Un Entretien avec H. Royce Saltzman
Par Kathy Saltzman Romey, Directrice des activités chorales à l’université du Minnesota et directrice artistique du chœur Minnesota Chorale
Pendant toute ma vie, j’ai eu la chance d’avoir des professeurs, conseillers et mentors merveilleux. J’ai eu le bonheur d’avoir comme père H. Royce Saltzman, qui a rempli tous ces rôles à la fois. Son travail comme chef de chœur, co-fondateur, directeur exécutif du Oregon Bach Festival, Ancien Président de l’ACDA (l’association américaine des chefs de chœur), membre fondateur et ancien président de la Fédération Internationale pour la Musique Chorale, a eu un profond impact sur ma vie et ma carrière dans la musique chorale, mais aussi sur la vie d’innombrables autres personnes du monde choral. Par sa vision, son art, sa diplomatie, sa passion, son sens du service et son engagement, j’ai appris à comprendre le rôle important que peut jouer la musique chorale dans la société pour promouvoir l’entente entre différentes peuples et cultures. C’est avec grande fierté et admiration que je partage avec vous l’entretien qui suit et qui reflète une partie des idées et conseils que j’ai eu le privilège d’obtenir de lui au cours de ma vie.
Romey: D’où vient ton intérêt pour la musique chorale?
Saltzman: Quand j’étais petit, je vivais à Abilene, au Kansas, et dans notre église les instruments de musique était interdits pendant l’office. La congrégation chantait des hymnes à quatre voix, non accompagnés, et mon père était le chantre. Presque toutes les semaines, les gens venaient à la maison pour chanter… des quatuors, des octuors, etc. Ces “rassemblements” étaient des événements sociaux importants, remplaçant le cinéma et la danse, qui n’étaient pas permis non plus par notre église. J’ai donc grandi avec l’amour et la compréhension de la musique vocale. Chanter est devenu un partie intégrante de ma vie depuis mon enfance jusqu’à aujourd’hui.
Romey: Y avait-il des personnalités spécifiques dans ta vie qui ont encouragé cet intérêt dans la musique chorale?
Saltzman: Mes parents, bien sûr ; mais trois autres personnes ont été mes mentors: les chefs de chœur Earl Miller au Messiah College et Mary Oyer au Goshen College, qui tous deux ont fortement insisté sur la tradition non accompagnée. La troisième personne était Charles Hirt de l’University of Southern California (USC). Tous les trois ont eu une grande influence dans mon engagement pour l’art choral. Ils m’ont fortement stimulé dans mon désir de devenir chef de chœur, enseignant et administrateur.
Cela était particulièrement vrai à l’USC, où Charles Hirt m’a ouvert des portes – j’y étais son assistant de direction de chœur, à l’enseignement et à l’administration – c’est là où j’ai acquis les bases pour mes futurs rôles de leadership. Il était un modèle pour moi, le miroir quotidien du type de musicien que je voulais et devais être. Dans un sens très réel, je suis une “extension” de ces trois personnes, un rappel que chacun d’entre nous a une occasion unique d’influencer ceux avec qui nous travaillons. C’est une vocation qu’il faut prendre très au sérieux, car l’impact qu’on a sur la vie des étudiants et chanteurs peut constituer la base sur laquelle ils construisent le travail de toute leur vie.
Romey: Une grande partie de ta carrière s’est faite dans l’administration musicale. Quand as-tu commencé et comment as-tu acquis ces compétences?
Saltzman: Mes premiers pas dans ce domaine ont été faits à l’USC. Quand Charles Hirt a pris un congé sabbatique, je fus nommé chef par intérim du département de la musique d’église pour quelque temps. Plus tard, pendant onze ans, j’ai été doyen associé et coordinateur du troisième cycle de la Music School de l’université d’Oregon, et pendant vingt-deux ans, j’ai été directeur des sessions d’été.
A l’université, j’étais avant tout enseignant et chef de chœur, mais j’ai trouvé que l’aspect créatif de l’administration avait aussi ses mérites. Les possibilités d’innover et d’imaginer m’ont inspiré, j’avais le sentiment de pouvoir apporter une contribution, non seulement dans la classe et sur l’estrade, mais aussi en développant des programmes pour la direction chorale. A cette époque je me suis impliqué à fond dans un rôle de leadership au sein de l’ACDA. Ce fut aussi l’époque où l’idée d’un festival Bach d’Oregon est née.
