Par Walter Marzilli, chef de chœur et enseignant
En paraphrasant le titre d’un texte bien connu sur les castrats[1], nous avons voulu nous demander s’il fallait reconsidérer la définition de cette voix perdue, pour y inclure non seulement la voix de ces chanteurs castrats, mais aussi le répertoire des chœurs du temps de la Renaissance dans leur ensemble. En d’autres mots, serions-nous capable de reproduire le son d’un chœur de la Renaissance qui serait fidèle à l’original? Il faudrait enlever les pansements qui ont été apposés sur les œuvres musicales de la Renaissance pour y découvrir de véritables chefs d’œuvres, mais la poussière qui s’est accumulée sur les vieilles partitions semblent vouloir cacher des traces d’encre cernées par un silence abyssal. Comment pourrait-on retrouver cette voix? S’est-elle éteinte comme ses chanteurs pour ne jamais être retrouvée? Ou, au contraire, ont-ils laissés des traces afin de la reconstituer?
Dans le but de reconstituer cette voix perdue, il est évidemment nécessaire de continuer les recherches, réviser le répertoire et étudier les traités de la période. Ce ne sera pas sans difficultés qu’on tentera de reconstruire la voix ancienne des castrats à partir des traités de la Renaissance. Il faut admettre, après réflexion, que tenter de reconstruire une voix perdue[2] à partir de bouts de papier peut sembler aussi irréel que prendre des cours de chant par correspondance.
De plus, les auteurs des traités de la Renaissance n’auraient jamais pu savoir qu’entre leur ère musicale et la nôtre, viendrait la tempête de l’ère Romantique, qui amena des changements drastiques dans le style musical et autant dans les techniques vocales qu’instrumentales[3]. C’est peut-être pourquoi ils ont jugé suffisant de dire : « Nous mettons les chanteurs au courant qu’il y a une façon de chanter à l’église et dans les chapelles publiques et une autre dans les studios privés, puisque l’une est chantée de pleine voix […] »[4] sans savoir qu’entre-temps la définition d’une pleine voix serait complètement changée par la technique du passagio (changement de registre vocal) et par la technique copertura dei suoni (couvrir les sons), toutes deux apparues au courant de l’ère Romantique[5].
En ce qui concerne les voix et le timbre des voix, il ne faut pas oublier que – en dehors des styles de l’église et des studios privés, qui, apparemment, se distinguent plus par la profondeur du son que par des caractéristiques spécifiques du timbre de voix – la période de la Renaissance pouvait se fier à une cohésion unique des voix, ce qui enlevait toute possibilité de malentendu. Cela rend la tâche beaucoup plus difficile puisque les auteurs des traités de cette période décrivent les caractéristiques des voix de leur temps sans vraiment donner d’explications valables.
Sans explications, il nous faut donc examiner les textes de façon méticuleuse puisque nous voulons tirer toute l’aide possible de ces documents. Suite à cette réflexion, voici un paragraphe très important de Biagio Rossetti (connu sous le nom de Rossetto), dans lequel le théoricien de Verona utilise quatre adjectifs afin de qualifier ce qui constitue une voix parfaite de son temps[6]:
Perfecta vox est alta, suavis, fortis et clara. Alta ut in sublime sufficiat, clara ut aures impleat, fortis ne trepidet, aut deficiat. Suavis, ut auditum non deterreat, sed potius, ut aures demulceat et ad audiendum [=audientium. Cfr. Is., E., III, 20] animos blandiendo ad se alliciat et confortet. Si ex his aliquid defuerit, vox perfecta (ut dicit Ysidorus) nequiquam erit. (Traduction française dans la note de bas de page]
Alta (Haute) Comme nous le savons tous, la formation particulière d’un chœur de la Renaissance, qui n’incluait pas les femmes, requiérait l’utilisation des voix d’hommes ou d’enfants pour les parties plus aigues. Pour cette raison, ces compositions ne devaient pas dépasser une certaine tessiture. Donc, quand un chœur moderne – qui exigent l’utilisation des voix de femmes pour chanter les deux voix les plus aigues – performe un chœur de la Renaissance, ils chantent une tierce ou une quarte plus haute que 500 ans plus tôt. Le concept d’une voix haute prend ici une toute autre signification par rapport à ce que nous en pensons aujourd’hui.
Et ce n’est pas tout : l’absence de la technique du passaggio (changement du registre vocal) prévenait tout changement dans le timbre de voix entre les sections, limitant ainsi les différences. Les voix graves étaient graves et les voix hautes étaient hautes, les parties basses utilisaient toujours la voix de poitrine et les autres, la voix de tête et de fausset[7]. Cependant, dans un chœur moderne, quand les chanteurs doivent chanter dans les parties les plus hautes de leur voix, ils semblent ajouter une nouvelle section au chœur, tellement différente en timbre et en couleur comparée aux notes centrales, qu’elle donne au chœur des sons complètement différents.
Ensuite, une autre question se pose, cette fois strictement physique et acoustique. Comment peut-on comparer le terme «Alta» (haut) à la septième règle de Camillo Mafei, selon laquelle un chanteur « devrait ouvrir la bouche juste assez, comme s’il dialoguait avec un ami.»[8]? Même si cela ne semble pas avoir d’importance par rapport à cette étude, l’affirmation prend plus d’envergure si on l’étudie par rapport à la loi d’ Helmholtz[9], qui rattache la fréquence d’un son à sa sonorité et son ouverture. Nous n’avons pas à entrer dans les calculs numériques, mais bien simplement d’examiner les liens entre les différents facteurs. On peut donc simplifier l’équation mathématique, en éliminant la racine carrée et les constantes[10], et définir la fréquence f d’un son avec l’équation f=s/v. La section transversale du résonateur acoustique est le numérateur et le volume interne est le dénominateur. Si on considère la voix humaine, en utilisant les paramètres qui pourraient s’y rattacher, le volume v du résonateur qui est constitué de – par ordre décroissant d’importance – la cavité thoracique, la cavité buccale et les sinus dans la région du visage qu’on apelle «le masque»[11]. On considérera donc la section s transversale comme l’ouverture, qui permet le contact entre le résonateur en l’environnement extérieur, dans ce cas-ci, la bouche. Il faut donc, pour obtenir des fréquences élevées et des sons aigus, que le numérateur (la section efficace de la bouche), soit large, et que le dénominateur (le volume de la caisse de résonance) soit petit[12]. Maintenant, à l’exclusion des chactéristiques expressives et du timbre de voix du style de musique de la Renaissance, on peut affirmer que la technique des choristes contemporains, comme mentionné plus tôt dans le texte, selon laquelle le choriste « devrait ouvrir la bouche juste assez, comme s’il dialoguait avec un ami.», ferait obstacle à la production de notes aigues et le choriste ne pourrait pas produire de notes plus élevées que celle du registre moyen. On doit donc conclure qu’en comprenant ce qui constitue une voix haute, on s’éloigne des vraies qualités de la musique de la Renaissance.
