Sylvain Kwami Gameti, Togo
Chef de chœur
Introduction
La tradition chorale est fortement implantée en Afrique. L’Afrique a une âme musicale, une conscience musicale et une tradition musicalisée. La musique africaine, au-delà du bonheur qu’elle apporte aux peuples, remplit bien des fonctions dans les sociétés traditionnelles, où elle est présente dans tous les aspects de la vie. La pratique musicale collective sous sa forme folklorique, est bien une très ancienne spécialité des peuples indigènes de l’Afrique profonde, avant même que cette dernière ne découvre le chant choral sous sa forme actuelle à travers la colonisation. L’Africain n’aimant jamais vivre seul, travailler seul ou se divertir seul, la pratique de la musique a surtout été l’affaire des communautés et rarement celle des individus. Que ce soit sur le plan politique, socioculturel, économique ou religieux, le chant a toujours mobilisé des groupes et des foules. Cette pratique de groupe ou de masse qui déboucha plus tard sur le chant choral tel que nous le pratiquons aujourd’hui, comportait beaucoup d’avantages pour les peuples qui la perpétuaient. L’un de ces avantages était la santé physique, morale ou émotionnelle, psychologique et spirituelle. Si l’on a connu l’Afrique comme étant le continent de la joie et de la bonne humeur permanente, c’est justement grâce à sa pratique collective ou chorale de la musique. Dans cet article, nous présenterons le chant (choral) africain dans le cadre de la médecine traditionnelle et montrerons qu’il constitue un remède efficace pour la plupart des maux de la société. Nous illustrerons cela par des exemples précis tirés du vécu des peuples traditionnels de l’Afrique de l’ouest en l’occurrence : les Ewé, les Fon et les Ashantis du golfe de Guinée, Nigéria, Bénin, Togo, Ghana, Cote d’Ivoire, les Mossi, les Gourma et les Peulhs du Sahel (Burkina Faso, Niger, Sénégal, nord du Bénin, Togo, Ghana et Côte d’Ivoire).
Nous donnerons également des détails sur le rôle thérapeutique particulier qu’a le chant choral africain qui fait vibrer tant de cœurs de par le monde.
Le chant choral africain, une thérapie multifonctionnelle
Il est reconnu par tous que la musique guérit les maladies psychosomatiques. En Afrique, le chant choral a le privilège d’être l’un des genres musicaux les plus sollicités et les plus efficaces dans le cadre de la musicothérapie.
Sur le plan physique, la musique africaine est essentiellement basée sur le rythme. De ce fait, elle offre beaucoup de possibilités de danses sur une panoplie de formules rythmiques assez heurtées. Le fait donc que les chansons africaines soient presque toujours accompagnées de danses oblige les chanteurs à faire des mouvements de tous genres assez fréquemment (deux à trois, voire quatre fois par semaine). Ces mouvements font travailler tout le corps des danseurs, ce qui les maintient toujours en bonne santé et les rend rayonnants; c’est le cas de la danse “Adzogbo” chez les Ouatchi et Mina du Togo et du Bénin; et “Agbadza” chez Ewé (Nigéria, Bénin, Togo, Ghana, Côte d’Ivoire).
Présentation du rythme Adzogbo:
Rythme aux pas de danses comptés, avec des pirouettes acrobatiques. La figuration rythmique est particulière et s’accompagne de l’onomatopée suivante : djan, djan, djan.
Présentation du rythme Agbadza:
Rythme élégant, qui provoque une danse qui fait travailler les membres supérieurs et inférieurs, et surtout les muscles du dos, d’où le nom de dzimé wé (danse du dos). Il est figuré comme suit:
Kontcheng est également un rythme qui occasionne le mouvement du corps. Il s’agit d’un rythme marchant, exécuté en ligne ou en ronde, en dodelinant la tête et le tronc, comme la tige d’un balancier/ Figuration : croche, croche, noire – croche, croche, noire.
Sur le plan moral et émotionnel, le chant choral africain qui fédère beaucoup de personnes, relève le moral des chanteurs à travers des paroles de chants apaisantes, et donne l’équilibre à leur personne. Il leur offre également une aventure humaine très appréciée. Il leur évite la colère, la dépression et la névrose, leur enlève les soucis et leur donne la paix du cœur et la quiétude ; exactement ce qu’il faut pour une santé morale radieuse. A cela s’ajoute la fonction cathartique de la chanson qui, par la magie de ses harmonies, apaise les cœurs des personnes éplorées.
Sur le plan psychologique, Le fait de chanter en groupe chasse la peur et édifie au niveau des exécutants, la vertu et la vaillance qui leur donne du courage, de la joie et la confiance en soi.
