Graham Lack, compositeur et consultant éditorial de l’ICB
Pour autant que je sache, l’ICB n’a encore jamais mis l’accent sur la musique écossaise. Il y a une multitude de musiques à découvrir, et j’espère que ce bref coup de projecteur sur ce pays se révèlera utile aux chefs de chœurs souhaitant programmer des œuvres du “Nord de la Frontière”, comme nous autres anglais avons coutume de l’appeler. Nous sommes reconnaissants à Alan Tavener, Katy Cooper et Meg Monteith pour leurs contributions si utiles et pour les informations générales. Merci également à Christopher Glasgow, du Scottish Music Centre (Centre Musical Écossais), pour son aide généreuse, ses conseils et ses contacts.
Le premier article concerne Robert Carver, un moine écossais qui travailla à l’Abbaye de Scone au début du XVIe s. Ses motets et ses messes constituent un lien rare avec le répertoire du livre de chœur d’Eton, ce spectaculaire répertoire de musique anglaise du début de la Renaissance. Le “O bone Jesu” de Carver, écrit de 1546, compte pas moins de 19 voix, preuve donc d’un style d’une extraordinaire virtuosité même si de nombreuses œuvres, dans une tradition peut-être retardataire, sembleraient probablement ne plus être en développement.
En raison de circonstances historiques complexes et de problèmes liés à l’accueil de la musique, les îles britanniques n’ont à nous offrir que très peu de bonne musique au cours des XVIIIe et XIXe siècles. Le pôle de la création musicale s’est depuis longtemps déplacé vers l’Europe continentale. Il y a donc un manque d’œuvres chorales de valeur créées par des compositeurs écossais, et il en est de même pour le Pays de Galles, l’Angleterre – à l’exception de Henry Purcell (1659-1695) – et l’Irlande.
Dans le second article, nous examinons des arrangements pour chœur de chants populaires écossais. Pendant la plus grande partie du XXe s., de tels morceaux se sont avérés populaires pour beaucoup de chorales à travers la Grande-Bretagne. Hugh S. Roberton et Cedric Thorpe Davie furent deux personnages importants qui travaillèrent dans ce domaine.
La question de la musique chorale et l’avant-garde ne sont pas passées inaperçues dans l’Écosse d’après-guerre, et il faut mentionner Peter Maxwell Davies, un des fondateurs du Manchester New Music Group, dont le Festival St Magnus, sur l’île d’Orkney, ne cesse de se développer depuis la fin des années ’70.
Enfin, la troisième partie s’intéressera à la musique chorale de la compositrice écossaise contemporaine Judith Weir. Autorité maintenant bien établie, elle a apporté au répertoire a capella de nombreuses œuvres de qualité (mentionnons en particulier “Two Hyman Hymns”, pour chœur et orgue) et a composé un certain nombre d’œuvres chorales avec instruments. Son genre majeur restera peut-être l’opéra, dont “A night at the Chinese Opera” et plus récemment “Miss Fortune”.
Robert Carver: le Maître écossais de la Polyphonie
Alan Tavener, chef et organiste
Le répertoire de la Renaissance écossaise est modeste, mais alléchant; il a survécu à la Réforme, et est dominé par l’exubérante musique ornée de la fin du moyen-âge de Robert Carver. On sait peu de chose sur l’homme lui-même, et les inscriptions sur les quelques manuscrits authentifiés qui sont parvenus jusqu’à nous ont provoqué plus de débats que de conclusions de la part des musicologues Kenneth Elliott (dont le travail autour de la musique de Carver remonte aux années 50) puis, dans les années 80, Isobel Woods Preece. Plus récemment, toutefois, D. James Ross a repéré le nom de Carver, complété du titre “Chanoine de Scone”, dans les archives du Conseil Municipal d’Aberdeen datant de 1505, dans l’entourage de son oncle maternel Sir Andrew Gray (qui, en 1484, avait été identifié dans les Registres en tant que chapelain de l’Église St-Nicolas, et qui fut par la suite enregistré comme versant de l’argent pour la célébration d’une Messe du Nom de Jésus), ce qui fournit une preuve convaincante de la naissance et de l’éducation musicale de Carver dans cette ville. Ces éléments étant combinés et associés aux remarques de Roger Bower concernant l’ancienne et la nouvelle façon de dater, on peut raisonnablement penser que Carver est né en 1487/88 et mort en 1568.
