Oscar Escalada, chef de chœur, compositeur et professeur
J’ai déjà exposé, dans la première partie de mon livre Un coro en cada aula (un chœur dans chaque classe), les raisons qui me mènent à affirmer que tout enfant qui peut parler peut chanter.
En septembre 1978 avait lieu à Alma Ata (aujourd’hui Almaty), au Kazakhstan, la Conférence internationale sur les soins de santé primaires, organisée par l’ONU, l’UNESCO et l’UNICEF avec la participation de 134 pays et de 67 organisations non gouvernementales. La Déclaration finale de cette Conférence a exprimé la nécessité d’une action urgente de tous les gouvernements, de tous les personnels des secteurs de la santé et du développement ainsi que de la communauté internationale pour protéger et promouvoir la santé de tous les peuples du monde.
Dans son article premier, cette Déclaration réaffirme avec force que:
la santé, qui est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité, est un droit fondamental de l’être humain, et que l’accession au niveau de santé le plus élevé possible est un objectif social extrêmement important qui intéresse le monde entier et suppose la participation de nombreux secteurs socioéconomiques autres que celui de la santé.
Par extension, on peut dire que le chant est un droit de l’enfant, puisqu’il répond à tous les besoins du bien-être physique, social et mental, dimensions qui contribuent pleinement au développement d’un être humain capable de vivre dans une société, d’être accepté par elle et de lui apporter sa contribution. On me répondra peut-être qu’il y a de multiples façons d’assurer le bien-être physique, social et mental, et que chanter en groupe n’est peut-être pas la plus complète. Si telle est votre réponse, permettez-moi d’être en désaccord.
Énormément de recherches ont été menées dans ce sens. Il en résulte une bibliographie diversifiée démontrant que le chant en groupe est un outil fondamental pour le développement d’un individu. Et j’ajoute: l’outil le meilleur et le plus complet pour y arriver.
Le SAT est un examen standardisé pour l’admission dans de nombreux collèges et universités des États-Unis. Le College Board, organisme privé sans but lucratif fondé en 1900, qui mène ces examens, a découvert que les étudiants ayant participé à des activités musicales et chorales obtenaient des résultats plus élevés de 63 % en langues, et de 44 % en mathématiques, que ceux qui n’avaient pas eu de telles activités. En 2009, le SAT a rapporté une différence de 91 points chez les étudiants ayant quatre ans de pratique musicale par rapport à ceux qui n’en avaient aucune.’
Harvey’s Interactive, une firme des États-Unis, a conclu que les finissants de collèges ayant pratiqué des activités chorales et musicales obtenaient un score de 90,2 %, alors que ceux qui ne l’avaient pas fait obtenaient 72,9 %.
Ces statistiques démontrent certains effets du chant choral et de la musique, dont la pratique a bien plus à offrir, cependant, en termes de bien-être social. Surtout, les raisons scientifiques établies par des chercheurs du monde entier sont des éléments importants pour convaincre les enseignants et proposer aux autorités gouvernementales la mise en œuvre de plans qui amélioreront sans doute l’apprentissage des enfants et leur développement social.
Il est intéressant de passer en revue une partie des nombreuses études qui nous ont éclairé grandement, et constituent des apports d’une immense importance. Nous avons eu le plaisir de correspondre avec quelques chercheurs et de les consulter; nous avons aussi puisé dans les publications d’autres chercheurs, parues dans des revues scientifiques. Nous allons donc vous présenter, chers lecteurs, une partie de ce matériel qui démontre, selon nous, que le chant est un droit de l’enfant à cause de tout son apport à son développement intellectuel, social et évolutif.
Comme tout signal auditif, les sons musicaux se déroulent dans le temps. C’est pourquoi il est nécessaire que le système auditif connecte un son avec un autre, pour produire des schémas logiques qui soient perçus comme une musique. Pour que nous puissions reconnaître les schémas rythmiques comme succession de sons enchaînés en shémas musicaux, les signaux auditifs sont emmagasinés temporairement dans notre mémoire, qui les combine en une seule perception. La mémoire est donc nécessaire pour comprendre et percevoir la musique: elle est impliquée chaque fois que nous entendons ou faisons de la musique.