Soave (Douce). Tout d’abord, nous devons nous demander à quel point les voix des basses (bassus) et barytons (tenor), que nous imaginons dotées d’une texture intense et décisive, étaient « douces » lorsqu’elles chantaient un quart de ton plus bas que leurs homologues dans les chœurs modernes. Les critiques fréquentes des théoriciens et les condamnations amères à propos des voix des choristes nous aideront à mieux comprendre la situation et à nous rendre compte qu’il a souvent été très difficile d’atteindre la « voix douce» idéale. La liste des défauts de ce type de voix est aussi longue que variée et facile à trouver dans pratiquement tous les traités historiques. Cette gamme allant des sons nasaux à ceux produits « avec la violence et la furie bestiales »,[13] des « sons rauques comparables à ceux que pourraient faire un frelon enfermé dans un sac en cuir » [14], à des « pleurs barbares » [15] et des sons produits dans d’imprécises intonations. Selon Luigi Dentice, qui s’exprime à travers les mots des deux personnages principaux de son Duo dialoghi della musica, Paolo Soardo et Giovanni Antonio Serone : « Chaque personne se trompe, que ce soit dans l’intonation ou la prononciation, dans le chant, dans le passaggio, ou à l’heure de projeter et de renforcer la voix… » [16] La réponse de l’autre protagoniste du dialogue est particulièrement importante puisqu’il affirme : « A ce rythme, personne ne sera à votre goût » [17], en suggérant que chaque chanteur a au moins l’un de ces défauts, ou que son partenaire est trop perfectionniste, et devrait simplement se contenter de la réalité. Il est raisonnable d’imaginer que toute forme de «douceur» a dû être affectée par les inexactitudes, les omissions et les erreurs (pour ne pas dire les horreurs) des chanteurs.
Forte (Fort). En ce qui concerne la musique laïque, nous savons qu’elle a été chantée par très peu de personnes et que selon Zarlino (cité plus haut) : « Dans les salons, on chante avec une voix plus douce, sans émettre trop de sons. » [18] Par ailleurs, les chœurs de l’époque étaient généralement composés d’une douzaine de personnes seulement. Leurs voix auraient donc été diluées et étouffées dans les grandes basiliques. Revenons à la musique religieuse : il est important de souligner que la profondeur des sons était souvent étouffée par le fait que les chœurs chantaient face à l’autel, selon une approche fortement religieuse, suivant la théologie liturgique. L’autel représentait le cœur de l’activité sacrée et surtout, c’est à cet endroit que les personnes qui finançaient le chœur se trouvaient pour présider la cérémonie. Comme nous pouvons le voir dans différentes photographies, les choristes tournaient le dos à la congrégation ou au public pour diriger leurs voix vers le sanctuaire. C’est seulement au moment où la polychoralité est apparue que le public a été considéré comme une cible à atteindre pour les chanteurs. Cependant, l’impact du faible nombre de chanteurs sur une petite plateforme érigée dans l’une des grandes basiliques[19] était limité, nous les imaginons même devant grimper sur l’imposant parapet du dôme de la Basilique Saint Pierre de Rome.[20]
De plus, lorsqu’un choriste de la Renaissance chantait en falsetto (voix de tête), étant donné les caractéristiques physiologiques de la voix humaine, le son était seulement produit par une vibration partielle des cordes vocales. Avec cette technique, les cordes vocales ne vibrent que sur les bords, ou bien sur le devant, sur la partie longitudinale. Dans les deux cas, en ce qui concerne les sons principaux de la tessiture, la profondeur du son est bien moindre, comparée aux sons obtenus grâce à la vibration complète des cordes vocales des basses et barytons. Par ailleurs, le son produit par le falsetto devait être faible mais les autres chanteurs devaient s’y conformer dans le but de rendre les différentes nuances audibles, de réguler et d’équilibrer les niveaux de sons produits. Cette recherche d’équilibre qui leur était assignée à l’époque, était leur tâche la plus importante. Enfin, et pour les mêmes raisons, nous pouvons être sûrs que les grandes capacités d’improvisation des chanteurs et leurs embellissements convoités ne luttaient pas contre la force des autres voix, qui étaient affaiblies pour laisser de la place à leur virtuosité précieuse et appréciée.
Chiara (Clair). Il n’y a aucun doute sur ce point: l’hypothèse selon laquelle les sons de la Renaissance étaient généralement clairs est confortée par une nature acoustique et physiologique que nous étudierons ici.
Le fait de chanter face à un librone (livre de chant choral) obligeait les chanteurs à garder leur tête levée, avec leur cou tendu vers le haut, comme le montrent les nombreuses images décrivant les concerts. Dans cette position, l’os hyoïde[21], et plus précisément le muscle thyro-hyoïdien qui le rattache au larynx, soulève ce dernier organe, réduisant par conséquent la distance entre la source du son et la cavité buccale qui lui permet de résonner. Le résultat immédiat est l’émission d’un son relativement clair, qui ne peut pas s’arrondir, ni s’obscurcir[22]. Par ailleurs, il était impossible pour les chanteurs d’utiliser l’élasticité du muscle thyro-hydroïdien vers le bas (puisqu’il est étiré dans la direction contraire par l’allongement du cou), ce qui aurait causé un allongement des cordes vocales, empêchant ainsi le son d’être étouffé et permettant d’émettre un ton clair.
Dans ce contexte, la suggestion de Giovanni Camillo Maffei concernant la position de la langue est très intéressante. Dans sa règle numéro six, il affirme qu’elle doit être maintenue distendue et en avant « de telle manière que l’extrémité touche la base des dents de la mâchoire inférieure » [23]. Cette position rappelle les pratiques vocales de la Renaissance (qui, comme nous l’avons déjà vu, n’utilisaient aucun mécanisme pour couvrir les sons) et elle recherche les mêmes objectifs que la section précédente. Garder sa langue étendue jusqu’à ce qu’elle touche la base des dents du bas est en fait un conseil qui est également donné aux chanteurs d’aujourd’hui comme un simple moyen d’atteindre un ton plus clair, sans courir le risque d’affecter le son. Dans le but d’amplifier l’effet, la consonne « L » peut être mise devant les voyelles ou ajoutée à toutes les consonnes dans une œuvre. Dans ce cas, la langue, en s’allongeant, touche la base des dents du haut, ce qui donne un effet remarquablement clair.[24]
Il est important de faire une autre remarque. Une nouvelle fois, elle est liée à un grand nombre de recommandations faites aux chanteurs par les théoriciens. Ce sont de durs reproches mais ils forment d’importants sujets de réflexion. Le fait de remplacer les voyelles sombres par des voyelles claires est souvent critiqué. Nous pouvons prendre l’exemple d’un passage de Zarlino même s’il existe de nombreux autres exemples dans la littérature contemporaine qui reprennent le même concept: [25]
[…] Mais par-dessus tout pour être compris, les chanteurs doivent éviter une erreur commune et ne pas changer les voyelles comme par exemple lorsque l’on prononce A au lieu de E, I au lieu de O, ou U à la place d’une autre voyelle. Ils doivent en effet les prononcer correctement.