Sous le règne des Stewart, les plus hauts échelons de la société écossaise bénéficièrent d’une véritable renaissance culturelle richement soutenue durant les XVe et XVIe siècles, en dépit du fait que cette période fut jalonnée de catastrophes militaires causées par les Anglais. Jacques IV a continué à dépenser sans compter pour la Chapelle Royale au Château de Stirling, et des récits contemporains rapportent que cette Chapelle possédait un chœur virtuose et trois orgues, ainsi qu’une magnifique bibliothèque musicale qui, en 1505, comprenait quatre livres de chœur en lettres dorées. Mais aucun de ces livres de musique ou manuscrits n’a survécu à la mise à sac de la Chapelle Royale en 1559 par les foules Protestantes et les décennies de négligence qui suivirent, provoquées par l’interdiction de célébration de la Messe. C’est dans ce contexte que Carver vécut et travailla.
Nous avons toutefois la chance que l’un des livres de chœur, probablement ajouté à la bibliothèque peu après la rédaction de l’inventaire en 1505, a échappé miraculeusement – presque intact- à la furie des fanatiques anticatholiques, échappant aux négligences des siècles suivants et, “réapparaissant” remarquablement dans la Bibliothèque des Avocats d’Edimbourg. Il contient l’œuvre complète authentifiée de Carver, mentionné comme “Chanoine de Scone” (l’Abbaye Augustinienne à quelques 30 miles au nord-est de Stirling), bien que la qualité élaborée de la musique suggère qu’elle avait été écrite pour la Chapelle Royale, où il a peut-être même pris de longues périodes de congé. Connu à l’origine comme l’Antiphonaire de Scone, il est désormais conservé à la Bibliothèque Nationale d’Écosse à Édimbourg sous le nom de “Livre de Chœur de Carver”, en remerciement pour le compositeur qui en a fourni la majorité du contenu : 5 arrangements de Messe et deux motets qui sont signés par Carver, et un arrangement de Messe pour trois voix sopranos qui peuvent également lui être attribués. Outre des Messes anonymes, des Magnificats et des motets, il contient de la musique du maître franco-flamand Guillaume Dufay (ce qui appuie l’hypothèse que Carver aurait étudié aux Pays-Bas) et des motets qui peuvent être attribués à William Cornysh et Robert Fayrfax (à cause de leur présence dans le Livre de Chœur d’Eton, qui date à peu près de la même époque, source abondante concernant la polyphonie à la fin du moyen-âge et au début de la Renaissance anglaise) qui sont probablement apparus en Écosse quand Jacques IV conclut le traité de Paix perpétuelle avec l’Angleterre de 1502, en épousant Margaret Tudor, sœur du futur Henri VIII. Un arrangement de Messe supplémentaire, pour six voix, peut être trouvé aux côtés de documents originaires d’Angleterre, de France et des Pays-Bas dans le livre de partitions Douglas-Fischer à la Bibliothèque de l’Université d’Édimbourg.