Récemment, Vanesa Sluming et une équipe de chercheurs1 de l’Université de Liverpool (Grande-Bretagne) ont découvert que chez les musiciens le cortex frontal, connu pour héberger des réseaux de neurones qui participent à divers processus importants pour le travail de la mémoire, contiennent plus de matière grise que chez les non musiciens. On peut conclure à une sorte de transfert positif entre la pratique musicale et les fonctions de la mémoire verbale: autrement dit, le processus d’apprentissage de la musique améliore l’apprentissage verbal. Mais comment ces deux fonctions sont-elles reliées?
En premier lieu, selon le Dr Wong2 et d’autres chercheurs de l’Université Northwestern aux États-Unis (Illinois), “Dans le processus multi-sensoriel de l’entraînement musical, le cerveau fait appel aux mêmes habiletés de communication que pour parler et lire”. Autrement dit, le chemin de la parole (fig. 1) serait le même que celui de l’émission des sons chantés. Ceci établit donc un premier lien important.
Cette figure montre le chemin de la parole: nous pouvons y voir les aires impliquées, le parcours que suit le stimulus, et les fonctions qui se déroulent dans chaque aire. C’est ainsi qu’à travers la membrane du tympan, les stimuli auditifs sont captés par l’organe de Corti et transformés en un langage neuronal. Celui-ci parvient au cortex auditif, chargé de recevoir l’information puis de l’envoyer à l’aire de Wernicke qui la décode. Cette information décodée continue ensuite vers l’aire de Broca, où elle est traitée avant d’arriver finalement au cortex moteur. C’est là que sont générées les commandes en direction des muscles intervenant dans l’émission à la fois des sons parlés et des sons chantés.
Du point de vue anthropologique, le langage articulé constitue une des différences entre l’humain et ses congénères inférieurs. Les animaux non pourvus de raison ne pensent pas, ils agissent selon leurs instincts et leurs réflexes, conditionnés et non conditionnés. La différence chez l’humain est que l’individu réfléchit et résout des situations à l’aide de son expérience personnelle, et de l’expérience collective. Ainsi, à la différence des autres animaux, l’humain sait planifier ses activités et pour y arriver, il utilise le langage, car sans langage la pensée ne peut être que rudimentaire. L’abstraction du langage est nécessaire pour discerner, associer, unifier des concepts, tirer des conclusion. Bref, c’est l’instrument dont le cerveau a besoin pour penser, percevoir, raisonner, imaginer et faire appel à la mémoire.
Bien sûr, il y a un large spectre de théories sur le langage et la pensée mais, que l’on adhère à un “système inné” de structure du langage comme Noam Chomsky, qui le nomme “grammaire générative“, ou que l’on soutienne l’hypothèse cognitive de Jean Piaget ou la théorie “simultanée” qui définit le langage et la pensée comme liés entre eux, la relation entre les deux est reconnue par les psychologues, les linguistes et les anthropologues. Les différences entre les théories portent, en termes génériques, sur l’origine et le développement de ces capacités humaines.
Notre position tend vers la simultanéité: qu’il apparaisse avant ou après le développement de la pensée, le langage est responsable de l’évolution de la pensée:
Si nous pensons à fabriquer une table en bois, nous devons penser en termes abstraits, ce qui implique arbre, bois, table, forme, longueur, largueur, hauteur, épaisseur, etc. Chacun de ces concepts implique l’utilisation de mots dont nous comprenons la signification et que nous pouvons garder en mémoire, d’où nous pouvons les repêcher au besoin. Par la suite, nous pourrons exprimer ces concepts dans un croquis et recourir à tous les moyens et formes nécessaires pour arriver finalement à la table objet. Tout ce processus de la pensée a utilisé le langage pour se développer; la planification n’aurait pas été possible autrement.
Bien sûr, le langage n’est pas notre seule habileté cognitive. La mémoire, la perception, le raisonnement, la pensée, la possibilité de calculer et tout le reste des habilités ou comportements intelligents constituent un ensemble de systèmes spécialisés qui interagissent. Cette théorie des intelligences multiples a été élaborée en 1943 par le psychologue américain Howard Gardner3 (États-Unis); elle est fondée sur le fait que chaque personne possède au moins sept intelligences ou habiletés cognitives.
Un programme a été mis en place à l’Université Southern California par la Dr Assal Habibi et d’autres chercheurs, dans le but de découvrir les mécanismes par lesquels la formation musicale a été associée à un développement supérieur à la moyenne en langues et en mathématiques ainsi qu’à de meilleurs rendements intellectuels chez les individus qui ont reçu cette formation par rapport à ceux qui ne l’ont pas reçue.
