Claudio Monteverdi : Vêpres de la Vierge (Vêpres de 1610), SV 206

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Uwe Wolf, musicologue

Les Vêpres de la Vierge font partie d’un recueil qui a été publié sous le nom de “Sanctissimae Virgini Missa senis vocibus, Ac Vespere pluribus decantandae.[1] Ce recueil s’ouvre sur la Missa In illo tempore, messe qui parodie le motet éponyme de Nicolas GOMBERT, et est suivi par la suite de pièces que l’on connaît sous le nom des Vêpres de la Vierge, que nous vous présentons ici: un répons, cinq psaumes destinés à des fêtes mariales, un hymne et un magnificat (en deux versions), ainsi que les concerti Nigra sum, Pulchra es, Duo Seraphim, Audi coelum (en alternance avec les psaumes), et la Sonata sopra Santa Maria.

On sait très peu de chose sur la genèse des Vêpres de la Vierge, ou plus précisément sur le recueil dans lequel elles figurent. Celui-ci est mentionné pour la première fois en juillet 1610 par l’assistant de MONTEVERDI, Don Bassano CASOLA (dont on ne connaît pas les dates de naissance et de décès). Dans une lettre adressée au Cardinal Ferdinando GONZAGA, fils cadet du noble employeur de MONTEVERDI Vincenzo GONZAGA, CASOLA écrit que la “Messa da Cappella” pour 6 voix de Monteverdi, reprenant des thèmes du motet de GOMBERT “In illo tempore”, était en train d’être publiée. Outre cette messe, des psaumes appartenant à une certaine œuvre intitulée les Vêpres de la Vierge (“Salmi del Vespro della Madonna”) étaient en train d’être imprimés. Ces psaumes allaient prendre la forme de différentes inventions et harmonies qui seraient jouées par-dessus un canto fermo (cantus firmus). CASOLA a ensuite écrit que MONTEVERDI avait l’intention de se rendre à Rome à l’automne suivant, pour dédier le recueil au souverain pontife en personne.[2]

Portrait of Cardinal Fernandino Gonzaga – Pinacoteca Nazionale, Bologna

Le manuscrit comporte bien une dédicace au Pape Paul V, datée au 1er septembre 1610. Les chercheurs sont unanimes : pour eux, MONTEVERDI voulait se recommander à l’aide de ce recueil en tant que compositeur auprès du Pape (et très probablement auprès d’autres employeurs potentiels au sein de l’Église). Le manuscrit de 1610 est résolument empreint des caractéristiques d’un “portfolio” à de nombreux égards, et il constitue sans aucun doute un élément clé pour comprendre le recueil. C’est certainement la raison pour laquelle l’auteur a rassemblé au sein d’un seul volume une messe et de la musique pour les vêpres. La messe était traditionnellement conservatrice, alors que l’on pouvait adopter des pratiques plus modernes[3] pour les vêpres ; MONTEVERDI a utilisé la tension qui existait entre ces deux langages contrastés plus que n’importe quel autre compositeur de son temps.

Le 1er septembre, date de la dédicace, il se peut que le manuscrit ait déjà été presque achevé, étant donné que MONTEVERDI s’est mis en route pour Rome peu après cette date, et qu’il est arrivé peu de temps après à Rome, en octobre.[4] MONTEVERDI a tenté à plusieurs reprises de faire en sorte que son fils Francesco ait le droit d’entrer au Seminario Romano, ce qui était le but premier de son voyage à Rome. Cependant, ce voyage n’a pas été un franc succès : non seulement Monteverdi n’a pas réussi à obtenir une place à son fils au Seminario, mais il n’a pas pu obtenir non plus d’entrevue avec le Pape pour lui présenter son manuscrit en personne.  

Il se peut que MONTEVERDI ait déjà rencontré le Pape en 1607 à Mantoue. Ceci expliquerait pourquoi Monteverdi a cité son opéra L’Orfeo,[5] qui avait été donné pour la première fois cette année-là à Mantoue, dans le répons et le Magnificat des Vêpres.

