharmonie de Munich. Il est aussi professeur de piano indépendant à Munich. Email: tim.koeritz@t-online.de
Traduit de l’allemand par Sylvia Bresson (Suisse)