Tim Koeritz, journaliste musical, professeur et chanteur
Quelle surprise que d’entendre, lors du 15ème Concours international de chœurs de chambre de cette année à Marktoberdorf, dans le sud-ouest de l’Allemagne, du hip-hop! Pour la première fois, la catégorie “Musique chorale populaire” était au programme. Martin Seiler lui-même, chef de l’ensemble pop “Greg is back” d’Augsbourg, a pris le micro. Après tout, chanter avec un micro fait partie intégrante de la variété, et, comme le souligne Martin Seiler, “Greg is back” se considère comme “un chœur pop refusant les compromis: nous sommes un ensemble qui s’efforce d’avoir une vision globale et d’avoir un large public; entièrement amplifiée, il vise également un son plus important, un son pop, pour que les membres du public ne sachent pas dire s’ils sont à un concert de Coldplay, de Genesis ou à l’un des nôtres: c’est ce que nous visions, et c’est pourquoi je parle de “refus des compromis” – mais nous n’avons pas été autorisés à mettre cela en pratique ici. Les choristes n’ont pas le droit d’avoir un micro chacun, mais il y a juste une sonorisation globale pour l’ensemble de la scène, produisant un son un peu plus vide, et nous avons seulement été autorisés à quatre micros supplémentaires – dans notre cas, un pour une beatbox, un pour la basse et deux pour les solistes. Lorsque nous organisons nos propres arrangements de concert, nous avons, je pense, plus de quarante micros sur scène!”. Généralement ils ont aussi leur propre technicien au mixage.
Mais à Marktoberdorf, la Mecque du chant choral classique, les restrictions techniques sont susceptibles de rester en place; ainsi Matthias E Becker, président du jury, a résumé d’emblée: “Je crois que l’utilisation de micros individuels ne sera pas possible, si ce n’est que pour des raisons de timing; il faudrait prolonger le festival de deux jours afin de permettre à tous les chœurs de réaliser des essais. Je sais que cela prend entre cinq à six heures à “Greg is back”. Je pense que, compte tenu du fait que c’était la première fois, tout s’est bien passé. Nous avions six postulants, malheureusement deux chœurs n’ont pas été autorisés à quitter leur pays pour des raisons politiques, et au final nous n’avons donc eu que quatre chœurs. La prochaine fois, nous aurons davantage de participants, et nous essaierons de donner davantage de détails dans la publication des conditions de participation”. Pour Jürgen Budday, directeur artistique du Concours, il était important “d’introduire une nouvelle couleur, pour atteindre un nouveau public. Je pense que, pour cet item, nous sommes totalement dans l’air du temps. Et la chose qui importe à Marktoberdorf, plus que toute autre chose c’est la qualité. Et dans le même temps, ces chœurs ont atteint un niveau si élevé que je souhaiterais simplement les entendre ici “.
Néanmoins, il est assez difficile de définir un chœur pop et jazz en tant que tel: cela a été largement démontré par les ensembles en présence. Les pièces proposées par le chœur “Los Cantantes de Manila“, des Philippines, sont-elles toujours décrites comme de la musique pop? Par exemple dans des morceaux comme “Canta” de Guido Lopez Gavilan, la chorale, dirigée par Darwin Vargas, a totalement respecté le règlement du concours qui indiquait que le programme devait inclure au moins un élément de style latino. Malgré une formation virtuose sans restriction, l’énorme puissance vocale et le charisme du chœur ne sont pas allés de pair avec le son bel canto de la chorale, quelque chose qui n’appartient pas à la pop. En dépit de cela, ils ont fini par partager le premier prix avec le chœur du collège Detmold “Pop-up“. Outre l’élément latino, la catégorie “Musique chorale populaire” a également exigé une ballade rubato et un nouvel arrangement du standard de jazz “Round (about) Midnight” du pianiste et compositeur de jazz Thelonius Monk, étant donné que ce que la catégorie pop exige n’était pas tellement un compositeur, mais plutôt un arrangeur de ce qui existe déjà. Alors que pour le chœur d’Augsbourg “Greg is back“, c’est presque exclusivement le chef de chœur lui-même qui fournit les arrangements, Anne Kohler, fondatrice et directrice de “Pop-up“, les a écrits pour elle. Selon elle, il existe des critères clairs de ce qui constitue un bon arrangement: “Je trouve que ce qui compte vraiment, c’est que le message de la mélodie passe bien, ce qui signifie que les instrumentations doivent être correctes. Et, cela signifie que les lignes de basse doivent être créatives et inventives, et que la percussion vocale doit être employée avec un objectif clairement établi, que les harmonisations doivent être vraiment chantables, plutôt que d’être posées maladroitement, que les tonalités dans lesquelles le morceau est présenté doivent être bien pensées. Après tout, dans un chœur de jazz, c’est une question tout-à-fait différente. Si je place une mélodie avec une soprano 1, cela va paraître abominable, car la voix des soprani sonnera immédiatement “classique”. Une telle mélodie doit être écrite pour la tessiture aiguë des ténors, ou pour une tessiture pleine et réellement “fruitée” d’alti“. Comme ils n’étaient pas seulement magnifiques vocalement, mais aussi complètement à l’aise au niveau stylistique, “Pop-up” a remporté à juste titre l’un des deux premiers prix du concours.