L’étude a choisi des enfants avant le début de leur formation musicale, et les a suivis systématiquement pour établir comment le comportement de leur cerveau changeait en relation avec leur formation. Le travail a commencé en 2012, en collaboration avec l’Orchestre philharmonique de Los Angeles et son programme d’orchestre pour les enfants et la jeunesse. On a suivi 80 enfants de 6 et 7 ans pour documenter les effets sur leur développement en mesurant l’activité électrique du cerveau aux plans émotionnel, cognitif et social. Les enfants étaient divisés en trois groupes: un groupe dans l’orchestre, un autre pratiquant le football et le troisième, sans activité spécifique.
Les résultats obtenus au moment d’écrire ces lignes ont été hautement satisfaisants: on a trouvé des aires frontales du cerveau où il y avait une plus grande activité nerveuse pendant le développement d’habiletés impliquant des fonctions motrices exécutives et on a détecté de plus grands développements du langage, de la mémoire et de l’activité sociale.
“Émotion, expression, habiletés sociales, théorie de l’esprit, habiletés linguistiques et mathématiques, habiletés visuo-spatiales et motrices, attention, mémoire, fonctions exécutives, prise de décisions, autonomie, créativité, flexibilité émotionnelle et cognitive, tout cela converge simultanément dans l’expérience musicale partagée. Les gens chantent et dansent ensemble dans toutes les cultures. Nous savons que nous le faisons de nos jours et nous continuerons de le faire dans le futur. Nous pouvons imaginer que nos ancêtres le faisaient aussi, autour du feu, il y a des milliers d’années. Nous sommes ce que nous sommes avec la musique et par la musique, ni plus, ni moins.”
Ces mots convaincants ont été écrits par le Dr Facundo Manes dans le journal espagnol El País du 11 novembre 2016, dans un article de vulgarisation scientifique intitulé “¿Qué le hace la música a nuestro cerebro?” (Que fait la musique à notre cerveau?).
Cependant certains éléments, dont plusieurs de grande envergure, sembleraient aller à l’encontre de cette idée. Il y a des pathologies qui vont à l’encontre de la logique fonctionnelle du chant puisqu’elles paraissent causées par l’absence ou un développement incomplet des connexions nerveuses.
L’une de ces pathologies, et peut-être la plus frustrante, est l’amusie.
L’amusie
Le mot “amusie” a été créé en 1888 par le neurologue allemand August Knoblauch à partir du grec: a (préfixe privatif), et mousa, musique.
L’amusie est une surdité tonale congénitale. L’individu amusique est dépourvu de la possibilité d’émettre des tonalités. Il ne peut donc pas faire de musique ni reconnaître la musique.
Selon le chercheur catalan Jordi Peña-Casanova4, l’amusie “est de la même nature que l’aphasie, et coïncide avec elle“.
Écouter de la musique ou la pratiquer implique de nombreux éléments, tous reliés à la perception, au décodage et à la synthèse du son et à la durée. Il y a donc plusieurs formes d’amusie. En 1997, Arthur Benson5 en a identifié plus d’une douzaine. Il les distingue selon la manière dont elles se présentent: motrice ou expressive, par exemple la perte de l’habileté à chanter, siffler ou muser une mélodie (amusie expressive); la perte de l’habileté de jouer d’un instrument (amusie instrumentale), la perte de la capacité d’écrire de la musique (agraphie musicale). Les deux dernières formes ne peuvent survenir que chez des personnes ayant reçu une formation musicale. Du point de vue de la réception, l’amusie peut se manifester par la perte de la capacité de distinguer entre elles des mélodies connues (amusie réceptive ou sensorielle), la perte de la capacité d’identifier des mélodies familières (amnésie musicale) ou la perte de la capacité de lire la musique, si on a déjà eu cette capacité (alexie musicale, ou cécité musicale). On inclut aussi l’altération de la réponse émotionnelle, comme une forme d’amusie.
Historiquement, l’attention des médecins s’est arrêtée récemment à ce problème, quand il est apparu associé à des patients aphasiques chez qui certaines de ces capacités avaient été perdues en même temps que le langage. Cependant, des cas d’amusie chez des personnes qui ne souffraient pas d’aphasie sont décrits depuis le XIXe siècle, mais en bien moins grand nombre.
Quand Benson, en 1977, a décrit l’amusie en relation à la fois avec l’aire de Broca et avec celle de Wernicke, il ne disposait pas de la technologie ni des connaissances qui lui auraient permis de faire la même affirmation que Peña-Casanova en 2007 – 30 ans plus tard – sur la concordance avec l’aphasie. Ce qui est sûr, c’est que ces deux aires font partie du chemin de la parole.