[…] Parfois nous entendions des cris (je ne peux pas les qualifier de chants), des voix incongrues qui utilisent des techniques tellement artificielles qu’elles ressemblent aux sons des singes, et qui disent des choses telles que Aspra cara, e salvaggia e croda vaglia alors qu’elles devraient dire Aspro core, e selvaggio, e cruda voglia : qui ne rirait pas en écoutant cela ? Aussi, qui ne serait pas furieux d’entendre quelque chose d’aussi artificiel, laid et épouvantable ?
Malgré l’importance de ce mauvais style que Zarlino décrit comme « si artificiel, laid et épouvantable », les chanteurs continuaient obstinément à encaisser ces critiques plutôt que de perdre l’habitude de changer les voyelles sombres en voyelles claires, particulièrement le A, la plus claire des voyelles.[26] Evidemment, nous pouvons en conclure que ce n’était pas une simple tendance ou une mode très répandue, mais plutôt un besoin physiologique et phonétique lié aux facteurs que nous avons détaillés plus haut. La nécessité d’utiliser un ton clair était essentielle pour les chanteurs, à tel point qu’ils étaient prêts à se soumettre à d’humiliantes critiques. Par-dessus tout, ce besoin si important les menaient jusqu’à la trahison des mots et de la signification des textes qu’ils chantaient (il est communément accepté que la rhétorique, la dialectique et l’art oratoire étaient étroitement liés à l’art de la musique polyphonique).[27]
En donnant le madrigal particulier cité par Zarlino comme exemple, certains peuvent déduire que tout ceci arriva exclusivement dans le domaine de la musique profane, où il serait raisonnable de supposer qu’il y avait une plus grande liberté d’expression et de comportement. Cependant, à partir de 1471, cette idée réconfortante est contredite par ce que l’ont peut explicitement lire dans un essai passionnant de Conrad Von Zabern[28]. Il déclare avoir entendu des chanteurs chanter “Dominos vabiscum, aremus”, puis évoque d’un ton sarcastique l’image de « labourer un terrain »[29]. Dans le même passage, il ajoute que de Francfort à Coblence et de là-bas à Trier, il a souvent écouté la même chose, surtout venant des étudiants. Cela signifie que la tendance à déformer les sons en les éclaircissant était déjà bien enracinée au siècle précédent et n’était pas restreint qu’à l’Italie.
Il est également intéressant de noter que les choses sont restées inchangées au travers des siècles. Après l’époque du Romantisme, certains chanteurs d’opéra ont continué à modifier les vocaliques, en les assombrissant considérablement en recouvrant les sons. C’est parce qu’ils ressentaient le besoin d’atteindre une augmentation particulièrement marquée dans la résonance de certains sons harmoniques, qui se produisent aux alentours de 2500 Hertz et que l’on appelle communément un formant. Ceci permet au chanteur d’être entendu au-delà de l’orchestre par le public, une seule voix s’élevant à travers un orchestre composé de 80-120 musiciens[30]. Comme nous le savons, lorsque ceci est poussé à son extrême, cela a tendance à rendre le texte incompréhensible. Comme précédemment, cela a encore était fait au nom de la technique vocale.
La configuration d’un chœur à l’époque de la Renaissance par rapport à sa sonorité, va confirmer que nos prédécesseurs avaient tendance à poursuivre l’idée de l’éclaircissement du son. Si, pour une part, il est vrai que les premiers chœurs chantaient la musique beaucoup plus bas que les chœurs actuels, cela peut être vu, d’autre part, comme le développement du timbre du chœur pendant la Renaissance qui procédait doucement du grave vers l’aigu, en se déplaçant d’un timbre à un autre afin d’obtenir un plus grand degré de clarté. Du ton le plus grave du bassus au plus aigu du cantus, le chœur ancien se dirigeait clairement vers le timbre le plus aigu. Le tenor était une voix masculine avec le timbre d’un baryton[31]. Au dessus duquel, dans ce sens de caractère particulier, la voix de l’altus continuait à s’incliner vers les aigus. Cela a été confié non pas à une voix grave de contralto moderne, mais au contraire aiguë, les voix retentissantes des contreténors et des voix aiguës[32]. La ligne cantus, manifestement, venait compléter l’ordre croissant des timbres de voix, celle-ci étant confiée aux garçons, contreténors ou castrats.
Ce progrès particulier concernant les timbres de voix les plus aigus est, cependant, entièrement détruit par la composition phonique du chœur moderne. Comme nous le constatons, la présence des voix graves des contraltos à côté du timbre de voix aiguës des ténors modernes constitue une inévitable inversion des couleurs. Cela provoque une progression instable, en passant du son grave des basses au son aiguë des ténors, en repassant par un son grave avec l’arrivée des contraltos avant de redevenir aiguë avec les sopranos. C’est le timbre de voix rebondi, enveloppé des contraltos qui est principalement responsable (pour le meilleur et pour le pire) de la sonorité du chœur actuel. C’est excellent et nécessaire lorsque la musique moderne est impliquée, mais moins opportun pour ce qui concerne la Renaissance. Il est bien connu que la performance d’un motet par une formation de musique ancienne peut éveiller des sensations de brillance et de lucidité du timbre de voix qui sont notamment meilleures que celles produites par les performances des groupes modernes- et ce malgré le fait que ces derniers soit capable de chanter la composition quatre fois plus haut que la première formation de musique ne pouvait le faire.