L’intention de Monteverdi de se rendre à Rome l’aura peut-être également encouragé à publier la messe et les vêpres, ce qui aurait pu être étalé sur une période plus longue, mais ne s’était pas encore concrétisé. La première mention de CASOLA au recueil l’associe déjà à ce fameux voyage à Rome (cf. ci-dessus). La publication se sera sans doute déroulée avec une contrainte de temps importante, étant donné que CASOLA mentionne le travail qui est fait sur le manuscrit en juillet comme quelque chose de récent, que la dédicace date du 1er septembre, et que Monteverdi devait déjà se rendre à Rome peu après cette date. En tout cas, un délai aussi court peut expliquer la présence de certaines incohérences dans le manuscrit de 1610, plus particulièrement la présence de versions déformées à plusieurs endroits de la partition de la basse continue (voir ci-dessous), qui sont sans doute plus anciennes, tout comme la présence d’un grand nombre de coquilles.

On ne sait pas si une ”première” intégrale ou partielle de l’œuvre a eu lieu avant que le recueil soit publié. S’il paraît plus plausible, dans le cas de la messe, que celle-ci ait été créée tout spécialement pour être publiée, les instruments qui sont utilisés dans les trois mouvements, des instruments obbligati (Nos. 1, 11 et 13) varient grandement, ce qui laisse à penser qu’au moins quelques-unes de ces pièces ont été composées pour différentes occasions,[6] adaptant spécifiquement l’instrumentation aux différentes situations de représentations. Des versions différentes de la basse continue et des parties vocales dans pas moins de cinq pièces laissent à penser que les pièces existantes ont été révisées.

Cependant, la musique sacrée ne faisait pas vraiment partie de ce sur quoi MONTEVERDI devait travailler à Mantoue ; mais cela n’exclut pas le fait qu’il a également participé à des représentations de musique sacrée lors de festivités importantes.[7] Plusieurs hypothèses ont été formulées ces cinquante dernières années pour déterminer à quelle occasion et pourquoi ces compositions ont été écrites. Aucune de ces hypothèses n’a pu être étayée par des preuves documentaires jusqu’à ce jour.[8] Aucune représentation ayant eu lieu à la période pendant laquelle MONTEVERDI était à Venise n’a pu être vérifiée non plus (même si nous pouvons affirmer avec certitude que certains passages isolés ont bien été joués). Par contre, lorsque MONTEVERDI a présenté sa candidature au poste de maestro di cappella à San Marco à Venise, le manuscrit de 1610 aura certainement été un argument essentiel qui lui aura permis de se voir confier le poste.[9]

 

Le Manuscrit de 1610

Tout comme le recueil plus tardif de Monteverdi Selva morale e spiriuale (1641), le manuscrit de 1610 appartient à une catégorie que l’on appelle les manuscrits du répertoire, qui rassemblent en un seul volume de la musique dédiée aux deux offices du culte les plus importants de l’Église universelle, la Messe et les Vêpres. La description du recueil dans les signatures inscrites sur les parties vocales relève bien de la tradition de ces manuscrits de répertoire : “Messa & Salmi di Claudio Monte Verde.[10] Bien que le contenu du recueil comporte des similitudes de genre avec un certain nombre d’autres manuscrits de répertoire (une messe, des psaumes, un magnificat et des motets),[11] il y a des différences de taille entre le recueil de MONTEVERDI de 1610 et d’autres manuscrits de ce genre plus contemporains :

  1. Les psaumes et les concerti ne sont pas dans des catégories différentes mais sont alternés.
  2. Les arrangements du magnificat sont deux versions d’une même composition.
  3. L’arrangement de la messe reprend la forme très archaïque d’une messe parodique.
  4. Les psaumes et le magnificat obéissent à un principe courant bien défini, et même identifié

