Jacques Vanherle (Octobre1948-Août 2020)

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Peter Broadbent
chef de chœur

 

Au cours des 30 dernières années, lors de tout festival choral international, il était presque inévitable de voir un groupe de personnes heureuses et souriantes rassemblées autour d’un homme, parfois en fauteuil roulant, parfois debout s’appuyant sur ses fidèles béquilles, mais toujours rayonnant de chaleur, d’humour et de passion pour la vie.

Jacques Vanherle (Jac) était un grand ambassadeur de la France, de la culture et surtout de la musique chorale. Son expérience en tant que professeur de lettres classiques lui a donné la capacité enviable d’articuler sa connaissance de l’histoire, sa compréhension de la politique locale, nationale et internationale, et de partager son enthousiasme à travers Europa Cantat, la FIMC et d’autres organisations. De nos jours le mot charisme est utilisé de façon très vague, mais Jac en faisait preuve à coup sûr. Sa curiosité insatiable l’a mené partout dans le monde, dès ses années d’étudiant au cours desquelles avec un groupe d’amis il sillonnait l’Europe en camionnette, avec peu d’argent mais sans crainte. L’instinct de découvrir un pays à travers ses habitants et sa capacité à se faire des amis étaient des qualités essentielles quand il s’agissait de répandre son amour pour la musique, qu’il considérait comme une grande force unificatrice pour le bien. Cette foi faisait de lui un ami formidable pour beaucoup, et un adversaire redoutable pour ceux qui ne partageaient pas ses vues. Il savait argumenter avec une grande habileté pour persuader les hommes politiques et les hommes d’affaires de soutenir ses festivals et, talent rare, il savait trouver les mots adéquats.

Il y a 10 ans, dans un éditorial pour un numéro spécial d’Europa Cantat Magazine consacré au thème «Musique et handicap», Jac écrivait de manière émouvante et vivante sur l’effet que le chant dans une chorale avait sur lui. À une époque où il y avait peu de compréhension ou d’assistance pour un enfant handicapé, il est né avec une hémiplégie et une paralysie cérébrale. Ses parents ont insisté pour qu’il fréquente une école classique, où il a appris un enseignement important: si à l’école tu ne cours pas vite, essaye de courir plus vite dans ta tête que tes petits camarades. À 13 ans, il est entré dans un pensionnat religieux où il a été profondément malheureux: il lui a fallu un trimestre pour apprendre à se défendre contre ses camarades adolescents. Mais il y avait une chorale de garçons, et une transformation s’est opérée lorsqu’il a découvert sa voix, l’extraordinaire pouvoir émotionnel et sensoriel de chanter avec les autres ainsi qu’une confiance en lui grandissante: Plus tard, quand j’ai rejoint la chorale universitaire et que j’ai compris que les yeux doux d’une jolie soprano étaient moins dirigés vers mes jambes déformées que vers les charmes d’un jeune – et bien sûr beau – chanteur, j’ai gagné encore un peu plus confiance en moi et en acceptation sereine de mon handicap.

Cette prise de conscience de ce que la musique, et en particulier le chant choral, pouvait faire pour un être humain, devait dominer le reste de sa vie parce qu’il voulait inspirer les autres, et prouver que chacun pouvait gagner de l’expérience. J’ai rencontré Jac et Marie à Tours en 1992, et j’ai été ravi d’être invité avec la Joyful Company à un Festival qu’il organisait à Falaise l’année suivante. Les Polyfolies de Falaise ont regroupé une quantité incroyable d’activités en trois jours, réunissant des centaines de chanteurs amateurs, plus de deux mille cinq cents écoliers et comptant parmi ses invités le chœur de chambre d’Eric Ericson. Ce fut une belle expérience pour la JCS, qui fut suivie de plusieurs autres voyages en Normandie; et surtout, pour ma femme et moi, ce fut le début d’une précieuse amitié avec les Vanherle.

Jacques Vanherle with (from left to right) Andrea Rose, Ki Adams, Janice Adams, Victoria Liedbergius, Jacques’ wife Anne-Marie Cretté, and Emily Kuo Vong

 

Chaque festival, chaque concert, chaque atelier, chaque événement organisé par Jac et Marie, toujours soutenus par leur ami proche Sylvain, étaient impeccablement organisés. Avec la chorale de Marie, ils sont devenus L’Art et La Fugue, présentant des concerts, parfois mis en scène et costumés, présentant toujours la musique d’une manière accessible et attrayante pour les auditeurs. Ils ont invité des chorales de nombreux pays à se joindre à leurs festivals d’été, et ont acquis une réputation de plus en plus grande dans le département. Je suis sûr que tous les chefs de chœur qui ont fait aller leur groupe à l’un des festivals de Jac ont ressenti comme moi le plaisir de travailler avec des organisateurs qui étaient également des interprètes. En arrivant dans un nouveau lieu, on découvrait que tout avait été préparé d’avance: les pupitres, l’éclairage, la mise en scène, tout était en place. De grandes quantités d’eau fraîche (même en Normandie, l’été il peut faire chaud!) et de la nourriture pour le laps de temps entre la répétition et le concert étaient tout naturellement prévues. Le public était toujours enthousiaste et toujours plus mélomane car Jac était toujours disponible pour présenter la musique et faire du spectacle un événement.