Concernant la composition du chœur de l’époque, il peut être utile de prendre en compte un aspect qui peut être important, et qui a probablement plus de poids que la question parallèle, à savoir s’il est une bonne idée de jouer de la musique ancienne avec des instruments modernes. Il est important de se rappeler que le compositeur de la Renaissance adoptait certaines solutions lorsqu’il composait ou qu’il choisissait des figurations en contrepoint plutôt que d’autres, car il avait une idée précise du son des voix de son temps, et surtout de l’effet sonore qu’ils auraient produits dans cette situation en particulier. Nous savons que la dissonance harmonique est bien plus efficace lorsque le timbre de voix des partis par lequel il est produit est proche. En partant de cette hypothèse, par exemple, il serait intéressant de mener une étude statistique afin de trouver comment le compositeur de la Renaissance attribuait souvent ses désaccords, interruptions, et affrontements harmoniques au ténor et à l’altus, et combien il les a donné au ténor et au cantus. Autrement dit, nous pouvons étudier laquelle des deux sections ont donné le plus de désaccords harmonique et déduire que leurs timbres de voix devaient être assez proches. Il serait particulièrement intéressant de trouver les résultats dans les deux situations hypothétiques : logiquement, la combinaison ténor-altus devrait couvrir plus d’exemples de désaccord, plutôt que le genre ténor-cantus, qui semble plus utilisé dans le cas des chœurs modernes.
Comme nous l’avons vu précédemment, la structure particulière du chœur ancien par rapport au timbre de voix déterminait une couleur intéressante entre le ténor et l’altus. Nous devons garder en tête que les deux étaient attribués à des voix masculines, proches les unes des autres en terme de timbre de voix, le dernier étant un développement du premier dans une gamme plus aiguë. De cette manière, ils semblent totalement différents du jumelage ténor-contralto que nous retrouvons dans les chœurs d’aujourd’hui, un jumelage dans lequel les voix appartiennent à deux types de timbre extrêmement distants l’un de l’autre. Une dissonance entre eux n’aurait pas un effet salutaire[33]. Nous pouvons également supposer que le jumelage altus-cantus peut produire des résultats discutables lorsque les désaccords d’interprétation et le mélange, si nous prenions l’hypothèse de la juxtaposition d’un castrat altus et un garçon soprano, à cause de la puissance du son du premier par rapport au dernier.
Bien entendu, nous pouvons ad libitum continuer d’analyser les nombreuses possibilités de l’imbrication de la polyphonie et du timbre de voix disponibles sous la plume des premiers compositeurs, mais ceci n’est pas notre but. Plutôt, comme une conséquence de ces prémisses, nous pourrions préférer faire des hypothèses sur la conclusion : l’utilisation de voix modernes avec un timbre différent de celui de la Renaissance peut dénaturer toute la construction du travail musical car cela ruine les bases de cette construction en contrepoints, le mouvement de la partie vocale, la distribution des dissonances, les entrées des différentes sections, en fait l’entière structure de la composition. En d’autres termes, nous pouvons nous questionner à raison : Si Giovani Pierluigi da Palestrina avait été capable d’utiliser les forces phoniques disponibles dans les chœurs modernes mixtes, est-ce que les choix en contrepoint qu’il faisait lorsqu’il composait ces nombreuses œuvres auraient été différents ? Est-ce que la Missa Papae Marcelli aurait été très différente de la version que nous connaissons? Il convient de dire que la réponse à notre question est affirmative, et on peut dire (en plaisantant) que nous avons couru le risque de perdre de nombreuses œuvres…[34]
Cependant, il y a deux aspects pour chaque question. Afin de percevoir les effets réels que le compositeur cherchait en utilisant les sons des voix de la Renaissance, devrions-nous utiliser les voix comme au XVIème siècle ?
En plus des distorsions mentionnées et de l’exagération (humaine) des chanteurs de la Renaissance, en laissant de côté la question de savoir si la voix perdue des chanteurs castrés peut être remplacée par celle des faussets et des contreténors actuels, d’un point de vue strictement vocal, nous pouvons peut être conclure que la distance entre les performances modernes et la performance de l’authentique Renaissance doit être considérable, due à certaines transformations physiologique qui ont altéré les paramètres vocaux au cours des cinq siècles qui nous séparent de la Renaissance.
Il est raisonnable de penser que la taille moyenne de l’homme moderne, beaucoup plus élevée que celle des hommes à l’époque de la Renaissance[35], peut avoir eu un effet considérable sur le timbre des voix. Les cordes vocales ont clairement gagné en force à cause de l’impact grandissant de l’hypophyse – et surtout des hormones régulées par elle – sur les os et le cartilage du larynx qui détermine sa taille. Nous pouvons donc supposer que ce timbre, dans une certaine mesure a pu devenir plus grave, alors que la fréquence moyenne du son est devenue plus faible[36].
Nous n’avons pas encore mentionné les voix des pueri. Contrairement aux enfants de la Renaissance, les enfants d’aujourd’hui sont bombardés d’hormones car les plats qu’ils mangent en sont pleins. Cette alimentation a une grande influence non seulement sur leur développement osseux mais aussi sur le développement du métabolisme lymphatique. Nous savons que la voix humaine est en train de subir une transformation : la fréquence et le timbre semblent être en train de se masculiniser de plus en plus, ce qui permettrait de supposer que le son transparent des voix adolescentes de la Renaissance pourrait à présent être différent. De nos jours, les voix de garçons sont plus pleines et ont une texture plus laineuse, elles ont perdu la consistance plus brillante, légère et soyeuse qui les caractérisaient encore quelques dizaines d’années auparavant. De plus, la transformation vocale liée à la maturation sexuelle intervient beaucoup plus tôt qu’avant, et la période au cours de laquelle la voix préadolescente peut être utilisée est beaucoup plus courte, ce qui rend les efforts pour entrainer une telle voix de garçon après sa maturité relativement inutiles.