Sur le plan religieux et mystique, les africains croient que le chant a un pouvoir magique, mystérieux et infaillible qui agit sur les choses, ce qui lui permet d’avoir le résultat souhaité. C’est ainsi qu’il est utilisé pour agir sur les animaux, personnes et les choses de la nature. La religion traditionnelle a souvent recours à de nombreuses incantations chantées contre la morsure des serpents, contre les maladies, pour communiquer avec les esprits, pour dompter les animaux, pour assouvir la colère et la vengeance, pour obtenir la pluie ou le beau temps, pour évoquer les fantômes, ramener les morts sur la Terre, chasser ou apaiser les démons. La pratique du chant renforce donc la spiritualité des chanteurs et leur offre une protection contre les mauvais esprits. Le chant participe à la guérison et à l’exorcisme. L’effet de masse que produit le chant choral fait dégager une énergie ; un pouvoir surnaturel qui guérit la maladie, calme la colère et chasse les démons. A ce titre, le chant est un véritable instrument de guérison en médecine traditionnelle en Afrique.
Le chant (choral), remède à des maladies psychosomatiques en Afrique de l’Ouest
La musicothérapie n’est pas un art nouveau dans les traditions africaines. Cette pratique, qui remonte à l’antiquité, est toujours d’actualité dans la société traditionnelle ouest-africaine, où l’on associe la musique à la guérison des maladies dans les couvents fétichistes et dans les rassemblements initiatiques.
Dans la conception traditionnaliste, le monde physique est gouverné par le monde des esprits. Tout ce qui arrive de bien provient de la bénédiction des dieux, et tout ce qui arrive de mal tient de leur colère, punition ou malédiction. La guérison s’opère par l’invocation des esprits. Les sorciers guérisseurs ont des contacts avec les esprits qu’ils invoquent pour solliciter leur appui dans la guérison d’une maladie, et aussi dans la conjuration des mauvais sorts.
C’est ainsi que, pour les cas de maladies rares ou inconnues, les prêtres ou devins procèdent à des consultations chantées faites d’incantations, pour diagnostiquer la nature, l’origine et la cause du mal afin de pouvoir le conjurer. Le contact entre les humains et les esprits se réalise par le biais des chansons spécifiques sur des formules mélodiques et rythmiques précises. Ces chansons sont le plus souvent entonnées par le prêtre ou sorcier guérisseur, relayées en style responsorial par un chœur d’adeptes. Parfois, des accompagnements spéciaux de percussions contribuent à accélérer le processus de guérison en provocant des manifestations rapides des esprits, qui interviennent promptement en prenant les gens par la transe et en révélant à travers ces derniers la cause de la maladie, ainsi que le remède à appliquer selon les cas. Le remède peut aller d’une simple herbe à appliquer en chantant jusqu’à une cure de chansons d’exorcisme à exécuter pendant quelques jours.
Dans certains cas, chez les adeptes du vaudou, le malade doit pour guérir chanter et danser sur des rythmes prescrits par le fétiche ou la divinité pendant un temps déterminé (3 jours, une semaine, un mois ou même trois mois) selon la gravité de la maladie, en suivant des rituels.
Dans ces circonstances, c’est la qualité de la louange ou de l’imploration et le dévouement des patients, qui déterminent le niveau de guérison que ces derniers atteindront. Si le patient, du fait du poids de la maladie, ne peut ni chanter ni danser, on demande aux membres de sa famille le faire à sa place. Dès que la divinité ou le fétiche agrée la louange, la guérison s’ensuit.
L’utilisation de la musique pour le désenvoûtement et la guérison est très répandue en Afrique de l’ouest et s’opère sous diverses formes selon les ethnies et les coutumes. Etant donné que les mêmes peuples se retrouvent étalés sur trois ou quatre pays, il est très fréquent de retrouver les mêmes chansons et les mêmes façons de faire dans plusieurs pays.
Certaines chansons d’exorcisme et de guérison qui se révèlent efficaces sont souvent composées dans des langues de fétiche que seuls les initiés comprennent. Les prêtres utilisent musicalement ces langues à travers des psalmodies traditionnelles et de prophéties chantées pour invoquer les esprits.
Dans le golfe de guinée, le Yévégbé (langue du dieu Yévé, qui est l’équivalent de Yahvé chez les chrétiens), est comprise par les initiés du sud du Nigéria, Bénin, Togo et Ghana. Ces derniers s’en servent dans leurs moments de discrétion. Certains cas de guérisons chantées sont réalisés par des griots qui font également office de prêtres traditionnels
Une petite formule d’invocation de la divinité Yéé
Quelques rythmes fétichistes et mystiques
Tadenta: Rythme fétichiste par excellence, très usité dans les couvents. Le voici figuré comme suit : croche, croche pointée, croche pointée – croche, croche pointée, croche pointée.
Habiyè: Rythme Kabyè (ethnie du Nord Togo, Bénin et Ghana et Tchad) usité pour des danses mystiques. Il donne son nom à toute la manifestation au cours de laquelle on assiste à de véritables miracles dus aux effets des actions des forces occultes. Il en découle des délivrances et des guérisons miraculeuses. Figuration rythmique : croche, croche, noire ; croche, croche, noire.