Le premier point a particulièrement fait l’objet de beaucoup de discussions. L’hypothèse selon laquelle nous aurions en notre possession l’arrangement complet des vêpres (et pas simplement un ensemble de compositions pour les vêpres) se base avant tout et très certainement sur ce fait. Nous ne connaissons qu’un seul autre recueil qui comporte également cette combinaison,[12] et on ne peut pas vraiment les comparer.[13] La présence des deux magnificats est tout aussi déconcertante, et peut étayer l’hypothèse d’un arrangement pour les vêpres qui soit cohérent. Bien des recueils comportent de nombreux magnificats, mais ceux-ci sont souvent de type différent, tout comme la tonalité des psaumes, afin de pouvoir recommander l’usage d’un recueil particulier pour le plus grand nombre possible de vêpres ou d’autres occasions..[14] Avec le ritornelli ad libitum (in No. 2) et la notation falsobordone dans les parties vocales du répons, la présence inhabituelle des deux versions du même magnificat (avec et sans instrument obbligato) a suscité l’impression qu’il s’agit bien de deux versions d’un seul et même arrangement de vêpres (avec et sans instrument obbligato), et non pas d’un recueil qui se veut aussi généraliste que possible.[15]

A contrario, les points trois et quatre soulignent les demandes programmées très inhabituelles du recueil, dans lequel Monteverdi souhaite exposer une variété stylistique d’une grande portée. On trouve des extrêmes manifestes en termes de style entre la messe qui se veut résolument conservatrice et les concerti novateurs: tous deux sont extrêmes dans les formes qui sont employées ici, mais aucun des deux n’est inhabituel en soi. Cependant, les psaumes et le magnificat sont à couper le souffle. “Vespro della B. Vergine da concerto, composto sopra canti fermi” est le sous-titre programmé que l’on trouve sur la partition de la basse continue,[16] qui décrit la combinaison osée de la technique rétrospective du cantus firmus et du style du concerto ultra moderne au sein de la même composition. Comme le voulait l’usage, MONTEVERDI changeait de style d’un psaume à l’autre, mais respectait malgré tout le principe de base qu’il avait choisi. Tout comme la forme parodique de la messe, CASOLA avait aussi décrit qu’il s’agissait là d’un trait saillant dans la lettre qu’il a écrite à Ferdinando GONZAGA: “Salmi del Vespero della Madonna, con varie et diverse maniere d’inventione et armonia, et tutte sopra il canto fermo”.[17] Même si l’on peut remettre en question l’unité liturgique au sein du recueil (voir ci-dessous), l’unité artistique, de composition est déjà en soi attestée par ce sous-titre inhabituel.

Ce concept de programmation dans le recueil de 1610 peut également venir éclairer les deux premiers points ci-dessus. En soi, l’ordre alterné des concerti et la sonate répondent à une logique : celle d’augmenter le nombre de participants, principe qui s’applique à bien des recueils à l’époque. Le fait de les avoir intercalés entre les psaumes accentue le contraste et donne davantage de couleur au recueil. Des preuves indiquent que les motets (qui incluent les concerti) étaient bien joués entre les psaumes des vêpres. Cet ordre était donc efficace, idéal et il était programmé (indépendamment de tout contexte liturgique général). Les deux versions du magnificat[18] pourraient également être dues à la volonté de Monteverdi de prouver qu’il était capable de créer des compositions équivalentes : une version pour une instrumentation conséquente, et une version a cappella.

Dans toutes les partitions pour instruments où le nombre de participants dépasse le nombre de livres partiels disponibles (par exemple sept) les parties vocales et instrumentales sont respectivement imprimées sur chaque page à gauche et à droite en face d’un livre partiel. Le feuilletage de ces pages partagées le confirme. La distribution des voix supplémentaires s’effectue différemment dans les livres partiels pour chaque composition. Dans les trois œuvres avec instrumentation obbligato (Nos. 1, 11 et 13), le même instrument est rarement assigné deux fois à la même partie vocale. La Missa et le Magnificat sont traités comme des œuvres avec plus d’un mouvement. Lorsque les voix s’arrêtent pendant une certaine pièce, le marquage de « tacet » est utilisé. D’autres compositions sont traitées comme des œuvres individuelles à part entière car elles ne sont pas mentionnées dans les livres partiels non impliqués.