La toute première œuvre de Carver, un arrangement de la Messe “Dum sacrum Mysterium”, comporte des dates de composition contradictoires de 1506, 1508, 1511 et 1513, ces dates faisant peut-être référence à la création puis aux dates de représentations suivantes. Composé pour dix voix (en termes modernes : 2S, 2A, 2T, 2Bar et 2B), et associé à trois autres arrangements de Messe, c’est une composition sur “cantus firmus”, la mélodie pré-existante étant l’antienne “Magnificat” pour la Fête de Saint-Michel Archange. Ce chant est conçu par Carver en notes longues, ce qui mène à un rythme très lent de changements d’harmonie, entraînant aussi les accords adjacents à se produire avec une alternance régulière et égale; on retrouve les traces d’un phénomène tout à fait semblable dans la musique traditionnelle écossaise, sous la forme communément appelée “double-tonique”. Dans l’ensemble, l’arrangement de cette Messe est conçu en accord avec la pratique bien établie d’alternance de sections libérées du “cantus firmus” pour de petits groupes de voix, avec des sections pour le chœur entier construites sur le “cantus firmus”. Isobel Woods Preece a fait remarquer la possibilité que l’improvisation vocale à grande échelle, avec jusqu’à dix voix en même temps, était peut-être une pratique courante en Écosse : c’est certainement une explication attrayante au penchant de Carver pour la musique à un grand nombre de parties (l’un des deux motets ayant été composé pour dix voix), et cela expliquerait également la remarquable tolérance de Carver pour les dissonances passagères. La dernière date d’arrangement de Messe pourrait être due à une réutilisation pour le couronnement de l’enfant Roi Jacques V, qui a eu lieu dans un délai très court (suite à la défaite catastrophique de son père à la bataille de Flodden) le 29 septembre 1513, jour de la fête de St-Michel Archange (la Maison Royale d’Ecosse était dédiée à son saint patron, St-Michel) : le caractère somptueux de la mise en musique de la messe, de même que l’à-propos du “cantus firmus”, appuie grandement cette hypothèse.
Le fait que Carver écrivait déjà dans un style mature suggère d’importantes influences inconnues. Alors qu’il est évident (comme il n’y a rien d’autre que le contenu du Livre de Chœur de Carver) qu’il était en contact avec les développements de la musique contemporaine en Angleterre et en Europe continentale, nous ne pouvons que spéculer quant à l’héritage local de sa musique : d’une part la force de son propre travail, et d’autre part de n’importe quelle musique antérieure qui aurait survécu. Mais nous n’avons que des preuves insuffisantes concernant la tradition écossaise de musique d’église dans laquelle Carver est né : un manuscrit du XIIIe siècle de polyphonie en deux parties, associées à la Cathédrale de St Andrews, a survécu (catalogué comme Wolfenbüttel 2, se distinguant par une extraordinaire virtuosité, de vastes gammes vocales et des exigences considérables de flexibilité vocale : peut-être une tentative pour réconcilier les dernières techniques de composition françaises comme Léonin et Pérotin avec une touche locale d’improvisation vocale fortement ornementée. Cela offre une indication possible du caractère ornemental de la musique de Carver près de trois siècles plus tard, de même que la musique improvisée des ménestrels celtes, dont il est attesté qu’ils se produisaient à la cour d’Écosse sous l’égide de Jacques IV, qui jouait lui-même de la harpe celtique ou clarsach (contrairement à son fils Jacques V qui, comme la plupart de ses contemporains royaux européens, jouait du luth). Ceci est particulièrement significatif à la lumière des événements ultérieurs, qui n’ont pas seulement eu pour effet de détruire l’héritage musical écrit mais, bientôt, dans la foulée, également l’héritage musical pratique.
Quelle est la particularité de la musique de Carver ? Les opinions sont largement contrastées, allant de ceux qui tiennent à identifier un style natif écossais à ceux qui le voient comme essentiellement européen. Je perçois des ressemblances dans les détails décoratifs particulièrement avec le travail d’Antoine Brumel, alors que Carver semble avoir adopté la technique d’imitation de Josquin des Prés dans son arrangement de Messe pour 5 voix, une œuvre ultérieure. L’écriture haute dans les aigus, si distinctive du répertoire du Livre de Chœur d’Eton, est évidente dans les premiers morceaux à plus grande échelle de Carver, tandis que partout ailleurs, la ligne d’aigus est d’un ambitus relativement modeste. Le traitement étendu des mots “in nomine Domini“ (au nom du Seigneur) dans les mouvements Benedictus de son arrangement de messe est caractéristique, et pourrait refléter son affection pour la dévotion de son oncle au Nom de Jésus, qui est sûrement confirmée par les larges “piliers” à 19 voix retentissant sur « Jesu » au fil du motet “O bone Jesu”.
