Le jeu complexe du rythme, la structure rapide-lente-rapide, l’utilisation de quintes creuses pour réinventer l’espace organique, les harmonies en quartes et les dissonances occasionnelles pour reproduire les harmoniques, l’émulation tonale et quant au timbre des chanteurs âgés, les permutations textuelles qui contribuent aux propriétés percussives des arrangements et l’inclusion improvisée d’un tambour ethnique, divers instruments en bambou, et même des percussions corporelles – ce ne sont là que quelques-unes des qualités attrayantes qui rendent les arrangements et même les compositions à base de matériel de la Cordillère très intéressants. La prochaine fois que vous préparerez un morceau de musique du monde pour l’un de vos concerts, nous espérons que vous penserez aux quelques pièces des régions de la Cordillère détaillées ci-après.
7. Dumbele
Écrit à l’origine pour des voix de femmes par le regretté Rodolfo Delarmente, il l’a finalement transcrit pour SATB et c’est depuis devenu un morceau incontournable chez les chœurs philippins. Il était basé sur un chant de pluie Itneg / Tinguian documenté dans un travail de terrain de Ramon Obusan, danseur philippin, pour accompagner sa suite de danses rituelles animistes et païennes. La riche visualisation de Delarmente à travers la superposition polychorale et la maîtrise exceptionnelle de l’écriture contrapuntique et polyphonique sont devenues sa marque de fabrique, comme en témoignent ses autres œuvres telles que Ilay Gandangan (Culte du soleil) du sud des Philippines et son Ama Namin (Notre Père).
Le texte de l’ensemble de la pièce est basé sur deux phrases très simples et courtes: Dumbele sekatemaya, Dumbele malateka – ce qui la rend conviviale même pour les non-locuteurs de la langue. Dumbele a été publié par Carus Verlag.
6. Salidummay
Il existe plusieurs versions chorales de cette célèbre mélodie de la Cordillère. Bien qu’il existe des similitudes comme l’importance du rythme et la présence de syncopes, chaque version offrait une saveur distincte. L’un des facteurs est que la mélodie, le tempo et même les textes du Salidummay varient en fonction du contexte dans lequel il est chanté. En outre, chacune des six provinces de la région de la Cordillère avait ses propres variantes du Salidummay. Une version relativement récente de Normita “Bing” Pablico mettait en vedette un soliste masculin pour commencer la pièce et choisissait généralement une ambiance plus recueillie (pour le solo et les parties solennelles de legato au milieu), avec les parties plus festives et rythmées décrivant leur rituel d’action de grâce. L’arrangement de Bienvenido Constantino, quant à lui, utilisait un motif plus simple, mais repoussait les limites de l’étendue et incluait même les changements de mesure par une augmentation et une diminution mobiles constantes au fur et à mesure que chaque partie progressait.
L’arrangement antérieur du pionnier du jazz vocal Moy Ortiz, au milieu des années 90, explorait les rythmes complémentaires ternaire simple et binaire inégal bien avant que les compositeurs modernes ne les utilisent dans l’écriture chorale, La partition était inédite, mais a été enregistrée par l’Ateneo Glee Club sous la direction de Joel Navarro dans le cadre de leur album de 1995 intitulé “Lahi: The Filipino Sings from the Heart”.
Un arrangement antérieur du Salidummay a été écrit par Reynaldo Paguio, du chœur de concert de l’Université des Philippines. La version de Paguio était en fait basée sur l’enregistrement d’un travail ethnomusicologique de terrain dans les Cordillères. Les enregistrements de terrain utilisaient un tongali (flûte nasale en bambou) joué par un maître flûtiste virtuose. Paguio a choisi d’utiliser une flûte occidentale pour reproduire l’articulation. Cela faisait partie du livre “Mga Awiting Bayan” collection de chansons folkloriques publié par les Philippine Madrigal Singers et édité par la musicienne philippine Andrea Veneracion.
5. Orde-e
Issu de la tribu Madukayan de la province Mountain, cet arrangement de Lester Delgado a été l’une des pièces gagnantes incluses dans Mga Awiting Bayan para sa Korong Pilipino, publié par la Commission nationale pour la culture et les arts. Une autre évocation musicale du paysage de la Cordillère, Orde-e de Delgado, met en vedette deux solistes (masculin et féminine). Caractère généralement tranquille avec des ponctuations d’activité rythmique dans la section de développement, avant de revenir à un état de calme. Maria Theresa Vizconde-Roldan a écrit une version SSAA avec accompagnement, publiée chez Hal Leonard.
4. Iddemdem Malida
Pendant un certain temps, cela a été classé comme un chant de guerre Itneg / Tinguian de la province d’Abra. Cependant, il a été suggéré plus tard que ce n’était peut-être pas vraiment un chant de guerre, mais de victoire. Ce petit détail contient des informations très importantes sur la façon dont la chanson et ses arrangements choraux doivent être interprétés – festifs et de louange, mais pas nécessairement agressifs.
