Échauffement choral — Tradition, non ; progrès, oui !

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Par Tim Seelig, chef de chœur et professeur

Traduit de l’anglais par Chantal Elysène-Six (France)

 

 

Ras-le bol des vieux échauffements toujours les mêmes ? C’est notre cas à tous. Alors faisons table rase et repartons de la case départ.

Il y a toujours eu beaucoup de débats quant à la nécessité ou non de faire, au début de chaque répétition comme on nous l’a enseigné, des échauffements vocaux. Ce débat est aussi vieux que l’existence même du chœur.

Les échauffements vocaux atteignent-ils leur but véritable, ou ne sont-ils vraiment là que pour tuer le temps et parce que notre chef de chœur les a lui-même faits ?

Ce dont nous avons réellement besoin, ce sont des échauffements fructueux et efficaces ! Ce n’est pas votre travail, pas plus que vous n’avez en fait le temps d’échauffer vos chanteurs.

D’abord, un avertissement. Cet article n’est pas pour vous, les saints, qui faites des répétitions chorales avant l’école à 7h30 du matin ou chantez aux premiers services religieux. Il est destiné à tous ceux qui dirigent une chorale répétant à n’importe quelle heure après l’heure respectable de midi !

La vérité est que la plupart des gens utilisent leur voix dans la vie de tous les jours, que ce soit au travail, pour chanter ou à la maison. Peu d’entre eux arrivent aux répétitions avec un appareil vocal complètement frais et disponible. Ce qu’ils ont fait, cependant, c’est parler; pas chanter !

L’adage connu de l’École Italienne historique si canta como si parla (On chante comme on parle) ne pourrait pas être plus éloigné de la vérité.

Voici le constat (un de ceux que chaque orthophoniste relève, et qu’il vous facture) :

En parlant normalement,

  1. nous sommes rarement attentifs à notre posture
  2. nous respirons trop peu régulièrement ou n’utilisons pas à bon escient la respiration
  3. nous parlons trop bas dans notre registre vocal
  4. nous n’énonçons pas ou n’utilisons pas les articulateurs

En fait, nous sommes juste paresseux dans notre discours quotidien. Cela ne marche pas pour chanter – ou même juste pour parler. Ce qui est préoccupant, c’est que les habitudes que nos chanteurs prennent en parlant sept jours par semaine devront être bousculées par un très court contre-échauffement avant de les faire chanter.

Si vous considérez ces quatre défauts majeurs de notre élocution, ils constituent les critères parfaits pour inverser les mauvaises habitudes que vos chanteurs prennent quand ils ne sont pas en votre présence. Cela montre le parcours très clair et succinct à suivre.

Cela ne requiert pas une batterie longue et compliquée d’échauffements. D’autre part, il y a des pense-bêtes que vous, qui êtes peut-être l’unique instructeur que vos chanteurs aient jamais côtoyé, pouvez partagez avec eux. Cela peut être au travers d’échauffements, de modèles ou d’extraits musicaux provenant du répertoire que vous répéterez.

La chose absolument la plus importante que nous faisons au début de l’échauffement, c’est simplement d’attirer leur attention. Nos chanteurs qui arrivent aux répétitions sortent tout juste de leur vie trépidante et remplie, et ils ne sont pas préparés pour la tâche qui les attend. Il est absolument primordial qu’ils laissent à la porte leurs distractions et leurs soucis.

Combattre méthodiquement les quatre mauvaises habitudes précitées nous conduira à un échauffement très simple. On traitera toujours dans le même ordre ces quatre étapes :