Et qu’en est-il de la musique de Carver aujourd’hui? Elle s’adressait à l’origine à des chœurs professionnels très qualifiés, et c’est tout à l’honneur des chœurs de chambre compétents, spécialisés dans la musique ancienne, d’avoir été capables de surmonter beaucoup des “challenges” de cette musique. Cependant, on ne peut se soustraire au fait que les textures réduites sont complexes et finement ouvragées, suggérant un traitement solistique qui requiert non seulement de grandes qualités musicales des instrumentistes, mais aussi une technique vocale très solide. Parmi les exemples d’inspirations des artistes d’aujourd’hui, on trouvera les 3 mouvements de Tenebrae Responsories de James MacMillan, avec un emprunt très clair au style virtuose de Carver (un hommage possible à Cappella Nova, son commanditaire) tandis que Ronald Stevenson a fait un arrangement pour chœur à 12 voix du poème de James Reid-Baxter In Memoriam Robert Carver.
Les manuels ont tendance à se concentrer sur Robert Carver comme l’unique compositeur britannique connu à avoir adopté la chanson de croisés médiévale française “L’homme armé” en tant que “cantus firmus” pour un arrangement de Messe. Sans aucun doute inspiré par le traitement que fait Dufay de cette mélodie, qui a été copiée dans le Livre de Chœur de Carver aux alentours de 1506, c’est un hommage à la vocation internationale dont jouit l’Écosse à cette époque. C’est l’exercice de technique musicale le plus abouti de Carver, et nous trouvons le “cantus firmus” en trois temps “avec“ les autres voix en deux temps ; en deux temps, mais “ avec“ un demi-temps d’avance sur les autres voix à deux temps, dans un trois temps à contre-rythme des autres voix à deux temps, et finalement transformé en un autre trois temps à contretemps « contre » les autres voix.
Ce stupéfiant exemple de prouesse technique et de composition peut seulement nous pousser à nous demander ce que Carver le compositeur a accompli – une question à laquelle nous ne pouvons qu’espérer répondre un jour par une découverte plus large de son œuvre.
La musique de Carver a été publiée par Musica Scotica (Volume I : “l’œuvre complète de Robert Carver et deux messes anonymes” éditée par Kenneth Elliott, ISBN 0 9528212 0 6), et a été enregistrée par Cappella Nova : www.cappella-nova.com.
est co-fondateur et chef de l’ensemble vocal Capella Nova, situé en Écosse, qui se produit internationalement et qui a fait 12 enregistrements CD. Il s’est spécialisé dans la direction de l’œuvre de Robert Carver; il a dirigé près de 60 premières mondiales d’œuvres chorales allant de pièces de 3 minutes a cappella à de grandes œuvres telles que Resurrection de John Tavener avec le Scottish Chamber Orchestra, diffusé par la suite sur BBC Radio 3, et Seven Last Words from the Cross de James MacMillan avec le BT Scottish Ensemble, diffusé sous forme de sept films sur BBC 2. Ses projets récents ont compris la direction d’une Masterclass pour les étudiants en Direction d’Orchestre au conservatoire de Moscou, et la présentation de sessions au Congrès 2010 de l’Association des Directeurs de Chorales Britanniques, ainsi qu’une communication sur la santé et le bien-être par la chanson à la Conférence Making Music en 2011. Installé à Glasgow depuis 1980, Alan est également organiste et chef de chœur de l’Église paroissiale de Jordanhill (où il a constitué un chœur de communauté et un chœur liturgique) et chef du Chœur de Chambre de l’Université de Strathclyde (pour lequel James MacMillan a composé 11 de ses 14 Strathclyde Motets). Email: alan.cappella-nova@strath.ac.uk
L’Utilisation de la Chanson Populaire dans la Musique Chorale écossaise
Katy Cooper, chef de chœur, arrangeuse, formatrice et musicologue
La musique traditionnelle écossaise a longtemps suscité l’intérêt du monde entier. Dans cet article, je souhaite souligner quelques arrangements et œuvres de chansons populaires inspirées par les Écossais ou des compositeurs locaux écossais, en commençant par les passionnés de la première heure du premier renouveau folk.