Comment ai-je acquis ces compétences? Le plus important était le défi de mettre en pratique les idées: commencer quelque chose de nouveau et le mener à bien. La “naissance” fut souvent difficile, mais en cas de succès les résultats en valaient la peine. Je sais qu’il y a eu aussi des résultats aléatoires. Mais j’aimais le défi, et mon avenir comme administrateur était tracé!
Romey: Quand as-tu été président de l’ACDA et qu’est-ce qui était important pendant ta présidence?
Saltzman: J’ai été président de 1979 à 1981. Plusieurs choses se sont passées pendant cette période dont je pense qu’elles ont contribué à l’efficacité de l’ACDA.
Colleen Kirk et moi étions fermement persuadés que les présidents de l’organisation, au niveau des Etats et des Divisions (régions), manquaient de compréhension en ce qui concerne leurs responsabilités, c’est-à-dire qu’ils ne savaient pas ce qu’on attendait d’eux à leurs postes respectifs. Souvent, il ne s’agissait que de boîtes de chaussures remplies de correspondance, qu’on transmettait à son successeur. En fait, il n’y avait pas de lignes directrices ou de description de poste afin d’assurer une efficacité ou une productivité quelconque.
Avec l’aide du secrétariat national et une bourse du National Endowment for the Arts, la première conférence de direction (Leadership Conférence) fut organisée à l’université Cameron à Lawton, Oklahoma, en 1979. Cette conférence comprenait des ateliers sur la finance, la direction, l’écriture de newsletters, une présentation de l’ACDA en tant qu’organisation nationale, et beaucoup d’autres choses. Ce fut un grand pas en avant pour l’amélioration de la gestion de l’association. Aujourd’hui, cette conférence fait partie intégrante de la structure administrative de l’ACDA.
Dans ma rubrique “Le mot du président” du Choral Journal je me suis prononcé pour la création d’archives de l’ACDA 1. Walter Collins reprit cette idée et fut le moteur pour la réalisation de ce projet 2. J’ai proposé aussi la création d’un fonds de dotation afin d’assurer la stabilité financière de l’organisation. C’est Gene Brooks qui l’a démarré 3. Il était très important pour moi d’établir un dialogue avec des collègues et des organisations sur le plan international.
La décision la plus controversée fut peut-être la séparation de la North Central Division, qui était en pleine expansion, en deux régions géographiques: North Central et Central. Il y avait d’âpres discussions soulevant des émotions intenses chez les pour et les contres. La région de North Central était très bien gérée, elle avait beaucoup de membres et des programmes d’une grande qualité. Alors, pourquoi casser la famille? La raison en était la croissance et la taille géographique. La Division North Central fut réduite de dix à six Etats, et la Central Division en comprenait quatre. Il paraît que trente ans après, le dicton less is more (moins est plus) s’avère juste.
Romey: De quelle manière étais-tu impliqué dans la création de la Fédération Internationale pour la Musique Chorale (FIMC)?
Saltzman: Pendant longtemps de nombreuses personnalités du monde choral ont discuté de l’idée de créer une organisation internationale qui faciliterait la coopération et l’échange entre chœurs, institutions éducatives et organisations nationales. J’ai participé à des réunions à Lucerne (1979) et de nouveau à Paris l’année suivante, avec à l’ordre du jour la discussion de cette idée.
Au congrès national de l’ACDA à la Nouvelle Orléans en 1981, j’ai organisé un sommet choral auquel ont participé des personnalités de treize pays: Robert Solem (Canada); Ma Ge-shun (Chine); Waldo Aranguiz (Chile); Marcel Corneloup, Marcel Couraud, Claude Tagger (France); John Poole (Grande Bretagne); Christoph Kühlewein, Walter Weidmann, Herbert Sass, Paul Wehrle (Allemagne); Takashi Iijima, Kan Ishi (Japon); Oriol Martorell (Espagne); Eskil Hemberg (Suède); Willi Gohl (Suisse); Vialimirov Sokolov (URSS); Alberto Grau (Venezuela); James Bjorge, Gene Brooks, Walter Collins, Maurice Casey, Charles Hirt, Colleen Kirk, and Russell Mathis (USA).4
Ce groupe discutait des questions concernant les tournées, l’éducation, le partage des informations et des matériaux, mais avant tout de l’établissement d’une organisation internationale pour faciliter la coopération et l’échange. L’ambiance du groupe était électrique, et la description que Charles Hirt en fit dans une lettre à l’éditeur Don Hinshaw le dit très bien:
Ces jours-là nous étions feu et flamme, plein d’enthousiasme et d’un sens du destin, en réalisant ce qu’un monde chantant ensemble pourrait accomplir, sans la pression de la politique et sans petitesse. Je n’oublierai jamais quand, au moment de l’adieu, du fond de la salle, Walter Collins a commencé spontanément à chanter le canon Dona Nobis Pacem, et comme très vite toute la salle était rempli de ce chant et nos yeux d’émotion5.