Nous parlions plus haut de la possibilité de remplacer la voix de castrat par la voix de fausset (contreténor). Nous ne devrions pas réduire cette question à ces simples considérations, mais il faut bien admettre que le larynx d’un castrat devait être complètement différent de celui d’un contreténor, puisque dans la plupart des cas, il s’agit de celui d’un baryton. A cause des changements hormonaux radicaux qui devraient se produire à la puberté, mais qui sont presque complètements empêchés par la castration[37], le larynx des castrats reste d’une taille restreinte, la même que celui d’un enfant pré-pubère. En outre, il reste à une distance plus courte du résonateur buccal que celui d’un chanteur non castré (simplement à cause du poids plus léger du chanteur), ce qui donne à son détenteur un timbre des plus particuliers, capable de littéralement fasciner son public.[38] Les cordes vocales, plus courtes et plus minces que celles d’un homme, permettent au chanteur d’avoir une plus grande agilité pour le phrasé ainsi que dans le son lui-même, plaçant ainsi le castrat à l’Olympe de la musique et plus encore. Le fait est que leurs cordes vocales ont été actionnées sur toute leur longueur et sur toute leur largeur, entrainant la vibration de la muqueuse du cône élastique dans son ensemble. Ajoutez à cela le support d’une pression d’air significative, rendue possible par une capacité pulmonaire particulièrement importante, fruit d’un entrainement vocal et musculaire intense, mais par dessus tout – et les deux sont liés – grâce à l’élasticité considérable du diaphragme, la voix entière devait être pleine, longue, pénétrante, fascinante et troublante. [39]
Si on regarde des documents anciens traitants du sujet, le verbe offenser apparait très régulièrement, en référence à la perception (offenser l’ouïe, porter offense à l’auditoire). Aussi résistons à la tentation de considérer ce verbe comme un simple archaïsme, et posons nous la question de savoir si la constante répétition du verbe, si fort et spécifique, n’a pas une explication de nature purement perceptive. Prenons nos propres oreilles et décortiquons les, observons le tympan, les trois osselets – l’étriller, l’enclume et le marteau, les trois os les plus petits et les plus délicats de notre corps – qui transmettent les vibrations à la fenêtre ronde. Nous continuons par la cochlée si précieuse, l’organe de corti… ce qui nous amène à réfléchir sur un fait très significatif : notre organe auditif, tellement important qu’il est le premier à se développer durant la vie prénatale, est le seul organe des sens qui est incapable de se fermer pour se protéger lui-même du monde extérieur. [40] C’est à dire que, contrairement à l’œil, l’oreille n’a pas de couvercle pour la protéger et elle ne peut se protéger des sons forts quand il y en a. Nous pouvons même aller plus loin en reconnaissant que le monde dans lequel nous vivons est extrêmement bruyant, ou au moins beaucoup plus que 500 ans auparavant. [41] Nous pouvons donc imaginer que notre délicat tympan est constamment en train d’essayer de se préserver et de se protéger de tous ces bruits de l’extérieur. La seule façon qu’il a de le faire est de renforcer ses fibres et de raidir ses muscles tenseurs pour limiter la portée des vibrations. C’est pour cela que nous sommes équipés d’une capacité auditive moins fine que celle de nos ancêtres. Et cela explique le nombre impressionnant de modes et d’accords qui existaient à l’Antiquité, alors que maintenant nous ne sommes capables de n’en apprécier et de n’en reconnaitre que deux : le mode majeur et le mode mineur[42]. Et si nous sommes devenus si endurcis et soumis à cet ensemble de sons discordants qui forment la gamme tempérée, c’est que notre sensibilité auditive a grandement diminué. Aussi comment apprécier la finesse proposée par la musique ancienne, même sur le simple plan de l’intonation? [43] Et comment saisir toute la persuasion expressive d’un deuterus[44] sans se limiter à dire « qu’il sert à mettre des textes mélancoliques en musique » ?
Il s’agit en effet d’une situation sérieuse si l’on compare la situation musicale avec celle de la peinture, comme au début de cet article. [45] La limitation imposée par l’utilisation des seules sept notes de la gamme, et sans pouvoir adopter aucune nuance dans l’intonation, est maintenant une habitude à laquelle nous sommes parfaitement accoutumés de par l’utilisation de la dite gamme tempérée. Par ailleurs le contraire nous paraitrait étrange. Mais nous ressentirions tout l’aspect dramatique de cette contrainte si un peintre se trouvait obligé de peindre ses œuvres en utilisant uniquement les sept couleurs pures de l’arc en ciel, ce sans pouvoir les mélanger. Il se priverait ainsi de toutes ces teintes miraculeuses qui ont donné naissance aux chefs-d’œuvre de la peinture[46]. Aucun peintre, quelque soit son époque, n’aurait accepté de subir un tel châtiment. Ainsi nous avons donc d’un côté Rossini, qui a connu le succès avec une œuvre n’utilisant que les sept « notes couleurs » (en plein milieu de la période tempérée). Mais de l’autre côté nous avons les compositeurs de la Renaissance qui ont au contraire écrit leurs œuvres en gardant une palette riche de la plus grande variété de « notes couleurs » possibles devant leurs yeux/oreilles, une palette que nous avons malheureusement perdue depuis[47].
En résumé, et pour conclure, il semblerait que la question ne devrait pas être réduite à des sujets isolés comme la discussion sur l’utilisation des femmes par opposition aux faussets, ou celui sur la recherche de l’intonation ancienne par opposition au tempérament moderne. En ce qui concerne le débat entre les chœurs anciens et modernes, entre les voix perdues et les sonorités à retrouver, finissons par une dernière réflexion. Imaginons un instant qu’une radiation cosmique ou un phénomène thermal extrême, ou peut-être encore un changement dans l’atmosphère, réussisse à changer les cellules du bois, durcissant ces fibres et le rendant inexploitable dans la fabrication d’instruments de musique. Comment ferons-nous avec notre musique instrumentale? N’aurons-nous comme seule solution que d’abandonner nos orchestres, privés de leurs sections de cordes, de bois et de harpes? Devrons-nous abandonner nos trios et nos quartets, et faire taire tous les pianos du monde? Voudrons-nous détruire pour toujours un si grand trésor culturel? Ou déciderons-nous de reconstruire les instruments à partir de bois synthétique, peut être facilement obtenu à partir de polymères de certains alliages, et d’essayer de s’habituer aux nouveaux sons qu’ils émettront ?
C’est ce que nous avons fait quand nous avons perdu pour toujours les chanteurs de la Renaissance, et c’est ce que nous devons continuer à faire.
Avec l’aimable autorisation du Journal Polifonie d’Arezzo, Italie
[1] Sandro Cappelletto, La voce perduta. Vita di Farinelli, evirato cantore, Torino, EDT 1995.
[2] À ce point, il faut attendre avant de définir la voix comme perdue et c’est pour cette raison que le mot apparaît en italique. Cependant, il semble plus raisonnable d’essayer de s’en rapprocher le plus possible plutôt que de parler de reconstruction.
[3] Les deux techniques viennent ensembles et ne peuvent pas être séparées. Les orchestres sont plus grands, les instruments à cordes changent constamment, passant donc du doux son des cordes anciennes, faites à partir d’intestins d’animaux, au son plus puissant des cordes de métal. Le chevalet devait donc supporter plus de pression, ce qui força les luthiers à revoir la façon de faire les instruments, en dépis de la douceur du son des instruments anciens. Entre-temps, le son des cuivres a également subi plusieurs changements, et leur utilisation dans les partitions est devenue de plus en plus importante suite à des améliorations au niveau des cylindres et des pistons. Même chose au niveau des bois, qui ont maintenant beaucoup plus de touches. Tous ces changements ont, non seulement modifié le son des instruments, comme on peut facilement se l’imaginer, mais a aussi amené la nécessité de balancer le son des instruments et des voix.