On dit qu’à l’heure actuelle, la musique populaire en Grande-Bretagne est en train de connaître quelque chose comme un renouveau. Des groupes d’influence populaire et des artistes comme Mumford and Sons figurent régulièrement dans les charts, et la création de cours de premier cycle en musique traditionnelle donne aux musiciens du Royaume-Uni l’occasion de se concentrer sur ce genre. La popularité des arrangements choraux de chansons populaires a été établie lors d’un précédent renouveau de la musique populaire, quand des compositeurs comme Vaughan Williams ont non seulement arrangé des chansons (y compris de la musique d’Écosse), mais encore collecté des documents en tant que membres actifs de la “Folk Song Society” (fondée en 1898).
Dans son article de 1948 pour un journal qui est finalement connu sous le nom de Société des Danses et Chansons Populaires Anglaises, Frederick Keel indique que l’organisation initiale a résisté à toutes les tentatives de réduire son champ ou de lui coller l’étiquette “anglaise” ou “britannique”. Elle fut plutôt créée comme une Société de chanson populaire située en Angleterre, et non pas une société limitée à la préservation de la chanson populaire anglaise. En fait, Sir Alexander MacKenzie, compositeur écossais important et influent, fut l’un des premiers membres de l’organisation. MacKenzie a produit plusieurs recueils de chansons traditionnelles écossaises arrangées pour piano, mais son œuvre pour chœur ne comporte apparemment pas d’arrangements de chansons écossaises. De même, l’œuvre choral de Hamish MacCunn, célèbre pour son évocateur Land of the Mountain and the Flood, comporte Four Scottish Traditional Border Ballads pour chœur et orchestre, mais peu d’arrangements à plus petite échelle. Beaucoup de musiques chorales écossaises de cette période sont désormais épuisées et peu connues des chorales modernes, mais les bibliothèques et les archives, telles que celle du Centre de Musique Écossaise, de même que plusieurs dépositaires en ligne, valent la peine d’être explorés.
Mackenzie n’était pas le seul musicien écossais impliqué dans le travail avec la Société de chansons folkloriques. Au cours des décennies suivantes, les enthousiastes écossais George Barnet Gardiner et Francis Collinson ont récolté des documents traditionnels en Écosse et en Angleterre. Francis Collinson, plus tard le premier universitaire chercheur en musique à la School of Scottish Studies d’Édimbourg, a fait beaucoup d’arrangements de chansons écossaises dont des arrangements de The Flowers of the Forest, Bonny Dundee et The Bonnie Lass of Albany. Quelques-uns de ceux-ci furent publiés, mais beaucoup demeurent de simples manuscrits signés.
Collinson a également collecté et arrangé pour chœur des chansons gaéliques, reflétant l’essor de popularité des chorales gaéliques, que l’on pouvait observer partout en Écosse dans les années 1930. La première fut la chorale St Columba à Glasgow, fondée en 1874. Le mouvement fut encouragé par la fondation (en 1981) et la popularité qui s’en est suivie, du “National Mod”, modelé sur Eistedfodd au Pays de Galles, si riche en chœurs. Le siècle suivant a vu la production d’un répertoire riche et varié de musiques chorales gaéliques, peu connues en dehors des chorales gaéliques. On peut trouver des liens vers des ressources, y compris des partitions, sur le site Internet de ‘Comunn nan Còisirean Gàidhlig’ (Association des Chorales Gaéliques : www.gaelicchoirs.org.uk).
Le début du vingtième siècle n’a pas seulement vu le succès des chœurs gaéliques – le mondialement célèbre Orpheus Choir de Glasgow sous la direction de son fondateur Hugh S. Roberton présenta la chanson populaire écossaise à des millions de personnes dans le monde, de nombreuses chansons de ce type (la plupart, même) étant arrangées par Roberton lui-même. Les tournées internationales et les enregistrements ont aussi joué un rôle important. Roberton a également écrit le texte de chansons aussi célèbres que Westering Home, et la version Anglaise de Mhairi’s Wedding, basée sur l’original gaélique. Le son stylisé et désormais nostalgique de la chorale, en même temps que les arrangements simples et déclamatoires de Roberton, sont extrêmement chantants et évocateurs de leur époque.