Par la suite, j’ai présidé un comité intérimaire qui s’est réuni à Loughborough en Angleterre, pour 1. Ecrire des statuts, 2. Choisir un nom qui signifierait la portée globale de l’organisation à créer, et 3. Décider des organisations fondatrices appelées à donner leur support et une validité à cette alliance naissante. C’est ainsi que l’enfant nommé FIMC est né en 1982.
Romey: Tu étais président de la FIMC pendant ses débuts. Quand était-ce et qu’est-ce qui était important pendant ta présidence?
Saltzman: Paul Wehrle (Allemagne), visionnaire et adepte d’une organisation chorale internationale depuis longtemps, fut le premier président de la FIMC de 1982 à 1985. J’étais son successeur, ma présidence a duré huit années, une partie de ce temps étant intérimaire suite au décès du président de l’époque, Claude Tagger (France). Les autres présidents étaient Maria Guinand (Venezuela), Eskil Hemberg (Suède), Lupwishi Mbuyamba (Mozambique), et en ce moment, par intérim, Michael Anderson (USA). Le comité exécutif et le conseil d’administration de la FIMC comprend des personnes de dix-neuf pays, et ses conseillers viennent de quinze pays.
Qu’est-ce qui était important pendant ma présidence?
Dans les premières années de la FIMC, un des objectifs premiers était d’établir des relations avec des personnalités du monde choral dans le monde entier, avec des collègues qui comprenaient que le langage du chant a le pouvoir d’unir les gens sans tenir compte des différences culturelles, idéologiques, religieuses, linguistiques ou raciales. Qui comprenaient qu’ensemble, à travers la FIMC, nous pouvions faire une différence sur le plan international et national. Ma responsabilité était ambassadoriale, dans le vrai sens du terme.
J’ai beaucoup apprécié le fait d’être impliqué dans le processus créatif de la préparation des trois premiers symposiums mondiaux, à Vienne, à Stockholm et à Vancouver. A Vienne c’était difficile, car la FIMC avançait dans des eaux inconnues en planifiant un symposium mondial. Trois ans plus tard, à Stockholm, avec une extension du programme en Estonie et en Finlande, et avec Christian Ljunggren comme président local, c’était passionnant. Le programme comprenait une représentation du Chœur de la radio suédoise, puis le Requiem de Brahms avec le Chœur national de l’URSS, le Chœur mondial des jeunes (avec des chanteurs de 25 pays), la Schola Cantorum de Caracas, le chœur Arnold Schönberg et l’Orchestre de la radio suédoise sous la direction de Robert Shaw. En Estonie, il y avait une promenade chorale dans Tallinn avec le chœur de chambre philharmonique estonien; et en Finlande, Krzysztof Penderecki dirigeait son Polish Requiem (Requiem polonais) avec l’Orchestre de la radio finlandaise, les Dale Warland Singers, le chœur de chambre Suomi de Finlande, et le chœur Ave Sol de Lettonie. Ce fut un triomphe mondial! A Vancouver, en présence d’un comité préparatoire superbe, nous avons introduit pour la première fois un chœur de la République Populaire de Chine, et Exaudi, un chœur de chambre de Cuba. Ces symposiums ont véritablement posé les fondements pour les suivants.
Romey: Quel sont les contributions les plus importantes de la FIMC à l’art choral?
Saltzman: Sans aucun doute, les symposiums mondiaux qui ont lieu tous les trois ans: le premier à Vienne (1987), puis à Stockholm (1990) suivi de ceux Vancouver (1993), de Sydney (1996), de Rotterdam (1999), de Minneapolis (2002), de Kyoto (2005), de Copenhague (2008), et en 2011, celui de Puerto Madryn, en Argentine. Cette manifestation de sept jours de concerts, ateliers et master classes expose de manière très claire les objectifs de la Fédération en offrant une perspective globale de la musique chorale qu’on ne trouve nulle part ailleurs.