Cas pratiques de la guérison par le chant dans la religion traditionnelle
Les naturalistes déclarent que seule la parole ou la parole chantée (chanson), peuvent guérir un homme. Pour le faire, il faut rentrer dans la personne malade et prendre sur soi son mal où son fardeau, puis invoquer l’esprit de guérison de la nature pour qu’il vienne le guérir.
Le musicien-guérisseur se concentre et chante. En réalité l’exorcisme se fait par substitution. Le guérisseur à travers des incantations chantées, fait sortir l’âme du malade et la porte dans sa propre chair. Et donc, lorsque le musiciens-guérisseur chante, c’est en réalité l’âme du malade qui chante en lui. Si donc l’âme du malade arrive à chanter dans le corps du musicien guérisseur, alors il peut guérir.
Comment cela fonctionne ?
On met le patient entre sept personnes, qui représentent les 7 sept esprits de Dieu ou sept divinités. Le musicien-guérisseur qui connait bien les noms des esprits, les invoque par des incantations chantées et les envoie dans le corps du patient. Ces esprits interviennent dans le corps du malade et rétablissent sa santé avant que son âme ne lui soit retournée. Tout ceci se déroule sous des séquences d’animation musicales essentiellement vocales.
Le principe de la guérison par la musicothérapie traditionnelle
Il faut nécessairement faire partir l’âme de la personne du monde ambiant pour un voyage astral et la remplacer par celle de quelqu’un d’autre (souvent celle du guérisseur lui-même ou celle d’un innocent pur ou saint). L’absorption ou l’enlèvement de l’âme du malade se fait en chantant et en invoquant des esprits qui viennent le chercher et l’entretenir, pendant que son corps est en train de guérir sous l’action d’autres esprits. Chacun des esprits invoqués a un rôle spécifique à jouer dans le processus de guérison. Selon les cas et la gravité du mal, on invoque les esprits de 3, 7, 14 ou 17 divinités.
Cas de morsure de serpent
Dans le cas de la morsure de serpent, il faut nécessairement invoquer la divinité “Vaudou Dan” en en exécutant sa chanson. Cette dernière vient et reprend le venin, puis le malade est guéri miraculeusement par substitution. Le siège international de la divinité Dan se trouve à Ouidah au Bénin.
Il y a aussi des guérisons à long terme par le chant. Cela commence par des causeries. Après, on prescrit au patient de chanter en souriant. A force de le faire, il finit par guérir.
Conclusion
La musique traditionnelle africaine est avant tout un reflet sonore des réalités culturelles des sociétés traditionnelles africaines. A ce titre, elle fait réellement partie des remèdes contre plusieurs maux dans ces sociétés. L’on a toujours recours à des divinités ou esprits par des chansons, pour guérir. La guérison se fait toujours, et toujours par substitution sous l’effet des musiques spéciales faites d’incantations chantées qui permettent de communiquer avec les divinités ou esprits bienfaiteurs. Dans ce domaine, la musique chorale qui offre une pratique collective assez vivante, joue efficacement le rôle de relai ou de chœur de réponse aux solos du guérisseur. Les couvents de Nogokpo et Essem au Ghana et celui de Parakou au Bénin sont doués dans cette musicothérapie traditionnelle régionale.
Annexe
Quelques chansons de guérison
Limulaya
- chanson d’invocation de sept (7) esprits ou divinités
- Langue: Ewé
- Traduction: Limulaya, je t‘invoque avec une voix forte pour que tu viennes me secourir.
Mega d’asi le nu nye o
- Traduction : Ne m’abandonne pas, je vivrai toujours auprès de toi.
- Langue: Ewé
Karabusu
- invocation des esprits Yeve, Hebieso, Lissa, Sogbo, Patapa pour qu’ils viennent agir.
- Langue: Ewe mélangée d’Hindou.
Zamalina
- chanson d’invocation de la divine Yewe.
- Langue: Yewe (langue de la divinité Yeve
- Traduction: si Yewe ou Jéhovah n’était pas là, où serai-je?
Sylvain Kwami Gameti, Ancien Directeur Artistique de la chorale de l’Université de Lomé (Togo) de 1996 à 2003, est chef du Chœur National du Togo depuis sa création en 2009; il a assuré la direction artistique tournante du Chœur Africain des Jeunes pendant quatre ans et, depuis mai 2018, il est le Coordinateur du Projet “Chœur Africain des Jeunes” au sein de la Confédération Africaine de Musique Chorale. Avec ses chœurs il a effectué des tournées de concerts en France, en Espagne, en Corée du Sud et en Allemagne; il a participé à des festivals de chant choral dans plusieurs pays africains, européens et asiatiques. Courriel: sylvain.gameti@gmail.com