  1. Faites-les bouger, s’étirer, se masser, interagir, sauter, courir et se tordre, mais surtout enseignez-leur comment se tenir ! Demandez-leur de reprendre leur posture quotidienne. Puis demandez-leur, après avoir compté jusqu’à trois, de “tenir votre instrument à chanter“. Vous serez surpris – comme ils le seront – de leur façon de réagir.
  2. Invitez-les à respirer. Rappelez-leur que dans notre vie quotidienne nous n’utilisons qu’un petit pourcentage de la capacité de nos poumons. Pour chanter, il nous en faut plus. Montrez-leur comment en trouver davantage, puis demandez-leur de chanter le passage d’une chanson tout en soufflant sur leur index. Cela les habituera à utiliser leur respiration contrairement à priver d’air nos cordes vocales, comme nous le faisons si souvent quand nous parlons.
  3. Tandis qu’ils chantent doucement, étirez vers le haut leur gamme. Faites-les chanter une jolie phrase musicale du morceau qu’ils répéteront, puis déplacez cette même phrase en montant par demi-tons, leur permettant d’étirer leurs cordes vocales. Faites-les monter de deux ou trois demi-tons, en relâchant chaque fois leur muscle. Lorsqu’ils en reviendront au ton original, cela leur paraîtra bas et confortable !
  4. Faites-les parler en mode de chuchotement exagéré une portion du texte d’un des morceaux que vous chantez – sans intervention aucune des cordes vocales. Ils ressentiront comment les consonnes et l’utilisation des articulateurs nécessitent d’être connecté aux muscles abdominaux et au diaphragme. Puis faites-les chanter la phrase. Vous serez surpris du résultat. Juste pour le plaisir, demandez à vos chanteurs de chanter une phrase tout en tenant un crayon aux lèvres. Ils verront combien ils ont réellement été paresseux. Nous ne sommes pas des ventriloques !

Quand j’étais à l’école, j’ai appris la dactylo. Peut-être l’avez-vous fait, vous aussi. La première chose que j’ai apprise a été la Rangée Médiane. Comme vous le savez, la Rangée Médiane c’est exactement ce qu’elle veut dire. C’est là où vos doigts se reposent, là où ils sont le plus confortables. Il est certain que vos doigts s’étendent au-delà de la Rangée Médiane pour réaliser toutes sortes d’autres merveilleuses choses, mais ils y retournent souvent. C’est là où ils se posent, confortablement ancrés. D’ailleurs, vos doigts posés autre part vous sembleraient drôles.

Vos chanteurs devraient savoir où se trouve leur Rangée Médiane vocale“. Que cela signifie-t-il ? Demandez-leur de chanter n’importe quelle note dans un accord que vous leur donnerez. Il devra être aussi parfait qu’ils savent le faire. Puis vous le modulez, le colorez, le décrivez. Ce son idéal réside dans votre imaginaire auditif. Vous devez en savoir assez en pédagogie chorale/vocale pour leur communiquer clairement comment réaliser le son que vous désirez. C’est ça, la Rangée Médiane.

Il y a plusieurs choses que je ferais pour jouer avec cette Rangée Médiane.

 

DYNAMIQUES

Le premier dans l’ordre est la Messa di voce. Demandez à vos chanteurs de chanter la voyelle que vous choisirez, disons “ah“. Demandez-leur de commencer pianissimo, passez à fortissimo, et puis revenez en arrière. Pendant qu’ils le font, comptez de 1 à 8 et revenez à 1 avec vos doigts. Demandez-leur alors, en se servant de leur mémoire kinesthésique, de chanter un 3, puis un 5, voire un 1, et enfin un 8. Je n’utilise plus jamais de termes dynamiques : je leur donne des nombres. Il y a juste beaucoup trop de variables lorsque je dis, par exemple, “Je veux que ceci soit piano“: la signification en est différente selon les gens. Mais un 3, c’est toujours un 3 pour toutes les personnes du chœur. Et si vous rencontrez des problèmes pour équilibrer votre chœur à cause du nombre de personnes, vous pouvez demander aux basses de chanter constamment à peu près vers 6 en guise de Rangée Médiane, les ténors à 4, les altos à 5 et les sopranos à 1 (je plaisante !). Cela vous aidera énormément quand une section est constamment plus forte que l’autre. Demandez-leur de chanter à un nombre plus bas.

Exercice : Augmentez du bas vers le haut. Commencez en bas avec une dynamique de 7, montez à 4 avec chaque section de voix. Voilà ! Inversez juste pour le fun. Les voix du bas chanteront un 4, en montant jusqu’aux voix qui chantent une dynamique de 7. Cet accord trop lourd ne se mélangera jamais.