D’autres contributions significatives sont le Chœur mondial des jeunes, l’International Choral Bulletin, (bulletin choral international, la publication trimestrielle officielle de la FIMC), le World Choral Census (un répertoire des personnalités et organisations chorales du monde entier), MUSICA International (une base de données contenant 156.000 titres de répertoire choral), des Commissions, Songbridge (un forum pour chœur d’enfants et de jeunes), la Journée mondiale du chant choral, et la collection chorale Cantemus contenant du répertoire international.
Aujourd’hui, la FIMC a environ 2000 membres dans le monde entier, répartis en quatre catégories: membres individuels, chœurs, organisations et entreprises. Elle est également membre du Conseil international de la musique de l’UNESCO, où elle représente officiellement le monde choral.
Romey: L’Oregon Bach Festival (OBF) fêtera un anniversaire important cette année. Comment ce festival a-t-il débuté, comment s’est-il développé pendant ces quarante ans?
Saltzman: Difficile à croire qu’en 2010 l’Oregon Bach Festival existe depuis quarante ans déjà; cette manifestation n’avait pas été prévue comme cela, mais a simplement évolué au cours de cette période.
En 1968-69, j’étais directeur du Centre international de l’éducation musicale de l’université d’Oregon, qui était essentiellement consacré à la musique d’église et chorale. Les étudiants s’inscrivaient à l’université à Eugene, mais prenaient leurs cours à la Pädagogische Hochschule (école normale supérieure) à Ludwigsburg, Allemagne. John Haberlen, ancien président de l’ACDA, est ancien élève de ce groupe. C’est au cours de cette année académique que j’ai rencontré Helmuth Rilling, chef de chœur souabe peu connu de Stuttgart. L’année suivante, ces deux jeunes chefs de chœur, Helmuth Rilling de Stuttgart et Royce Saltzman d’Eugene, ont semé les graines de ce qui deviendra plus tard un festival d’été. Le format de cette première manifestation musicale discrète a réuni deux composants importants : éducation et exécution/interprétation: master classes pour musiciens professionnels et conférences-démonstration pour musiciens amateurs et public aboutissant à une série de concerts centrés sur la musique de Bach.
Bien que le festival fût centré sur la musique de Bach, des œuvres d’autres compositeurs comme Brahms, Beethoven, Haydn, Monteverdi, Mozart et Verdi ont été données. La musique de compositeurs vivants a toujours été une priorité. En 1994, le festival a demandé à Arvo Pärt de composer Litanie. Osvaldo Golijov a composé en 1996 la cantate Oceana. En 1998, Krzysztof Penderecki a écrit son Credo, œuvre commandé de concert avec l’Internationale Bachakademie de Stuttgart (IBA), dont l’enregistrement a été élu “meilleure prestation chorale” au 43° Grammy Awards. Et plus récemment, en 2009, il y eut une deuxième collaboration avec l’IBA pour le Messie de Sven David Sandström.
J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir collaborer avec Helmuth Rilling pendant toutes ces années. C’est un musicien accompli, un maître enseignant et un chef remarquable – un génie de communication en ce qui concerne le langage du geste et l’importance du texte. Personnellement, c’est un grand ami. Le fait que Rilling ait choisi de rester directeur artistique et chef du festival pendant quarante ans est l’expression de son engagement dans la durée pour les deux aspects les plus importants du festival : éducation et exécution/interprétation.
Romey: Peux-tu expliquer la partie éducative de l’Oregon Bach Festival et le fort engagement pour cet aspect du festival?
Saltzman: Le festival est une entité juridique d’une institution éducative, c’est-à-dire de l’université d’Oregon. Ses deux cofondateurs sont enseignants et dirigeants; il est, par conséquent, logique que l’éducation soit une grande priorité dans la mission du festival.