[4] Gioseffo Zarlino, Le Istitutioni harmoniche, Venice, 1558, Part III, ch. 45, p. 204 (facsimile reprint New York, Broude Brothers, 1965 (Monuments of Music and Music Literature in Facsimile. Second Series: Music Literature, 1).
[5] Les débuts de la technique passaggio (changement de registre) et du copertura dei suoni (couvrir les sons) peuvent être retracés au début du 18ème siècle, mais on notera surtout le moment où Gilbert Duprez, qui avait alors le rôle de Arnold dans l’opéra Rossini de William Tell, a produit un «Do» avec une voix de poitrine. Ce n’est pas l’évenement en soi, mais la sensation que les gens dans la salle ont pu ressentir quand la note a été produite, des gens encore habitués aux chanteurs castrés qui pouvaient chanter des notes extrêmement aigues et aux faussets. L’infâme «Do» de la cinquième octave, est une note qui peut facilement être produite par un chanteur fausset de n’importe laquelle chœur amateure. Dans ce cas-ci, il ne s’agit pas de la même admiration des gens par rapport à cette note aigue qui est ici chantée avec une voix pleine, une voix de poitrine, de façon puissante et inattendue.
[6] Biagio Rossetti, Libellus de rudimentis musices, Verona, Stephen Sabio brothers and Nicolini, 1529, [4]: « La voix parfaite est une voix de stentor, haute, claire et franche. Haute assez pour produire les notes aigues, claire assez pour combler l’oreille, forte assez pour ne jamais trembler et n’avoir aucune faiblesse, douce assez pour ne pas effrayer. C’est une voix qui peut amadouer l’audience et la réconforter. Si un seul de ces éléments manque à l’appel, la voix ne peut en aucun cas être parfaite, comme l’affirme Isidoro.»
Veuillez noter que dans Pietro Aaron, Toscanello in Musica […] nuovamente stampato con l’aggiunta da lui fatta et con diligentia corretto , par Venizia, Bernardino, et Matteo de Vitali, 1529, Book I, chapter V, page Bii, il y a un passage presqu’identique: “La voix parfaite est haute, douce et claire: si haute qu’elle en est assez sublime; si douce qu’elle en est une caresse pour l’esprit de celui qui l’écoute, si claire que l’oreille en est remplie. Dès lors que l’une de ces caractéristiques est manquante, l’on ne peut parler de voix parfaite.” En réalité, comme le mentionne Rossetti, nous devons l’origine de ce passage à Isidore de Séville (560-636): “Perfecta autem vox est alta, suavis et clara: alta, ut in sublime sufficiat; clara, ut aures adimpleat; suavis, ut animos audientium blandiat. Si ex his aliquid defuerit, vox perfecta non est.” (See Isidoro, Etymologiarum sive originum libri, Livre III, chapitre 20) On peut constater comment la version d’Aaron reflète parfaitement l’original d’Isidore alors que celle de Rossetti semble plus élaborée, notamment de par l’ajout de l’adjectif forte
[7] J’espère que mes lecteurs vont comprendre pourquoi j’ai catalogué ainsi d’une manière limitée et dans une certaine mesure inexacte ces voix anciennes. Il conviendrait d’élargir le débat sur ce sujet vu son importance, mais des explications plus profondes qui prendraient plusieurs pages n’ont pas leur place dans cette étude.
[8] Giovanni Camillo Maffei, Delle lettere del Signor Gio. Camillo Maffei da Solofra, libri due […], Napoli, Raymundo Amato, 1562, p. 34. Maffei’s suggère aux chanteurs de ne tenir leur bouche qu’entre-ouverte, et il en fait une règle catégorique. Cela peut paraître inhabituel, mais il faut cependant remarquer que la plupart des théoriciens sont d’accord sur une condamnation du fait de chanter la bouche grande ouverte. Ainsi nous pouvons constater qu’ils sont tous d’accord pour dire qu’il ne faut pas trop ouvrir la bouche quand on chante, directement pour Maffei, indirectement pour les autres..
[9] Le physiologiste et physicien allemand Hermann von Helmholtz (1821 – 1894), a écrit une thèse intéressante sur la physiologie de la musique : Hermann von Helmholtz, Die Lehre von den Tonempfindungen als physiologische Grundlage für die Theorie der Musik, Braunschweig, Vieweg, 1863.
[10] Afin d’être plus précis, voici l’équation complète : fHz = v × s / 2 π √U×√u, où v = vitesse du son; s = section transversale du résonateur ; 2π = 6,28; U = volume du résonateur, u = volume de l’ouverture du résonateur. On peut noter que les constantes v et 2π, et les racines carrées, ont été omises (et auraient évidemment été incluses dans un calcul plus exact) et que les facteurs ‘U’ et ‘u’ ont été rassemblés dans la valeur v.
[11] Il y a huit cavités remplies d’air, connues sous le nom de sinus paranasaux: deux sinus frontaux, deux maxillaires, deux ethmoïdaux et deux sphénoïdaux. Ils exercent deux fonctions phonétiques: refroidir et humidifier l’air, et assurer la production de sons aigus. Leurs autres fonctions supposées, soient celle d’isoler le crâne et de protéger le cerveau, n’ont pas être totalement démontrées.
[12] Cette deuxième condition est assurée par l’abaissement du voile du palais, entrainant l’avancée/montée de la langue, expliquant à son tour pourquoi les chanteurs de l’époque ont maintenu leur langue en contact avec l’alvéole dentaire inférieure. (cf paragraphe cité en note 23)
[13] Zarlino, Le Istitutioni harmoniche, cit., troisième partie, ch. 45, p. 204.
[14] Hermann Finck, Practica musica, Wittenberg, G. Rhau Erben 1556; facsimile copy Bologna, Forni, 1969.
[15] Ibid.
[16] Ibid.
[17] Ibid.
[18] Zarlino, Le Istitutioni harmoniche, cit., troisième partie, ch. 45, p. 204.
[19] Zarlino, Le Istitutioni harmoniche, cit., troisième partie, ch. 45, p. 204.
[20] Wolfgang Wizenmann, Otto tesi per la policoralità, dans La policoralità in Italia nei secoli XVI e XVII. Testi della giornata internazionale di studi, Messina 27 dicembre 1980, édité par Giuseppe Donato, Roma, Torre d’Orfeo, 1987 (Miscellanea musicologica; 3), p. 8; cfr. anche Arnaldo Morelli, “La vista dell’apparato superbo, l’udito della musica eccellente a più cori”. Spazio chiesastico e dimensione sonora, in Roma barocca. Bernini, Borromini, Pietro da Cortona, édité par Marcello Fagiolo et Paolo Portoghesi, Milano, Electa, 2006, pp. 294-301.