Selon Oliver Sachs6,
“il y a de nombreuses formes de surdité au rythme, légères ou profondes, innées ou acquises. Che Guevara était célèbre pour sa surdité au rythme. On pouvait le voir danser un mambo pendant que l’orchestre jouait un tango (il souffrait aussi d’une notable surdité tonale). Mais surtout, après un accident vasculaire cérébral à l’hémisphère gauche, on peut développer des formes profondes de surdité au rythme sans surdité tonale (de même qu’après certaines attaques à l’hémisphère droit, un patient peut développer une surdité tonale sans surdité au rythme). En général, de toutes manières, les formes de surdité au rythme sont rarement complètes, car le rythme est abondamment représenté dans le cerveau.“
Le rapport d’Erin Hannon et Sandra Trehub7 décrit aussi des formes culturelles de surdité au rythme. Les bébés de six mois peuvent détecter facilement toutes les variations rythmiques, mais à douze mois cette variété a décru. Ce rapport concorde avec la recherche menée par Clifford Madsen de l’Université de Tampa (Floride, États-Unis), qui confirme que l’enfant entend tous les sons qui l’entourent jusqu’à six mois. Plus tard, il perçoit seulement les sons provenant de sa mère. Il semblerait que la focalisation et la diminution des contenus résulterait du fait que l’enfant reconnaît l’origine culturelle et familiale, qu’il reçoit par l’intermédiaire de son entourage social. C’est ainsi qu’il peut intérioriser l’ensemble des rythmes de sa culture et la langue de sa mère.
Beaucoup de gens se diront: “Je ne peux pas chanter ou siffler juste“, alors qu’ils ne souffrent pas d’amusie. En réalité, l’amusie est rare: moins de 5 % de la population en souffre. Mais ceux qui en souffrent pourront parcourir le monde sans s’apercevoir qu’ils faussent.
La recherche réalisée par Mme Psique Loui et d’autres chercheurs de l’Université Harvard8 soutient que l’amusie résulte d’un développement incomplet du faisceau arqué9 (cf fig. 2).
Ce faisceau est en relation directe avec le chemin de la parole, dont il fait partie en union avec l’aire de Wernicke et l’aire de Broca. Rappelons que la première décode l’information provenant du cortex auditif, tandis que la deuxième la traite avant de l’envoyer au cortex moteur.
Il semble évident et logique de penser qu’une fonction ne peut pas s’actualiser si le faisceau neuronal qui doit connecter les aires impliquées dans ladite fonction est mal développé ou complètement absent.
C’est la question que j’ai posée à Mme Loui quand j’ai lu son article, alors que mes expériences personnelles et les recherches d’autres scientifiques et chefs de choeur n’avaient pas identifié d’enfants incapables de produire des tonalités – y compris les enfants ayant initialement de grandes difficultés – après un travail de formation adéquat.
Dans son livre Musicophilia, Oliver Sachs raconte que dans la revue New Scientist, Steven Mithen10 s’est demandé si quelqu’un peut apprendre à chanter; pour trouver la réponse, il a expérimenté sur lui-même.
“Ma recherche m’a convaincu que la musicalité est profondément enracinée dans le genre humain, avec des racines évolutives beaucoup plus anciennes que celles de la parole, a-t-il écrit en 2008 dans un article délicieux et sincère dans le New Scientist. Cependant, je me trouvais incapable de suivre une mélodie ou de reproduire un rythme.”
Il poursuit en racontant combien il avait été “humilié” d’être obligé de chanter devant la classe quand il était écolier, au point qu’il a évité pendant plus de 35 ans de participer à quelque activité musicale que ce soit. Il a décidé de vérifier si, en prenant des leçons de chant pendant un an, il pourrait améliorer sa justesse, sa sonorité et son rythme, le processus étant documenté à l’aide de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle.
Mithen a appris à mieux chanter – non pas d’une manière spectaculaire, mais quand même mieux – et les résonances ont montré une augmentation d’activité dans la circonvolution frontale inférieure et dans deux zones de la circonvolution temporale supérieure (surtout du côté droit). Ces changements ont reflété l’amélioration de son contrôle tonal au moment de projeter sa voix et de transmettre la phrase musicale. On a noté aussi une diminution de l’activité dans certaines zones: donc, ce qui au début avait exigé un effort conscient était devenu de plus en plus automatique.”