Bien sûr, la qualité vocale a également compté dans la catégorie A (chœurs mixtes), pour lesquels cette année n’était pas vraiment le meilleur cru que nous ayons entendu à Marktoberdorf. Et pourtant, encore une fois, parmi les onze chœurs de neuf pays c’est un chœur scandinave, le chœur de chambre NOVA, d’Oslo, qui est reparti avec un des deux premiers prix. Il est dirigé par Yuval Weinberg, un Israélien de 27 ans qui a également reçu le prix spécial pour la meilleure direction de chœur du Concours. Il a étudié à Berlin et à Oslo, et a déjà dirigé plusieurs chœurs professionnels en tant que chef invité. Yuval Weinberg décrit le son typiquement scandinave de son chœur comme “placé très directement devant, pour ainsi dire, et je trouve qu’il possède de la chaleur. Je m’autorise à dire cela en tant qu’étranger, car je ne viens pas de Norvège. C’était pour moi quelque chose de très nouveau: je ne suis en Norvège que depuis deux ans et demi”. La qualité exceptionnelle d’absence de vibrato et l’homogénéité particulière du chœur se sont alliées de manière particulièrement convaincante dans le programme choisi, le deuxième tour, en particulier dans l’arrangement d’un chant folklorique norvégien, où l’unisson des soprani en ouverture a été assez fascinant. Le mélange spécial requis pour l’unisson est probablement ce qui est le plus difficile à atteindre pour une chorale ou un orchestre. “C’est notre but“, déclare Yuval Weinberg: “que tous les chanteurs ressemblent à un seul chanteur, mais que tout le monde conserve tout de même sa propre identité; c’est ce à quoi nous travaillons souvent. Ce n’est pas que nous possédions tous la même couleur, mais en utilisant celles que nous avons, nous obtenons ensemble une couleur plurielle“.
L’homogénéité est également une exigence fondamentale pour le répertoire romantique, avec comme autre caractéristique importante des phrases longues et fluides. Et c’est une chose que les chœurs asiatiques d’Indonésie et de Singapour n’ont tout simplement pas réussie. Dans le cas du chœur norvégien, nous avons également apprécié la différenciation dynamique détaillée qui, par exemple, devait être entendue dans le “Kyrie” de Rheinberger extrait de son “Cantus missae“. Pour cette performance convaincante, le chœur de chambre NOVA d’Oslo a mérité le prix spécial de meilleure interprétation d’une pièce romantique dans le Concours.
La pièce imposée pour tous les chœurs était la première mondiale de “The Emigrant” de Wolfram Buchenberg, sur un poème datant de plus d’un siècle et écrit par le poète irlandais Joseph Campbell. Avec ses compositions pour chœurs, Buchenberg, issu de la région de Marktoberdorf, a une longue histoire avec le Concours. Ce texte irlandais ancien évoque dans toute son ambivalence le thème de la fuite et de l’émigration, toujours d’actualité. “Le texte illustre“, dit Buchenberg, “ce que ressent une personne forcée de quitter son domicile dans les cinq heures qui suivent“. C’est une pièce qui exige, de la part des chœurs, des efforts considérables aux niveaux rythmique et vocal. Pour Buchenberg, la façon dont les chœurs négocient les “changements violents d’humeur composés dans la pièce, d’une seconde à l’autre, revêtent une importance particulière. C’est l’une des difficultés du travail. C’est là que les qualités d’un chœur se révèlent“.