Le gros livre partiel “Bassus Generalis” contient, pour l’essentiel, une basso continuo, en grande partie sans figuration, qui prend encore souvent la forme d’une basso seguente dans les plus longs passages. D’autre part, les partitions des quatre concerti sont complètement imprimées dans le “Bassus Generalis” comme c’était l’usage pour ce type de musique.[19] Des partitions complètes existent aussi pour le Cruxifixus de la messe, pour les Nos 13g et 131 (? ou 13 i?). Ce livre partiel contient également des partitions incomplètes pour les Nos 1 (deux voix), 4 et 6 (trois voix). Dans notre édition nous nous référons donc à une “partition basso continuo”. Par ailleurs, le “Bassus Generalis” est déjà étiqueté comme “Partitura del Monteverde” dans sa signature. Dans la partie d’orgue publiée dans le matériel d’interprétation de cette édition, nous avons suivi la notation de la partition incomplète et ajouté les orientations telles qu’indiquées dans la partition originale “basso continuo”.

The Cantus partbook for the opening of the Monteverdi Vespers

 

Problèmes de liturgie

Dans les heures de prières au monastère, les vêpres sont constituées par essence de versets de cinq psaumes qui varient en fonction des fêtes de l’Église, et du magnificat. D’autres textes parlés peuvent être ajoutés. Le psaume et le magnificat sont encadrés par des antiennes (chantées avant et après le psaume) qui établissent une référence aux fêtes concernées.[20] Le ton du psaume est identique à celui de l’antienne. Les différentes phrases cadentielles (differentiae) des tons du psaume facilitent la reconnexion avec l’antienne. Pendant longtemps, la littérature sur les Vêpres de Monteverdi a décrit le fait qu’aucune fête mariale n’existe avec l’ordre du ton du psaume qui se produit dans les éditions de 1610. De nombreuses hypothèses s’inscrivent dans ces résultats, allant de celle de liturgies spéciales,[21] au déni de l’unité liturgique qui prévaut aujourd’hui, passant par l’affirmation que la référence de ton n’était pas prise au sérieux à l’époque de MONTEVERDI.

Cependant, de nombreuses indications montrent un traitement libéral des tons de psaume, bien qu’il ne soit pas tout à fait clair de ce que cela signifie en détail. Apparemment, les differentiae[22] n’étaient plus utilisées. Il existe des collections qui, en principe, proposent du matériel pour toutes les grandes fêtes de l’année liturgique de l’Église, contenant tous les psaumes impliqués dans les vêpres, mais tous utilisant une seule antienne de psaume.[23]. Monteverdi utilise également des cadences finales pour les tons de psaume, apparemment les seuls restants. Il emploie parfois les tons liturgiques à différents niveaux – au début et à la fin du psaume, rendant impossible un retour cohérent à l’antienne.[24]

Dans son aperçu des vêpres pour l’année liturgique de l’Église, Adriano BANCHIERI ne répertorie que les tons de psaume [25] qui varient d’une fête à l’autre pour le magnificat, soulignant en outre la signification apparemment légère des tons de psaume (et donc aussi pour les antiennes ?)