La réponse de Madame Loui a été plus que stimulante: non seulement ma question a retenu son attention – apparemment, cela allait à l’encontre de sa recherche – mais elle m’a suggéré quelles pourraient être les causes qui, à son avis, pouvaient avoir influencé les résultats que mes collègues et moi avions obtenus. Ce faisant, elle m’a ouvert une porte vers la connaissance de nouveaux apports scientifiques comme la neurogenèse et la plasticité neuronale. J’y ai trouvé beaucoup de raisons d’espérer que mon affirmation initiale (tout enfant qui peut parler peut chanter) n’était pas encore réfutée de façon irrémédiable.
Neurogenèse et plasticité neuronale
Vers 1983, le neuro-biologiste argentin Fernando Nottebohm, professeur et directeur de recherche à l’Université Rockefeller de New York, a contribué de manière notable à modifier la croyance fortement établie que le système nerveux disposait d’un nombre déterminé de cellules, immuable jusqu’à la mort de l’individu.
Cette idée avait été établie de manière quasi dogmatique en 1906, année où l’Espagnol Santiago Ramón y Cajal a reçu le prix Nobel de médecine pour ses travaux sur les mécanismes gouvernant la morphologie et les processus de connexion des cellules nerveuses. Ramón y Cajal soutenait que, contrairement à la majorité des autres cellules de l’organismes, les neurones normaux d’un individu adulte ne se régénéraient pas.
Au contraire, la découverte par Nottebohm de la neurogenèse adulte a ouvert un champ qui a été qualifié par d’autres chercheurs, dont le psychiatre canadien Norman Doidge, de “l’une des grandes découvertes du XXe siècle“.
Nottebohm a découvert que
“les canaris – particulièrement les mâles – utilisent leur répertoire de chants comme un élément d’attraction sexuelle. Les combinaisons de sons qu’ils émettent varient d’une année à l’autre. Nottebohm a constaté que ces changements annuels correspondaient à une croissance et à une décroissance saisonnières des cellules cérébrales. Il avait découvert la neurogenèse: il a confirmé que les neurones des canaris se reproduisent, qu’il peut se générer 20 000 nouvelles cellules chaque jour. Plus surprenant: la neurogenèse intervient même chez les femelles, et celles-ci acquièrent la capacité de chanter quand on leur injecte des hormones mâles. La neurogenèse, le processus qui permet aux neurones de se reproduire et au tissu nerveux de se régénérer, va à l’encontre de ce qui jusqu’à ce moment était presque un dogme central de la neurologie: “les neurones peuvent seulement mourir, jamais se reproduire.”11
Une étude récemment publiée dans la revue Nature12 apporte encore plus d’espoir pour l’apprentissage du chant.
Les chercheurs Ana Amador, Yonatan Sanz Perl et Gabriel Mindlin, du Laboratoire des systèmes dynamiques de la Faculté de Sciences exactes et naturelles de l’Université de Buenos Aires, et Daniel Margoliash de l’Université de Chicago, ont effectué une recherche sur le chant des oiseaux.
“Le chant des oiseaux et la parole humaine ont quelques points en commun. De fait, un grand nombre d’espèces apprennent à chanter de manière semblable à la façon dont un enfant apprend sa langue maternelle, en interagissant avec son entourage. Pour cette raison, étudier l’activité cérébrale des oiseaux quand ils produisent leurs sons peut mettre en lumière la façon dont la parole est encodée dans nos neurones et comment le cerveau peut apprendre une tâche complexe. Comme la parole humaine, le chant des oiseaux comprend des aspects neuronaux (les instructions) et physiques (les organes qui interviennent dans l’exécution du chant). Les pigeons nouveau-nés ne chantent pas, ils produisent seulement des sons pour demander à manger. Par la suite, ils passent par une étape où ils entendent chanter le tuteur ou le père et, bientôt, ils commencent à s’exercer, de façon analogue aux premiers essais des tout-petits pour prononcer des mots. À la suite de ces exercices, et après avoir comparé leur propre chant avec le modèle interne qu’ils avaient intégré, ils finissent par parvenir au chant adulte.”13
Ce processus est dit sensorimoteur: le sensoriel et le moteur s’alimentent mutuellement, comme dans le processus d’apprentissage des enfants et dans le développement de la justesse.14
L’étude publiée récemment dans Nature permet de conjuguer les aspects neuronaux et physiques pour expliquer de quelle manière les neurones s’activent pour produire chacun des sons qui constituent le chant.15
La Bibliographie à la fin du présent article permettra aux personnes désireuses d’approfondir la question d’avoir accès à ces intéressantes recherches.