[21] C’est un ligament osseux très petit mais très important en forme de fer à cheval qui se trouve au-dessus du larynx, au niveau du raccordement avec la membrane thyro-hyoïdienne et qui est joint à la base de la langue.
[22] Il est possible d’obscurcir le son en jouant avec la paroi de l’oropharynx mais ce son est obligatoirement coloré par un composant guttural indésirable.
[23] Giovanni Camillo Maffei, Delle lettere del Signor Gio. Camillo Maffei da Solofra, p. 34.
[24] Certains procédés orthophoniques destinés à améliorer les sons gutturaux utilisent des exercices spécifiques au cours desquels le patient doit suivre le mouvement d’un crayon avec le bout de la langue. Les mouvements sont effectués sur un plan perpendiculaire en dehors des lèvres du patient pour déclencher les résonnances au-delà de la région rétropharyngée (qui sont la cause des sons gutturaux) et aussi de ceux qui ne sont pas suffisamment projetés.
[25] Zarlino, Le Istitutioni harmoniche, troisième partie, ch.45, p. 204. Respectant l’original, avec ponctuation et italiques ajoutées par le réviseur.
[26] Il est important de garder à l’esprit que lorsqu’il parle de madrigal, genre musical utilise par les compositeurs pour accentuer la dureté d’un texte, Vicenzo Galilei, tout comme Zarlino, fait référence au même titre : « […] i nostri prattici Contrapuntisti […] Aspro core e selvaggio, e cruda voglia […] haveranno fatto tra le parti nel cantarlo di molte settime, quarte, seconde e seste maggiori; e cagionato con questi mezzi negli orecchi degli ascoltatori un suono rozzo, aspro e poco grato ». Voir Dialogo […] della musica antica e della moderna, Firenze, Giorgio Marescotti, 1581, p. 88 de Vicenzo Galilie. Au contraire, dans le cas de Zarlino, il semble peu probable que les chanteurs remplaçaient les voyelles par des A pour accentuer le sens du texte. Bien que ce soit plausible, dans ce cas particulier, cette pratique, comme nous le verrons plus bas, était souvent appliquée à des textes sacrés, sans la moindre intention de colorer les mots, mais plutôt pour des besoins phonétiques et de timbre.
[27] Une question quelque peu provocatrice: n’est-il pas possible que les pratiques vocales de la Renaissance favorisaient les sons clairs simplement parce que les traditionnalistes étaient habitués à cette couleur, et devaient s’en tenir à l’utilisation du librone ? Cette habitude a-t’elle été poussée au point de vouloir atteindre des sons clairs dépourvus d’esthétique, à tel point que l’on voulait reproduire le style des castrati, qui pourraient être considéré comme l’extrême tendance à utiliser des sons aigus ?
[28] Conrad von Zabern, De modo bene cantandi choralem cantum in multitudine personarum, Mainz, Peter Schöffer, 1474, p. 61.
[29] Ibid. “[…] ita ut audiverim aliquos cantantes: Daminus vabiscum, aremus …, ut ego dicerem ad mihi proximos: absit a nobis arare. Et revera a Francofortia usque ad Confluentiam, et ab inde usque ad Treverim cognovi hoc praecipue in scolaribus saepissime”. Le commentaire moqueur « labourer la terre » vient de la substitution par « aremus », du verbe qui signifie « labourer » pour la forme correcte du verbe « orare », qui signifie « prier ».
[30] Cela est devenu absolument nécessaire suite à l’augmentation de la masse sonore liée à l’apparition des orchestres du Romantisme, comme mentionné ci-dessus.
[31] Auparavant, le ténor a gardait le chant Grégorien dans le cantus firmus, d’où le besoin de le confier à une voix dans les registres du milieu, de telle manière qu’il s’écarte pas de l’esthétique, des canons vocaux et des timbres caractéristiques des mélodies Grégoriennes.
[32] L’étymologie du texte est claire. C’était une voix haute dérivée de l’ancienne coutume de faire un contrepoint à la mélodie du cantus firmus confiée au ténor grâce à une deuxième mélodie originale : le contreténor altus (si elle est placée plut haut que le tenor) ou le contreténor bassus (si elle est placée en-dessous). Les termes actuels viennent probablement de ces expressions.
[33] Prenons comme hypothèse une dissonance répartie entre les ténors et les altos : les premiers engagés dans la haute émission du sol (son réel), et les seconds confortablement gonflés sur le fa avant de réduire le conflit en descendant au mi. Dans ce cas, la diversité des timbres affaiblit considérablement l’impact de la dissonance. La même situation appliquée à une paire tenor-altus d’un chœur ancien aurait provoqué un effet beaucoup plus significatif.
[34] D’un autre côté, nous pouvons être sûrs que de tels génies de la composition auraient su écrire un grand nombre d’œuvres magistrales si nos propres chœurs modernes avaient été à leur portée.
[35] La preuve en est la longueur des tombes, la hauteur des portes dans les palais du XVIème siècle, la taille des armures et les description et témoignages des contemporains
[36] On pourrait penser que l’augmentation de la taille aurait eu des répercussions sur la tension et sur la fréquence cardiaque. Effectivement, le pouls de 60 battements par minute, identifié dans la littérature scientifique comme vitesse moyenne typique chez les humains, semble maintenant avoir augmenté pour passer à 70 battements. Il serait intéressant d’étudier si cela a également eu de l’influence sur le timbre vocal: par exemple, la circulation sanguine à destination des cordes vocales s’est peut être intensifiée, ayant possiblement amélioré leur tonicité et augmenté leur épaisseur.
[37] La synthèse de testostérone par les testicules est bloquée, mais les glandes surrénales, qui évidement n’ont pas été enlevées, continuent d’en produire en petite quantité.
[38] De toutes les légendes qui circulent sur les castrats, certaines sont à prendre avec circonspection. La longueur impressionnante de leur respiration, dont on entend souvent parler, n’est que partiellement causée par le déséquilibre entre de petites cordes vocales de la taille de celles d’un enfant et la grande cage thoracique d’un homme (en étant toutefois plus élastique à cause de la faible ossification des cartilages reliant la colonne vertébrale au sternum). La majeure partie est due à l’importance de l’exercice et de l’entrainement vocal qu’ils réalisent. Leur capacité à l’acrobatie vocale y est également reliée. Enfin, leur vie amoureuse intense et licencieuse peut être remise en question, ainsi que le charme qui leur est attribué : le déséquilibre hormonal, l’absence de testostérone (une hormone jouant un rôle dans le développement général de l’organisme et dans le métabolisme des protéines) et la conséquence de l’élimination quasi-totale de l’inhibine de leurs organismes (une autre hormone qui balance la croissance de par son action sur la glande pituitaire) a doté les castrats de corps quelque peu disproportionnés, en forme de poire (suite à un dysfonctionnement de la glande pituitaire), presque imberbe et souffrant de nombreux problèmes lymphatico-hormonaux.