Les arrangements de chanson populaire continuent d’être un choix à succès pour les chorales tout au long du vingtième siècle, avec des compositeurs produisant à la fois des arrangements de chansons et de nouvelles compositions, ou influencées par les matériaux traditionnels. Les “tonalités enjouées” de Cédric Thorpe Davie ont produit de nombreux arrangements parmi lesquelles des morceaux en compétition pour le National Mod, et des œuvres chorales de plus grande échelle contenant des chansons populaires. La génération suivante de compositeurs originaires d’Écosse, dont Ronald Stevenson, Thomas Wilson et plus tard Peter Maxwell Davies, a été fortement influencée par le matériel écossais et a produit, et continue de produire, des morceaux de chorale exceptionnels, bien que peu ne soient que de simples arrangements. La musique chorale de Stevenson, par exemple, inclut un motet en mémoire du compositeur de la Renaissance Robert Carver, l’anguleux A Medieval Scottish Triptych, et le morceau de grande ampleur pour chœur et orchestre, d’inspiration populaire, In praise of Ben Dorain.
De même que les chorales du passé ont suscité de nombreux arrangements choraux, les organisations de chœurs et les chorales écossaises actuelles continuent à commander et à produire de nouvelles compositions, l’exemple le plus en vue étant peut-être la branche “publication” du National Youth Choirs of Scotland. Ses publications pour jeunes chanteurs comprennent les volumes SingSilver et SingGold disposant d’arrangements et d’œuvres chorales originales par des compositeurs comme Sally Beamish, William Sweeney, Eddie McGuire, John Maxwell Geddes et Ken Johnston. L’association étroite de Johnston avec NYCOS a aussi produit des arrangements populaires, dont les versions pleines d’entrain de Westering Home et Air Falalalo de Roberton.
James MacMillan est peut-être le plus important compositeur écossais pour chœurs aujourd’hui, et son style choral très reconnaissable est imprégné d’influences de son héritage écossais. Cette influence se voit dans So Deep, dans un morceau inhabituel de Robert Burn My love is like a red, red rose, et dans The Gallant Weaver.
En tant que passionné de musique folk et chanteur de chorale, je me retrouve attiré dans deux mondes. Le chant d’harmonie, non ordonné et spontané, est la caractéristique que je préfère dans les sessions de chant traditionnel en Écosse et dans le reste du Royaume-Uni, et beaucoup de chœurs de communauté comprennent un peu de cette matière dans leur répertoire. Je crois qu’il y a aussi une place pour les arrangements de chorale du début du vingtième siècle, qui offrent des textes attrayants comme la plus récente ré-imagination de Burns par MacMillan. Cela tire vraiment parti du matériau populaire, qui utilise la chorale d’une façon imaginative pour soutenir les lignes mélodiques. Pour moi, la pratique d’arrangements de chansons populaires pour chœur est une tradition à part entière, une tradition avec une histoire très riche et, vu son regain d’intérêt actuel, avec un futur fascinant aussi.
Katy Cooper
est chef de chœur, arrangeuse, professeur et musicologue. Elle a enseigné dans les Universités d’Aberdeen, Strathclyde et Glasgow, où elle termine son doctorat. Katy a suivi une formation de chef de chœur avec Sing for Pleasure, et est actuellement professeur de direction et rédactrice en chef de leur bulletin d’information. Katy dirige les Glasgow Madrigirls (madrigirls.org.uk), Cathures (cathures.org.uk), Happy Voices (un chœur d’enfants) et des chorales en milieu de travail Glasgow Life et John Lewis (Edimbourg). Katy chante avec Sine Nomine International Touring Choir, le Chœur de la Chapelle de l’Université de Glasgow, Sang Scule, (sangscule.org.uk), et les groupes de folk-harmonie Muldoon’s Picnic (muldoonspicnic.org.uk) et The Crying Lion. Une compilation des arrangements pour chorale de Katy a été publiée par Sing for Pleasure en 2011. Email: katylaviniacooper@googlemail.com
L’Intimité à une Certaine Proximité
La Musique Chorale de Judith Weir
Graham Lack, compositeur et consultant éditorial à ICB
La musique de Judith Weir habite dans un monde étrange. Son style est intime, mais d’une certaine manière demeure peu familier même lorsque les auditeurs pensent qu’ils doivent le connaître et le comprendre. Son œuvre choral offre quelques textures saisissantes et résulte en des sons plutôt satisfaisants, certains tempérés par plus qu’une mesure de retenue. Mais quoi qu’elle écrive, la musique est au service du contenu émotionnel du texte sur lequel elle compose.