Le Dr Facundo Manes, neurologue et neuro-scientifique argentin, est d’avis que “les nouvelles thérapies basées sur la musique peuvent favoriser la neuro-plasticité – nouvelles connexions et nouveaux circuits – qui compense en partie les déficiences dans les régions endommagées du cerveau“.15
On peut donc conclure que notre prémisse initiale est valide: tout enfant qui peut parler peut chanter. Y compris dans le cas de personnes amusiques, puisqu’il est possible, au moyen d’un travail cartésien du simple au complexe, de développer une route alternative qui permet de compenser la carence ou le développement incomplet du faisceau arqué. Sûrement, cela ne donnera pas de grands chanteurs ou chanteuses, mais cela pourrait rapprocher la possibilité pour ces personnes de goûter la musique, non seulement au plan affectif mais aussi par l’augmentation des connexions neuronales subséquente à ce travail.
Il existe une foule de spécialistes qui traitent les dysfonctionnements humains de diverses manières. Ainsi, il y a des écoles où les aveugles peuvent apprendre à lire, écrire, et compter, des écoles où les sourds-muets apprennent à parler et à “entendre” leurs interlocuteurs à l’aide du mouvement des lèvres ou d’un système de langage gestuel, des Jeux paralympiques où sont pratiqués des sports qui seraient impossibles sans une technique adéquate et adaptée. Bref, il n’y a pas de limite aux objectifs que l’on peut atteindre sur la voie du développement complet, qui est un droit de la personne.
La médecine a fait preuve d’une grande ouverture interdisciplinaire pour la mise au point de machines et d’instruments médicaux d’une grande complexité, impossible sans la participation du génie électronique et mécanique, d’experts en matériaux synthétiques et en métaux spéciaux, d’ingénieurs en programmation, etc. La même chose se passe en chant. Il y a des techniques et des avancées modernes qui nous montrent qu’il est possible d’atteindre des objectifs importants pour les individus connaissant une difficulté. Entre autres, les stratégies que proposent la phono-audiologie, l’orthophonie, la physiatrie et la stimulation précoce peuvent s’appliquer à la résolution de ces pathologies.
Traduit de l’espagnol par Christine Dumas (Canada)
1 Sluming V, Brooks J, Howard M, Downes JJ, Roberts N. Broca’s area supports enhanced visuospatial cognition in orchestral musicians. J Neurosci. 2007;27:3799–3806. doi: 10.1523/JNEUROSCI.0147-07.2007. [PubMed] [Cross Ref]
2 Wong PCM, Skoe E, Russo NM, Dees T, Kraus N, Musical experience shapes human brainstorm encoding of linguistic pitch patterns-Nature Review Neuroscience (2007) 10:420-422
3 Howard Gardner
4 Jordi Pe.a-Casanova- Neurología de la conducta y neuropsicología – 2007
5 Arthur Benton in Music and the brain by Critchey and Henson – Chapter 22, pag. 377 and ss The Amusias, 1977
6 Oliver Sachs, Musicofilia, Anagrama, Barcelona 2009, pg. 126.
7 Hannon, John, and Sandra E. Trehub. 2005. Tuning in to musical rhythms: Infants learn more readily than adults. Proceedings of the National Academy of Sciences 102: 12639-12643
8 Dres. Psyche Loui, David Alsop and Gottfried Schlaug, Harvard University – Tone deafness: a new disconnection syndrome? – The Journal of Neuroscience, August 2009
9 Un faisceau est un faisceau de nerfs constitué d’axones; il s’agit des parties allongées du neurone.
10 Article reproduit du bulletin électronique du Conseil International de la musique Music World News 04/2017, www.imc-cim.org
11 Fernando Nottebohm – The Rockefeller Foundation – Scientists & Research – Mai 2014
12 Ana Amador, Yonatan Sanz Perl, Gabriel Mindlin, Nature 504, 386–387 (19 décembre 2013)
13 ibid
14 Oscar Escalada, Un coro en cada aula, Ed. GCC, Cap 2 – III pg 25., Bs.As. 2009
15 noticias.exactas.uba.ar
16 Facundo Manes, ¿Que le hace la música a nuestro cerebro?, El País, 11 novembre 2016, Espagne.
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