À la fin, il s’est avéré que le Chœur de chambre ONE de Singapour, dirigé par Lim Ai Hooi, a livré cette pièce obligatoire de la manière la plus animée, de façon transparente et très expressive. Ici, les jeunes voix brillantes correspondaient particulièrement bien à l’esprit de la pièce. Dans le cadre du Concours dans son ensemble, cette chorale s’est vue décerner l’un des deux troisièmes prix. Un deuxième prix a été remis au chœur de l’Université de Mendoza. Les chœurs universitaires ont presque dominé l’image du Concours – des deux chœurs allemands qui ne répondaient pas aux attentes, OPUS VOCALE et le chœur de chambre du Collegium Musicum, ce dernier étant rattaché à l’Université libre ou plutôt à l’Université technique de Berlin. Donka Miteva, originaire de Bulgarie, est en charge de cette chorale. Elle a particulièrement aimé le caractère de ce concours qui encourage l’esprit de camaraderie non seulement en tant que Concours, mais aussi en créant des concerts communs et des offices œcuméniques: “Nous avons tous pensé que c’était génial. L’ensemble du chœur a été ravi par l’office religieux, d’autant plus que son caractère œcuménique a permis un large rassemblement. En outre, il y avait les contributions musicales à un niveau si élevé d’une part, des chanteurs de chambre de Géorgie (États-Unis) et aussi – heureusement – les nôtres. Pour nous ce fut expérience merveilleuse, à refaire mais dans un cadre différent“.
Si l’on ne prend en compte que la comparaison des réalisations, la synthèse finale de Georg Grün, président du jury dans la catégorie des chœurs classiques, fut la suivante: “Cette fois, il y avait peu de différence de niveau entre les concurrents qui, cependant, présentaient des caractéristiques, des types et des répertoires complètement différents, et donc c’était très difficile ; après tout, le jury est très international, en provenance de plusieurs continents, et fournit des points de vue très différents. Ensuite, tout prend beaucoup plus de temps. Mais personnellement, je pense aussi que c’est beaucoup plus intéressant que quand il faut environ cinq minutes pour se mettre d’accord et décider du gagnant“. En fin de compte, même parmi les gagnants, deux types de chorales très différents, même au niveau du son, ont été représentés, puisque, aux côtés de la chorale norvégienne qui a déjà été évoquée, c’était un chœur universitaire des États-Unis, les Georgia State University Singers, qui a également reçu un premier prix. Contrairement aux Norvégiens, ils testent souvent leurs limites, même en chantant forte les vibrato, et pas seulement lorsqu’ils interprètent de la musique gospel.
Tim Koeritz, né en 1965 à Stade dans le nord de l’Allemagne, a d’abord étudié pour devenir professeur de musique et d’histoire, il a étudié le piano à Hanovre et à Fribourg, sur le bord occidental de la Forêt-Noire. Après avoir terminé la partie pédagogique de cette formation à Hildesheim, il a entrepris un cursus de deux ans en journalisme radio à l’Institut «Lernradio» rattaché au Collège de musique de Karlsruhe et a obtenu son diplôme en 1998. Depuis lors, il travaille et vit à Munich, où il a collaboré comme journaliste indépendant avec plusieurs stations de radio allemandes, dont Deutsche Welle et Deutschlandradio Kultur. Ses intérêts principaux – outre la musique contemporaine – tournent autour de la musique chorale. Une partie de son travail de journaliste musical est l’écriture de textes de programmes. Ainsi, par exemple, il travaille actuellement pour via-nova-chor Munich, The Theatergemeinde Augsburg avec sa série de concerts “Philamarmonique Matinee”, ainsi que des séries de concerts en plein air organisées pendant l’été, “Concerts dans le Fronhof”, ainsi que pour les séries de concerts du Centre culturel k1 de la ville de Treunreut. En tant qu’éducateur musical, Tim Koeritz travaille depuis 2005 à l’Institut d’éducation des adultes de Munich comme conférencier en musique et en critique musicale, ainsi que dans son département d’études générales. Il y donne des cours de théorie musicale et d’histoire de la musique, et il présente les concerts de l’Orchestre philharmonique de Munich. En outre, il est professeur de piano indépendant à Munich. Depuis 2005, il chante dans le via-nova-chor Munich, chœur spécialisé dans la musique contemporaine. Pendant plusieurs années, il a également assumé bénévolement le rôle de président de l’Association des amis de la via-nova-chor, une tâche de collecte de fonds, de parrainage, de publicité-marketing et d’organisation de concerts. Courriel: tim.koeritz@t-online.de
Traduit de l’anglais au français par Barbara PISSANE. Relu par Jean PAYON