 

TIMBRE

Woofer/Tweeter. C’est un ajustement de la résonnance, pas un placement. Vous ne pouvez pas, en fait, “placer une couleur sonore“.

Le tweeter est devant : la bouche avec ses surfaces dures comme le palais et les dents. Le woofer, c’est le pharynx et ses surfaces douces. Choisissez une note. Demandez à vos chanteurs de placer leur index verticalement devant leur bouche ; faites-les chanter un “ah” très direct, léger, clair, puis demandez-leur de déplacer leur doigt vers la mâchoire puis vers l’oreille. Tout en faisant cela, ils commenceront à ouvrir leur pharynx (woofer) et réduiront la résonnance dans la bouche (tweeter). Le premier son est “trop clair”, le son final est “trop sombre”. Le son médian est “parfait”. Je ne me sers plus du tout de mots de couleur, je demande plus de woofer ou plus de tweeter: cela marche comme un charme.

Exercice : De nouveau, montez de bas en haut. Commencez avec plus de tweeter dans les voix plus basses, en changeant vers plus de woofer tout en montant dans l’accord. Juste pour le fun, faites-le à l’envers : demandez aux voix les plus basses d’utiliser beaucoup de woofers et d’augmenter les tweeters quand vous allez plus haut dans l’accord. Vous remarquerez immédiatement (et eux aussi) qu’il n’est absolument pas possible de mélanger cet ajustement de résonnance.

En résumé, vous avez un peu réfléchi à cette vieille règle éducative de “vous devez commencer chaque répétition par 15 minutes d’échauffement, sans rapport avec le répertoire que vous chantez, ni avec la vie extérieure”.

Chanter devrait être pour nos chanteurs aussi naturel que parler. Cela devrait certainement être aussi naturel, mais ce n’est jamais aussi facile ! Assurez-vous que chaque élément d’éducation dont vous vous servez soit facilement compréhensible et, ce qui est plus important, mémorisable. Les habitudes de parler de vos chanteurs peuvent elles aussi s’améliorer.

 

Bonne chance dans vos échauffements !

Outre la direction du San Francisco Gay Men’s Chorus, le Dr Tim Seelig conserve un emploi du temps très chargé avec des apparitions autour du monde. Il est Chef Emérite de la “Turtle Creek Chorale” à Dallas au Texas, qu’il a dirigée pendant 20 ans. Le Dr Seelig est titulaire de quatre diplômes dont ceux de Docteur en Arts Musicaux et du prestigieux Mozarteum de Salzbourg (Autriche). Il a publié sept livres et DVD sur la technique chorale. Il dirige tous les ans depuis 1991 au Carnegie Hall et au Lincoln Center. En qualité de chanteur, il chanta aux premières mondiales de John Corigliano, Conrad Susa et Peter Schickele (P.D.Q. Bach) en plus de ses débuts lyriques européens en tant que premier baryton à l’Opéra National Suisse. Il détient le record au Guinness Book of World Records pour avoir dirigé le plus long concert choral de l’histoire (plus de 20 heures) et a porté la torche olympique. Ses enregistrements sont entrés au palmarès classique du Billboard Top Ten et plus récemment, au palmarès des Independent Music Award pour “I am Harvey Milk“. Il a aussi figuré dans deux documentaires PBS, l’un des deux étant le national “Emmy” pour le meilleur documentaire. Connu pour son enthousiasme et son sens de l’humour, le Grammy Magazine écrivit : “Le Dr Seelig emmène l’éclectisme vers de nouveaux sommets“. Le Fanfare Magazine écrivit : “Il élève les chanteurs de leur rang d’amateurs et ils deviennent largement reconnus pour leurs excellentes performances de répertoires attrayants et frais“. Le New York Times  appelle Seelig un “musicien expressif ” et le Fort Worth Star Telegram raille, “Seelig se taille une épaisse tranche de jambon“. Il est marié à Dan England et il est le fier grand-père de la superbe Clara Skye. Email : tgseelig@mac.com

Traduit de l’anglais par Chantal Elysène-Six (France)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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