La position des concerti entre les psaumes s’explique le plus souvent par le fait qu’au lieu d’une répétition de l’antienne, ces concerti ont été effectués en sous-unités. Cette théorie a été renforcée par les récits des Vêpres dans lesquels des motets ont été réalisés entre les psaumes. Cependant, les comptes rendus des services vesper dans lesquels les motets ont été réalisés entre les psaumes[26] ne doivent pas nécessairement être interprétés comme une preuve documentaire qu’ils ont été substitués aux antiennes. Cela aurait pu être une pratique non “liturgique au sens propre du terme, puisque les vêpres du début du dix-septième siècle étaient présentées en quasi-concert. Ceci pourrait éventuellement expliquer de manière plus concluante pourquoi MONTEVERDI a par exemple placé des concerti entre les psaumes, beaucoup plus que l’idée de substitution d’antienne.[27] En principe, on ne peut que regretter le manque de recherches sur les pratiques liturgiques à ce stade, sans lesquelles une solution ne peut être trouvée.

De nos jours, la majorité des chercheurs suppose que la partie “vêpres” de l’édition de 1610 ne peut pas être considérée comme une entité liturgique pour laquelle une performance contemporaine peut être programmée.[28] Mais plutôt, Monteverdi aurait prévu que des sections individuelles soient réalisées dans différents contextes. Le fait que Monteverdi ait rompu avec la coutume de placer les concerti dans une section distincte de l’édition- en plus de l’ordre des psaumes et du magnificat dans leur succession liturgique habituelle dans l’édition des vêpres- et les mettre entre les psaumes à la place, pourrait indiquer un intentionnel ordre de performance. Ceci, à son tour, doit être compris comme “exemplaire” et non comme une “unité de performance” réelle.

Portrait of Pope Paul V (c. 1605-1606); painting by the Italian artist Michelangelo Merisi da Caravaggio (1571-1610), now in Palazzo Borghese, Rome

 

Modification des vêpres – Un aperçu historique

Au fil des années, les Vêpres de la Sainte Vierge ont fait l’objet de plus d’éditions que toute autre composition du dix-septième siècle. Carl VON WINTERFELD[29] a été le premier chercheur à publier des exemples isolés. Gian Francesco MALIPIERO a présenté en 1932 la première édition de la collection complète[30], Il apparaît dans l’édition complète des œuvres de MONTEVERDI, dont il était l’éditeur général. Ce n’était pas une édition académique selon les normes d’aujourd’hui. Aucune critique n’a été faite, et seules quelques notes de bas de page font référence à des écarts graves par rapport à la source. Les nombreuses erreurs dans le texte musical sont en partie le résultat des altérations de l’éditeur, et plus encore des mauvaises interprétations des preuves historiques qui nous ont été transmises. Néanmoins, son édition a été le point de départ d’une série d’éditions (qui ont souvent adopté, il faut le reconnaitre, les erreurs de MALIPIERO). Des éditions pratiques ont suivies, souvent marquées par des empiétements divers : la ré-instrumentation, les abréviations, les réarrangements et les transcriptions de la notation de mesure tardive, ce qui aujourd’hui nous semble absurde. Simultanément, les éditeurs ont commencé à omettre des parties de l’édition de 1610 (concerti) ou à la modifier (antiennes). Dans les deux cas, l’objectif a été la construction de vêpres liturgiques.[31]

Pendant une longue période, l’édition de Gottfried WOLTERS (1966) de la section complète de l’impression (avec seulement le Magnificat à 7) avait autorité pour la pratique musicale.[32]

L’édition de WOLTERS est la première qui contient des remarques critiques, quoiqu’incomplètes. Les valeurs des notes et les mesures sont toujours soumises à des changements drastiques. Bien que la partition ne contienne que les voix instrumentales originales, WOLTERS a fourni une orchestration complète de l’ensemble de vêpres dans l’accompagnement de la pièce, comme cela a été le cas dans de nombreuses éditions. Heureusement, il a retenu dans une large mesure l’instrumentation historique. Les suppléments liturgiques (antiennes) sont mentionnés dans une annexe. L’édition de WOLTERS a influencé la transmission des Vêpres comme aucune autre. Avec l’édition de Clifford BARTLETT de 1986 (rev. 1990/2010[33]), une nouvelle série d’éditions critiques basées sur la source a été lancée. Cependant, la substance musicale a été aliénée à nouveau, en raison d’hypothèses problématiques (transpositions et transcription en ternaire dans la sonate, comme mentionné ci-dessous). D’autre part, les problèmes de l’édition de 1610 restent non résolus et sont transmis aux artistes en raison d’une soumission exagérée à la source.[34]