J’ai souvent dit que l’éducation est en fait le battement du cœur du festival. Dès le début, Helmuth Rilling a donné une master class de direction qui au cours des années a inclus des dirigeants de plus de trente pays. La Stangeland Family Youth Choral Academy avec ses 85 membres et dirigé par Anton Armstrong est dans sa treizième année et attire des chanteurs des écoles secondaires du pays entier, et cette année, pour la première fois, de la Russie. La série “Découvertes” avec ses conférences-démonstration donnés par Rilling est destinée à éduquer le public tout en offrant aux étudiants des master classes des occasions de diriger en direct (live). La session InChoir est ouverte à tous ceux qui ont envie de chanter les grands chefs-d’œuvre avec le chœur professionnel du festival avec ses 54 membres. L’initiative “Musique dans les écoles primaires” apporte quotidiennement la musique classique dans les écoles primaires locales. Puis il y a le Hinkle Lectureship, la série Let’s talk et des conférences Inside Line avant les concerts. Tous mettent l’accent sur l’éducation, valeur fondamentale du festival.
Je suis très fier que le festival change et continue à changer la vie des personnes. Il est vrai qu’il y a eu de nombreux concerts inoubliables, mais Rilling et moi avons toujours dit que la chose la plus importante pour nous dans la pratique musicale et l’offre éducative était de changer la vie des gens. C’est sur ces fondements que le festival s’est construit et c’est l’héritage que je voudrais laisser.
Romey: Récemment tu as abandonné la position de directeur exécutif de l’Oregon Bach Festival. De quelle manière restes-tu impliqué et comment vois-tu l’avenir du festival?
Saltzman: La transition de direction peut s’avérer difficile. Je suis très content que mon successeur, Dr. John Evans de la radio BBC 3, du Royaume Uni, est dorénavant président et directeur exécutif de l’OBF. A sa demande je fais partie du conseil d’administration du festival. Le plus excitant est le fait que cette année nous avons atteint notre but de dix millions de dollars pour le fonds de dotation. C’est un “Amen” reconnaissant pour une des parties les plus significatives de ma vie. Le changement est inévitable. Le festival est en bonnes mains et le sera à l’avenir. En tant que directeur émérite il est important pour moi de connaître mon rôle. Conseiller quand c’est nécessaire, défenseur toujours, et parrain déterminé dans la mesure du possible.
Romey: En regardant ta carrière, comment as-tu trouvé un équilibre entre toutes tes responsabilités et ta vie familiale?
Saltzman: Je ne pense pas avoir très bien réussi cet aspect de ma vie. J’ai laissé mes devoirs professionnels avec leur appétit insatiable en temps et énergie prendre le dessus sur mes obligations de mari et de père. Pendant de nombreuses années, ma femme Phyllis s’est occupée seule de l’éducation de nos quatre filles, tandis que je me suis consacré à l’enseignement à l’université d’Oregon, à la direction chorale à l’église épiscopale St. Mary, au développement de l’OBF et aux positions de direction à l’ACDA. Ensuite, j’ai abandonné l’enseignement pour me consacrer à temps complet à l’OBF avec ses innombrables heures de planning, et à participer au développement de la FIMC, ce qui nécessitait tous les ans beaucoup de voyages internationaux. La volonté de Phyllis de remplir le rôle des deux parents pendant mes absences et de me soutenir dans mon travail, a maintenu la famille intacte. En plus, elle s’est impliquée dans le festival en organisant des événements sociaux pour musiciens et donateurs. Elle m’a aidé à établir des relations à l’intérieur de la communauté et a ainsi contribué au succès du festival. Aujourd’hui, les filles reconnaissent que l’absence de leur père pendant leur adolescence était un lourd tribut à payer pour le succès de ce dernier. Et je suis d’accord avec elles. C’est une leçon apprise, quelque chose qui ne devrait pas être ignoré par les collègues occupant des postes à responsabilité.
Romey: Compte tenu de ton travail dans l’éducation musicale et l’administration, à ton avis, quels sont les défis pour la génération montante de chefs dans ce pays? Quels conseils leur donnerais-tu?
Saltzman: Les défis majeurs se situent au niveau de la disparition du chant dans les écoles et le public réduit dans les concerts.
D’après une nouvelle étude de Chorus America, 32,5 millions d’adultes chantent régulièrement dans une chorale aux Etats Unis, et si on compte les enfants, on arrive à 42,6 millions. C’est remarquable, certes. Mais il est quand même désolant qu’à cause des restrictions budgétaires le chant ne fasse plus partie du programme de la plupart des écoles primaires et d’un certain nombre d’écoles secondaires. Les enfants deviennent illettrés dans la forme artistique la plus pure, le chant. C’est un mauvais vent qui souffle à travers notre pays et qui peut causer l’érosion de tout ce qui a été florissant dans le passé. Le résultat a des conséquences majeures pour l’avenir du chant choral. Une fondation défaillante menace la structure bâtie au-dessus. Le défi c’est de trouver des méthodes innovatrices pour que le chant devienne une partie intégrante de la vie des enfants et adolescents. Leur participation sera déterminante pour l’existence d’un public à l’avenir qui s’implique et s’engage dans la musique chorale.