[39] C’est pour cette raison que leur voix asexuée devait être incomparable. Prenons les fameux enregistrements de la voix d’Alessandro Moreschi, chanteur castrat de la Chapelle Sixtine, réalisés entre 1902 et 1904. Quand on les écoute, aberrations esthétiques inacceptables mises à part, on trouve dans certains passages aigus (et seulement dans cette tessiture) une substance et une couleur particulièrement fascinantes et qui ne peut être jugée selon aucun des canons esthétiques existant.
[40] En cas de danger venant de l’extérieur, nos yeux se défendent en fermant les cils, la langue est protégée par les lèvres, les mains serrent les poings, le nez peut s’arrêter de respirer au moins pour quelque temps. Les oreilles ne peuvent pas se protéger, nous sommes condamnés à entendre sans cesse. C’est pour cette raison que notre ouïe est extrêmement restreinte par rapport à celle de la majorité des animaux ? Nous n’avons pas à nous défendre de prédateurs…
[41] Pour les besoins du texte, voici un passage amusant d’un texte de Grazioso Uberti, Contrasto musico, qui décrit les sons d’une ville et semble contredire tout ce qui a été dit ci-dessus : « La campagne est discordante, offense les tympans de Bottegari, donnant aux viscères la peur des grincements de la Scie, les rues et les places répandent un puissant vacarme, le passage des voitures et des trains assourdissent la tête. » Mais quand il parle de la vie à la campagne, il se lamente aussi du manque de bruit, ainsi il est clair que ces paroles ne sont pas à prendre au sérieux. « […] on entend les chiens aboyer, et d’autres cris d’animaux; les travailleurs qui crient, les paysans qui chantent; les cigales qui cassent les oreilles; les hiboux qui inquiètent; les criquets ennuient; les grenouilles qui provoquent”. Mais en plus de la présence tournée au ridicule des hiboux, des grenouilles, et des criquets, la partie la plus drôle est quand il précise que « même les Amis de la solidude dans les ermitages et les cavernes souffrent de l’impertinence de l’écho”. Outre le narrateur, un des deux protagonistes s’appelle Giocondo (Joyeux), l’autre Severo (Sévère). Voir Grazioso Uberti, Contrasto musico, opera dilettevole, Rome, Lodouico Grignani, 1630, première partie, pages 5-6, (réédition analogue éditée par Giancarlo Rostirolla, Lucca, Libreria Musicale Italiana Editrice, 1991 (Musurgiana; 5)).
[42] Il est étonnant de voir le nombre de gammes utilisées dans le passé. Pour avoir un exemple, voir Patrizio Barbieri, Acustica accordatura e temperament nell’Illuminismo Veneto. Con scritti inediti di Alessandro Barca, giordano Riccati e altri autori, Rome, Torre d’Orfeo, 1987 (Istituto di Paelografia musciale. Serie I: Studi e testi; 5).
[43] Les musiciens de l’Est, ainsi que ceux du Moyen-Orient, donc pas si loin de chez nous, sont capables de distinguer et d’interpréter des variations d’harmonies les plus subtiles au nombre d’une ou deux centaines. Ces modifications délicates sont utilisées également dans la ‘tonique’, que paraît avec des angles d’intonations différents selon sa position dans la composition.
[44] Notre système harmonique actuel ne reconnait plus la position de demi-tone entre les première et deuxième intervalles de la gamme (l’ancien deuterus authentique) qui donnait à la mélodie une couleur mélancolique et triste.
[45] J’ai récemment eu l’opportunité d’exprimer mes pensées à ce sujet, mais aujourd’hui je ne vais l’aborder que brièvement. Voir Walter Marzilli, “Musica, pittura e cinema: interazioni,” Lo spettacolo, XLVII, no. 3, Juillet – Septembre 1997, pp. 285-299.
[46] Et le peintre aurait toujours un avantage sur les musiciens, puisque des sept couleurs de l’arc-en-ciel, certaines sont déjà le résultat de la fusion de deux autres, ainsi déjà bien mélangées.
[47] Nous voudrions ajouter un autre point de vue dans ce sens. Après que la gamme tempérée ait remplacé la gamme d’origine, beaucoup de critiques ont été retrouvées, accusant des compositeurs de préjugés modernisme, de comportement audacieux quant à l’utilisation de dissonance et d’harmonies dures… N’est-il pas possible d’attribuer également cela à un conflit entre deux factions incompatibles ? D’un côté les compositeurs qui auraient adopté chacune des solutions harmonico-mélodiques nouvelles que leur permettait l’adoption des intervalles égalisées et équivalentes de la gamme tempérée (modulations, transitions, dissonances, etc.) ; de l’autre côté les instruments et les instrumentalistes qui auraient continué de régler les intervalles selon les gammes antérieures…
Walter Marzilli est professeur diplômé de chant Grégorien, de musique chorale et de direction de chœur à l’institut pontifical de musique sacrée de Rome. Il a reçu un diplôme de musicologie du même institut. Des études en Allemagne lui ont valu un diplôme de spécialisation en musique pour chœur et orchestre de l’Université de Cologne, et un diplôme supérieur en enseignement de la musique de l’Université de Düsseldorf. Il a été élu trois fois à la commission artistique de FENIARCO (la fédération nationale Italienne des chorales régionales). Il est directeur de divers ensembles: I Madrigalisti di Magliano, basé à Magliano, en Toscane ; L’Octet vocal de Rome ; Le quartet vocal Amaryllis ; et le Chœur de musique polyphonique sacrée Pontificale de Rome. Il enseigne le chant au collège international « Sedes Sapientiae » de Rome, où il est également directeur du département musique, il a également enseigné au séminaire pontifical de France et à l’académie d’opéra Italienne. Il a été directeur du centre de protection de l’enseignement de la musique à Rome, où il a aussi enseigné pendant de nombreuses années. Il enseigne le chant choral au conservatoire de musique Francesco Cilea à Reggio de Calabre et la direction de chœur dans le cours de spécialisation au conservatoire de musique de Novara. Il enseigne également à l’institut supérieur de direction de chœurs de la fondation Guido d’Arezzo et professeur titulaire de direction de chœur à l’institut pontifical de musique sacrée à Rome. Email : waltermarzilli@alice.it
Traduit de l’anglais par: Céline Bergeron, France; Elodie Caille, France; Mélanie Clériot, France; Mélina Robitaille, Canada
Relu par Marianne Berthet (France)
Edited by Gillian Forlivesi Heywood, Italy