Trois nouvelles éditions sont également apparues au XXIe siècle (la présente est la quatrième). Parmi ceux-ci, la nouvelle édition d’Antonio DELFINO[35] qui a été publiée dans le cadre de la nouvelle édition complète des œuvres de MONTEVERDI (2005), mérite d’être mentionnée. C’est la première (et seule) édition jusqu’à maintenant qui répond aux attentes modernes d’une édition critique, en particulier dans le traitement du matériel historique qui nous a été transmis et dans son interprétation objective du texte musical. D’autre part, les formes raccourcies de triolet (transformé en sextolet dans l’édition de DELFINO) sont troublantes et ne sont plus à jour; cela résulte des directives obsolètes de l’édition de MONTEVERDI.

 

“Claudio MONTEVERDI: Vespro della Beata Vergine, publié par Uwe WOLF, Stuttgart (Carus) 2013. Utilisé avec permission”.

 

Uwe Wolf

 

Uwe WOLF a étudié la musicologie, l’histoire et la science auxiliaire historique à Tübingen et à Göttingen. Après avoir obtenu son doctorat en 1991, il a été assistant de recherche au Johann-Sebastian-Bach-Institut à Göttingen. À partir de 2004, il a travaillé au Bach-Archiv Leipzig. Là, il a dirigé les deux départements de recherche, était essentiellement responsable de la rediffusion du Musée de Bach, et il a développé le Digital Online-Projekt Bach. Depuis octobre 2011, il est rédacteur en chef à Carus-Verlag, à Stuttgart. Il a enseigné dans diverses universités, et appartient également aux comités de rédaction de plusieurs éditions complètes. Courriel: uwolf@carus-verlag.com

 

Traduit de l’anglais au français par Blandine Fourchet et Ingrid Meka. Relu par Jean Payon.

 

[1] Pour le titre intégral cf. Rapport critique.

[2] Dans le texte d’origine: “Il Monteverdi fa stampare una Messa da Cappella a sei voci di studio et fatica grande, essendosi obligato maneggiar sempre in ogni nota per tutte le vie, sempre più rinforzando le otto fughe che sono nel motetto, in illo tempore del Gomberti e fà stampare unitamente ancora di Salmi del Vespro della Madonna, con varie et diverse maniere d’inventioni et armonia, et tutte sopra il canto fermo, con pensiero di venirsene a Roma questo Autumno, per dedicarli a Sua Santità ”. Cette lettre a d’abord été publiée par Emil VOGEL, “Claudio MONTEVERDI. Leben und Wirken im Lichte der zeitgenössischen Kritik und Verzeichnis seiner Werke”, dans: Vierteljahrsschrift für Musikwissenschaft 3 (1887), p . 430 . Cette lettre a souvent été citée dans la littérature se rapportant aux Vêpres.

[3] Cf. Uwe WOLF, Notation und Aufführungspraxis. Studien zum Wandel von Notenschrift und Notenbild in italienischen Musikdrucken der Jahre 1571−1630, Kassel, 1992, vol. I, p. 44 et seq.

[4]  Il faut savoir qu’à l’époque, les manuscrits de musique ne pouvaient pas être publiés dans beaucoup d’endroits. Le recueil de Monteverdi a fait son apparition au beau milieu du centre de l’édition d’œuvres musicales, dans l’une des grandes imprimeries de Venise (Riccardo AMANDINO). De là, les exemplaires devaient d’abord être retournés à MONTEVERDI.