L’utilisation de l’orgue dans Ascending into Heaven révèle l’influence de son professeur, Olivier Messiaen. Cela fut complété en 1983 par l’exploitation d’un texte latin de Hildebert de Lavardin (1056-1133). Le rôle de l’orgue lui-même est inattendu – dans toute sa musique, elle reste prête à créer la surprise – et ressemble à celui d’un orchestre plus qu’à n’importe quoi d’autre. Bien sûr, cela fait bien plus que proposer une analyse, et Weir ne l’utilise pas que pour relier une section de son œuvre à la suivante. Les chœurs se réjouiront de la franchise dans l’écriture chorale, qui est résolument moderne mais demeure assez accessible.
Son Drop down ye heavens a été écrit pour le chœur de la Chapelle du Trinity College de Cambridge, et la première fut donnée en 1983. Elle compose des mots à partir de l’Advent Prose, et propose un hymne parfait semblable à un joyau. C’est Weir dans ce qu’elle a de plus élégiaque.
Judith Weir: ‘Drop Down ye Heavens’, mesures 11-fin
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Une autre commande de Cambridge fut Illuminare, Jerusalem commandée par le renommé Chœur du King’s College, qui donna sa première représentation en 1985 au célèbre Festival des 9 Leçons et Chants de Noël. Le texte est en gallois, et Weir atteint quelques moments harmoniques denses parmi les rythmes entraînants.
Two Human Hyms, une commande de l’Université d’Aberdeen pour son cinq-centenaire en 1995, est peut-être son œuvre chorale la plus attrayante et la plus populaire, dans le meilleur sens du terme. Weir y met en musique les mots de George Herbert, de même que ceux d’un autre poète du dix-septième siècle, Henri King. L’écriture chorale est au sommet de son lyrisme, en contraste complet avec une partie à l’orgue qui interrompt constamment le déroulement de l’harmonie. Le résultat est un remarquable sentiment de tension. Les épisodes d’orgue dans la seconde partie sont des toccatas pleines d’entrain. La première partie de l’ensemble, “Love Bade Me Welcome“, a été arrangée deux ans plus tard pour un effectif a cappella.
Judith Weir: ‘Love Bade me Welcome’ (version a cappella), mesures 1-14
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Comme pour My Guardian Angel, commandé en 1997 par le Festival Spitalfields, il semble que ce soit un chant assez direct. Mais avec Judith Weir, la simplicité apparente cache quelques subtiles complexités. Et n’importe quel chœur s’essayant à ce morceau remarquera certainement, au fil des répétitions, la profondeur de la pensée harmonique.
Vertue a également été écrit pour le Spitalfields Festival de Londres, qui en reçu la première représentation en 2005. La compositrice met en musique trois poèmes de George Herbert démontrant une réponse compositionnelle qui était plutôt austère dans sa droiture et utilisait un langage musical harmoniquement nu. Ici, Weir est au sommet de sa réflexion, et un auditoire engagé entendra distinctement sa voix musicale.
Son arrangement de Psalm 148 était une commande de 2009 pour le 800ème anniversaire de l’Université de Cambridge. L’effectif de l’œuvre est quelque peu inhabituel : chœur et trombone. Elle n’a cependant pas simplement alloué une ligne basse à l’instrument, mais elle l’a forcé à ajouter au chœur un contrepoint solide. D’une certaine manière, elle est parvenue à produire une composition qui est ouvertement hymnique mais étrangement introvertie. Les sons sont dépouillés, et font partie d’un monde de sons détachés, perdus dans leur propre rêverie. Avec un hochement de tête occasionnel à la sentimentalité du texte, Weir trace une voie à travers de dangereuses eaux harmoniques, permettant à l’œuvre motivique à la surface de la composition d’emmener l’auditeur d’une tonalité à la suivante.