Il y a eu différents arrangements choraux de cet air, la première version était de feu Elmo Makil, arrangée pour SATB et publiée par Alfred Music. Toujours basé sur le chant de Makil, il existe un arrangement plus récent de Jonaf Del Fierro, cette fois pour TTBB, qui a été publié par Pavane Publishing. Une légère mise à niveau moderniste, le travail de Del Fierro a également clairement défini les segments créant un récit structurel plus cohérent.
Le musicien philippin Ryan Cayabyab a écrit un arrangement de concert plus ambitieux de ce même air folklorique qui comprenait un trio de solistes, un double chœur, une section rythmique et divers instruments autochtones.
3. Chua-Ay
Traditionnellement, cet air folklorique Igorot de Benguet est chanté en pilant les grains de riz à l’aide d’un énorme mortier, après que les grains ont été extraits de leurs tiges. Il est déjà évident que le martèlement donne des rythmes percussifs naturels et faciles à chanter. Un examen plus attentif démontre l’inverse : c’est le rythme et le chant qui rendent le martèlement plus facile et plus rapide.
La première version chorale connue des chœurs philippins était celle de Fabian Obispo. Des années plus tard, Fidel Calalang a inclus Chua-ay dans sa suite chorale Ayug ti Amianan (Scènes du Nord). Bien que les sections soient entièrement indépendantes les unes des autres, l’arrangement de Calalang a fourni le récit pittoresque complet. Néanmoins, les deux versions incarnent la propriété rythmique et percussive de la fonction originale de la chanson.
Le travail d’Obispo a été publié par Carus Verlag, inclus dans “Mga Awiting Bayan” des Philippine Madrigal Singers et a une version TTBB inédite transcrite par Emmanuel Laureola. L’arrangement de Calalang, d’autre part, a été publié par Earth Songs et a une version SSAA transcrite par Jude Roldan est publiée chez Muziksea.
2. Vochong
dépeint la tradition cordillère de forger des pactes de paix entre groupes ou clans rivaux. Vochong, Bochong ou Bodong se traduit littéralement par pacte de paix. Cet air folklorique de Kalinga a été arrangé par Dyzon Pesquera pour voix mixtes, gongs et instruments en bambou. La capacité de Pesquera à utiliser des transitions inattendues est l’un des nombreux points forts de cet arrangement. Il s’agit d’une masterclass sur le développement de la texture obtenue grâce à des fragmentations du thème pour passer en douceur de l’unisson au canon en se construisant lentement jusqu’à son point culminant caractérisé par un échange contrapuntique entre les sections vocales.
1. Gapas
En tête de notre liste se trouve Gapas (Moisson) – une composition d’Eudenice Palaruan basée sur un texte biblique sur la récolte d’une moisson dans la langue vernaculaire. Palaruan dont les racines sont de Lamut, Ifugao est l’un des principaux compositeurs, arrangeurs et défenseurs de la littérature chorale philippine et asiatique. Écrit pour SSAATTBB avec des sous-pupitres, Gapas est une œuvre vocalement exigeante qui nécessite un plus grand nombre de chanteurs avec des compétences techniques et musicales très avancées. L’un des génies de cette composition est l’exploration par Palaruan de l’utilisation d’un motif intéressant (Mi – Ré# – La – Sol) horizontalement (mélodique) et verticalement (harmonique) en moto perpetuo. Les clusters imitent les harmoniques produits par le gong cordillère, tandis que le pentatone hémitonique peut effectivement être entendu avec des instruments mélodiques cordillériens tels que le tongali (flûte nasale), le Paldong, ou le Kolitong (cithare de bambou). En tant que personne originaire de la région de la Cordillère, Palaruan avait écrit plusieurs œuvres chorales telles que sa composition Ehikier 37 (Ezekiel 37) et des arrangements du Tinguian Oggayam, et la mélodie Kankana-ey Pundayaw hi Apu Infaag dans laquelle il utilisait le texte Ibaloi, Ifugao et Kankana-ey, contribuant à son propre héritage.
Pour toute question concernant la musique citée dans cet article, vous pouvez contacter l’Association philippine des chefs de chœur via www.mypcda.com.
Traduit de l’anglais par Barbara Pissane, relu par Jean Payon
Arjay Viray est détenteur d’une maîtrise en direction chorale de la Philippine Women’ s University School of Music et poursuit actuellement son doctorat en curriculum et enseignement de la Miriam College Graduate School. Il a chanté avec des chorales telles que les Philippine Madrigal Singers, le Philippine Normal University Chorale et l’Ateneo Glee Club, où il a également été chef adjoint pour le développement choral. Il a chanté avec le World Youth Choir de 2008 à 2011 et le Time Ensemble de 2014 à 2019. Il chante actuellement avec les Ateneo Chamber Singers sous la tutelle du Dr Jonathan Velasco. Il est actuellement affilié à la Philippine Choral Directors Association, au Philippine Center for Gifted Education, à la Kodaly Society of the Philippines et à la Fédération internationale de musique chorale. Il est professeur à temps plein de musique et d’arts du spectacle au Guang MingCollege. teacherarjayviray@gmail.com
Biographie traduite de l’anglais par Peterson Pierre