[5] Jeffrey KURTZMAN, The Monteverdi Vespers of 1610. Music, Context, Performance, Oxford, 1999, p. 14. Le Pape a séjourné à Mantoue en mai 1670. La représentation de L’Orfeo avait déjà eu lieu en février 1607, mais aurait très bien pu être un sujet de discussion à la Cour.

[6] Par exemple, il est aussi difficile d’expliquer l’absence d’une troisème partie pour cornet à bouquin dans le répons (la partie du premier alto correspondrait parfaitement) que l’absence d’altos dans la Sonate et dans le Magnificat.

[7] Cf. entre autres John WHENHAM, Monteverdi: Vespers 1610, Cambridge, 1997, p. 29 et seq.

[8] Plusieurs hypothèses ont été résumées par KURTZMAN 1999, p. 11 et seq.

[9] Un document vénitien mentionne que les œuvres tests que MONTEVERDI a données, ainsi que celles qu’il a publiées, ont joué en faveur de son élection (cf. WHENHAM, 1997, p. 40 et KURTZMAN, 1999, p. 52 et seq,). On peut affirmer avec certitude que seules les œuvres sacrées ont été consultées. Mis à part les trois premières œuvres vocales Sacrae cantiunculae (1582) et le manuscrit de 1610, Monteverdi n’avait pas publié d’autres œuvres sacrées.

[10] Michael Praetorius raccourcit encore davantage le titre et parle des “Psalmi vespertini” de Monteverdi (“Claudii de Monteverde”), formulation courante pour la page de titre à l’époque (Syntagmatis Musici … Tomus Tertius, Wolfenbüttel, 1619, réédition, Kassel, 1954 (Dokumenta musicologia, I : XV), p. 128; Praetorius décrit ici la suite des versets de l’hymne “Ave maris stella”).

[11] Quelques exemples : Giovanni Paolo Cima, Concerti ecclesiastici, Milan, 1610 ; Francesco Rognoni Taegio, Messa, salmi intieri et spezzati, Magnificat, falsi bordone & motetti, Milan, 1610 ; Valerio Bona, Messa e vespro a quattro chori, Venice, 1611; Tomaso Cecchino, Psalmi, missa, et alia cantica, Venice, 1619 ; Sigismondo Arsilli, Messa, e vespri della Madonna, Rome, 1621.

[12] Paolo Agostini, Salmi della Madonna, Magnificat A 3. Voci. Hinno Ave Maris Stella, Antiphone A una 2. & 3. Voci. Et Motetti. Tutti Concertati, Rome, 1619.

[13] D’une part, les antiennes comportent bien des textes antiphonaires, et d’autre part, elles sont notées (de manière représentative) entre les psaumes. Cependant, dans la table des matières (tavola), ces deux éléments sont listés dans des groupes distincts.

[14] Uwe Wolf, “Et nel fine tre variate armonie sopra il Magnificat. Bemerkungen zur Vertonung des Magnificats in Italien im frühen 16 . Jahrhundert”, in : Neues Musikwissenschaftliches Jahrbuch 2 (1993), pp. 39−54.

[15] Manfred H. Stattkus voit également deux versions de la même œuvre (SV 206, 206a) ; cf. Claudio Monteverdi. Verzeichnis der erhaltenen Werke. Kleine Ausgabe, Bergkamen, 1985, p. 50 et seq.

[16] En-tête du répons sur la partition de la basse continue.

[17] Cf. note de bas de page 3.

[18] Les spécialistes ont examiné plusieurs questions, notamment la suivante: quelle version est la plus ancienne, y a-t-il même deux versions de la même composition, ou bien s’agit-t-il simplement de compositions similaires? (voir Whenham, 1997, p. 78 et seq, et Kurtzman, 1999, p. 264 et seq,, avec un résumé de la discussion à jour). Cependant, certaines indications plaident en faveur de l’idée que l’interrelation des deux Magnificats est plus compliquée qu’il n’y paraît, et ne peut pas simplement être décrite par les termes unidimensionnels “première version” et “deuxième version”: les deux compositions contiennent des passages qui permettraient d’affirmer qu’il faudrait considérer qu’ils proviennent d’une œuvre plus ancienne. Des précurseurs auront très certainement existé, ce qui fait que les deux versions se seront mutuellement influencées.