John F. Kennedy a dit : La vie des arts, loin d’être une interruption ou une distraction dans la vie d’une nation, est près du cœur de ce qui constitue une nation et un test de la qualité de sa civilisation.
J’applaudis les chefs de chœur qui offrent des possibilités de chanter dans une chorale à l’extérieur de leurs organisations académiques ou civiles. Si la musique chorale est exclue de notre travail éducatif, les programmes accessibles dans la communauté sont d’une importance vitale.
Romey: Comment la musique chorale se présente-t-elle de là où tu es, au niveau national ou international?
Saltzman: L’époque dans laquelle nous vivons offre aux chefs de chœur du monde entier une large gamme de ressources inconnues jusqu’ici, comme la communication directe via les courriels et Skype, un plus grand accès à un répertoire international fourni par les maisons d’édition et les organisations grâce à MUSICA, plus de possibilités de donner des concerts dans le monde entier, et l’accessibilité à des œuvres traduites et publiées en relation avec notre profession. Nous sommes devenus une communauté élargie très diverse qui est liée par notre bien commun, l’art choral.
Quant à l’avenir, il est indispensable que nous élargissions nos horizons respectifs pour devenir des participants actifs de cette communauté globale. Nous devons continuer à forger des relations permettant à chacun de nous – et à nos chanteurs et étudiants – de devenir des citoyens internationaux de la tradition chantante.
H.Royce Saltzman est directeur émérite de l’Oregon Bach Festival, une organisation qu’il a fondé en 1970 avec Helmuth Rilling, directeur artistique du festival. Sous sa direction, le festival est devenu un des plus importants des Etats Unis. En 2010, il a fêté ses 40 ans. Saltzman a obtenu son Bachelor du Goshen College, son Masters de la Northwestern University et son doctorat de l’University of Southern California. En 1964, il a intégré le corps enseignant de l’université d’Oregon, où, plus tard, il a été doyen associé de la School of Music pendant douze ans. Il a été président national de l’American Choral Directors Association de 1979 à 1981 et président de la Fédération Internationale pour la Musique Chorale de 1985 à 1993. Saltzman a été cinq fois membre d’une commission de la National Endowment for the Arts. Il est membre honoraire de la Zimriya, l’assemblée mondiale des chœurs en Israël. Il a été conseiller honoraire du festival choral international de Beijing, ancien membre du conseil de Chorus America et du conseil de l’académie Bach de Venezuela à Caracas. Il est membre du Conseil d’Administration de l’Internationale Bachakademie-Stuttgart. En 1994, il a obtenu la croix de l’ordre du mérite, la distinction politico-culturelle la plus élevée d’Allemagne. D’autres distinctions comprennent le Distinguished Service Award de l’université d’Oregon (1996) et celui de Chorus America (2010) ainsi que des médailles accordées à des anciens élèves de Messiah Collge, Goshen College, Northwestern University et la Thornton School of Music de l’USC. En 1997, il a été honoré avec le First Citizen Award de la ville d’Eugene. En juin 2010, Royce et sa femme ont célébré leur 58° anniversaire de mariage. Ils habitent à Eugene, Oregon. Ils ont quatre filles, dont Kathy Romey est l’aînée, et sept petits-enfants. Courriel: saltzman@uoregon.edu.
1 The Choral Journal, “President’s Comments”, 6, February 1980
2 The Choral Journal, “President’s Comments”, 4, April 1981
3 The Choral Journal, “President’s Comments”, 6, January 1981
4 Sheila Pritchard, “International Federation for Choral Music: Background, Beginnings, and First Decade”. Doctoral Dissertation, 1994, Vol I, 135-6.
5 Ibid, p. 138.
Kathy Saltzman Romey est directrice des activités chorales à l’université du Minnesota, directrice artistique du chœur Minnesota Chorale, et chorus master à l’OBF. Courriel: romey001@umn.edu
Cet entretien a été publié dans le Choral Journal vol. 51, n° 1, août 2010 et reproduit et traduit avec l’aimable permission de ce journal et les auteurs.
Traduit de l’anglais américain par Jutta Tagger, France