Un poète que Weir trouve évidemment fascinant est E. E. Cummings, et son adaptation de son Little Tree, de 2003, correspond parfaitement à son texte. Conçu comme trois courts tableaux indépendants, le morceau est pour chœur et marimba. C’était une commande du Young People’s Chorus de New-York. S’opposant aux voix supérieures en trois parties, le marimba agit comme un continuo, en élargissant la texture musicale. Comme avec Cummings, ce que vous voyez n’est pas nécessairement ce que vous obtenez ou, dans le cas de Weir, ce que vous entendez…
Dans un second arrangement de Cumming, également achevé en 2003, a blue true dream of sky, nous avons presque une œuvre frénétique, une de celles qui nous font instantanément nous concentrer sur les préoccupations de Weir pour la mystique Hildegard von Bingen. Le morceau a été écrit pour une commande du chef de chœur et organiste Philip Brunelle, et la première a été donnée par le Plymouth Church Choir à Minneapolis. L’importante partie de soprano solo a été écrite pour Maria Jette. Deux altos solos assurent le fond musical et permettent à la ligne solo, au chœur, et à leur propre musique de s’aligner progressivement eux-mêmes.
Judith Weir: ‘a Blue True Dream of Sky’, mesures 9-11
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La musique de Judith Weir est publiée par Chester-Novello, du Music Sales Group, et nous espérons que cette brève étude aura éveillé de l’intérêt parmi les chefs de chœur.
L’intérêt de Judith Weir pour les récits, le folklore et le théâtre a trouvé son expression dans un large éventail d’invention musicale. Elle est la compositrice et librettiste de plusieurs opéras largement interprétés, dont les sources diverses comprennent les sagas islandaises, le théâtre chinois de la Dynastie Yuan et le romantisme allemand. La musique folklorique des îles britanniques et au-delà a influencé une série considérable de compositions pour cordes et piano. Elle a travaillé pendant de nombreuses années, en Angleterre et en Inde, avec la conteuse Vayu Naidu, et à des collaborations de films et musiques avec la réalisatrice Margaret Williams. Elle a passé quelque temps en tant que compositrice résidente de l’Orchestre Symphonique de Birmingham, et a également écrit pour le Boston Symphony Orchestra, le BBC Symphony Orchestra et le Minnesota Orchestra.
Graham Lack a étudié la composition et la musicologie au Goldsmith College et au King’s College de l’Université de Londres (Licence en Musique avec mention, Maîtrise), la pédagogie de la musique à l’Université de Chichester (Certificat d’Etat) et s’installa en Allemagne en 1982 (Université Technique de Berlin, Doctorat). Il a occupé jusqu’en 1992 un poste de maître de conférences en Musique à l’Université du Maryland. Il est contributeur au Groves Dictionary et à Tempo. Parmi ses œuvres de commande : Sanctus (Queen’s College, Cambridge), Two Madrigals for High Summer, Hermes of the Ways (Académie Damkören Lyran), une série pour The King’s Singers, Estraines, enregistrée chez Signum, et Four Lullabies (VOCES8). Le Chœur Philharmonique de Munich lui a commandé Petersiliensommer. The Legend of Saint Wite (SSA, quatuor à cordes) il remporta en 2008 le concours de la BBC. Refugium, dont la première a été chantée par le Trinity Boys Choir à Londres en 2009, a été enregistré en CD en 2012. Parmi ses œuvres récentes : Wondrous Machine pour le multi-percussionniste Martin Grubinger, Nine Moons Dark pour grand orchestre. Premières en 2010/2011 : The Windhover (violon et orchestre) pour Benjamin Schmid. Il est membre correspondant de l’Institut d’Etudes Musicales Avancées du King’s College de Londres, et aussi participant régulier aux conférences de l’ACDA. Editeurs : Musikverlag Hayo, Cantus Quercus Press, Schott, Josef Preissler, Tomi Berg. E-mail: graham.lack@t-online.de
Traduit de l’anglais par Véronique Chartier-Rioland (France)