[19] La partition n’a pas de texte, car il existe une partie vocale distincte; en revanche la musique monodique séculaire n’a été publiée que sous forme de partition.

[20] Cf. WHENHAM, 1997, p. 8ff . sur la structure du service des Vêpres après les réformes du Concile de Trente

[21] L’exemple le plus marquant est l’hypothèse de Graham DIXON, selon laquelle les Vêpres ne sont en réalité pas en l’honneur de la Vierge Marie, mais ont été composées pour Sainte-Barbade de Mantoue, selon une forme liturgique propre à Mantoue (“Les Vêpres de Monteverdi de 1610:” della Beata Vergine ” ? “, Dans Early Music 15 [1987], p. 386-89). Cette position est contradictoire à l’argument selon lequel les vêpres selon la liturgie de Mantoue n’auraient été guère adaptées pour une dédicace au Pape, et probablement pas pour publication

[22] WHENHAM 1997, p . 22; Pietro Pontio, Ragionamento di musica, Parme, 1588, re- print, Suzanne Clercx (ed .), Kassel et al ., 1959 (Documenta Musicologica, I:XVI), p . 97f .

[23] Par exemple, Giovanni Giacomo GASTOLDI, Psalmi ad vesperas in totius anni solemnitatibus, Venise, 1588, 21592 ; Adriano BANCHIERI, Salmi festivi intieri, coristi, allegri, et moderni, Venice, 1613 . Cf . also Whenham, 1997, p. 15.

[24] Pour plus de détails , cf . Whenham, 1997, p. 60ff.

[25] Adriano BANCHIERI, L’Organo Suonarino, Venice, 11605, reprint, Amsterdam (ensemble avec les éditions de 1611 et1638), n.d. (Bibliotheca Organologica, XXVII). dans “Norma a gli organisti” (p . 118ff.), Seuls l’hymne et le ton du magnificat dans les vêpres sont nommés pour les différentes fêtes.

[26] WHENHAM, 1997, p. 20. Banchieri reference à l’’orgue joué entre les psaumes (L’Organo Suonarino, Venice, 21611, p. 45 de l’édition facsimile, voir note 25).

[27] Cf . également Whenham, 1997, p . 19.

[28] Ibid., p. 2, and Kurtzman, 1999, p . 39 .

[29] Carl von Winterfeld, Johannes Gabrieli und sein Zeitalter, Berlin, 1834, reprint, Hildesheim 1965, vol. III, p . 112f. (Dixit Dominus) et p. 114f. (Deposuit of Magnificat a 7) .

[30] Monteverdi Opere, vol. XIV, parties 1 et 2.

[31] Pour information sur les éditions jusqu’en 1999, cf. Kurtzman, 1999, p. 15ff.

[32] Claudio Monteverdi, Vesperae beatae Mariae virgini. Marien­Vesper 1610, ed. par Gottfried Wolters, Wolfenbüttel et Zürich, 1966.

[33] Monteverdi, Vespers (1610), éditions revisées 1990 et2010, respectivement , ed. par Clifford Bartlett, Huntingdon, 1990 et 2010.

[34] Claudio Monteverdi, Missa da capella a sei. Vespro della Beata Vergine, editione critica di Antonio Delfino, Cremona 2005 (Claudio Monteverdi: Opera Omnia. Edizione nazionale a cura della Fondazione Claudio Monteverdi, Volume nono).

[35] Cf. par exemple H. von Loesch, article “Violoncello,” in: MGG2, Sachteil, vol . 9 (1998), col. 1686ff, 1998.

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