La réputation grandissante de Jac, dans la région et au-delà, lui a permis de développer les objectifs éducatifs qui étaient si évidents à Falaise, et au début du nouveau millénaire il a partagé avec d’autres amis et moi les projets qu’il avait d’une vitrine internationale pour les chorales et les ensembles vocaux inspirée par le Festival de Théâtre d’Avignon, qui outre une vaste gamme de spectacles pour un large public est également visité par tous les directeurs et producteurs de théâtre importants. En trois ou quatre ans, il développa ses projets, créant Polyfollia en tant qu’entreprise à but non lucratif (Ndlr: en France: association loi de 1901; en Belgique, au Luxembourg et au Congo: association sans but lucratif), trouvant le financement d’un petit personnel administratif et d’un bureau, et contactant des chefs d’orchestre et des personnalités chorales du monde entier pour constituer un comité de “Veilleurs” qui recherchaient des ensembles vocaux émergents de leur région. J’ai été heureux et privilégié de faire partie de ce cercle, et j’ai développé des amitiés durables à cette occasion. À chaque réunion, Jac organisait aussi des ateliers pour les chorales locales, afin qu’elles puissent bénéficier de l’expérience des Veilleurs. Le travail du comité a toujours été facilité par l’excellence de leur hospitalité et la chaleur de leur accueil. De nombreux problèmes ont dû être surmontés par Jac et son équipe, mais rien ne l’a détourné de son objectif.

Ainsi, tous les deux ans entre 2004 et 2014, douze ensembles de régions et de genres différents ont été invités à Saint-Lô pour donner des concerts dans toute la région et partager des concerts de gala, diriger des ateliers et / ou des démonstrations sur quatre ou cinq jours. Les chanteurs amateurs parmi le public donnaient aussi leurs propres concerts et participaient à des ateliers, sérieux ou plus légers, pour être exposés à un grand nombre de nouveaux répertoires et d’approches. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que le niveau et les ambitions des chœurs amateurs dans toute la France ont été constamment élevés au fil de cette décennie. Pour les ensembles professionnels qui y ont participé, ce fut une belle occasion de rencontrer des producteurs, des directeurs de festival, des promoteurs en tout genre, et pour tous les intéressés de nouer des amitiés nouvelles et durables.

On Jacques’ right, his wife Anne-Marie Cretté, on his left Samuel Saint-Martin and Isabelle Bazin

 

Pour planifier l’hébergement, les repas, les salles, les budgets, les horaires, augmenter le parrainage, négocier des subventions, traiter avec les hommes politiques et les artistes, il a fallu une immense vision, de la patience, des compétences et une énorme quantité d’énergie, tout ce que Jac avait en abondance (enfin, la patience, peut-être pas toujours!). Il travaillait incroyablement dur, attendait des autres qu’ils en fassent de même, et il était parfois très direct dans ses demandes. Mais la petite équipe professionnelle qui travaillait pour lui, et le grand nombre de bénévoles qui travaillaient sans relâche, tous l’adoraient manifestement. Il témoignait du respect et une chaleureuse reconnaissance pour les efforts de chacun.

L’amour de la vie par Jac incluait une grande appréciation de la nourriture. Surtout de la cuisine française bien sûr, et il était un excellent chef en cuisine. La seule photo de Jac que j’ai sur laquelle il a l’air sérieux a été prise alors qu’il préparait un filet de bœuf pour un anniversaire de mariage chez nous, où Marie et lui ont pris la responsabilité du repas. Malgré sa charge de travail conséquente, Jac ne s’est jamais pris trop au sérieux, et être en sa compagnie c’était toujours beaucoup rire. Marie et lui étaient des hôtes parfaits et des invités merveilleux. Lorsqu’ils nous rendaient visite, ils arrivaient toujours avec beaucoup de “produits régionaux” et aimaient offrir des cadeaux humoristiques, ainsi que de l’excellente nourriture. Marie a été un soutien constant à tous égards, toujours dans l’optique de réduire les efforts de son époux. Ils formaient un couple merveilleux, et Jac était immensément fier d’elle et de toute sa famille.

Jacques Vanherle avait le don de faire en sorte que chacun de ses interlocuteurs se sente unique. Il manquait totalement d’empathie pour lui-même, mais était tout à fait sympathique avec les autres. Il était une force de vie. Avec des centaines d’autres, je suis fier de l’avoir connu. À tous, il nous manquera beaucoup.

 

Peter Broadbent est l’un des principaux chefs de chœur britanniques, connu pour son engagement constant dans la musique contemporaine. En 1988, il fonde la Joyful Company of Singers, qui s’est rapidement imposée comme l’un des principaux chœurs de chambre en Europe, remportant une liste impressionnante de concours nationaux et internationaux. L’ensemble a donné de nombreuses représentations au Royaume-Uni, notamment dans la plupart des grands festivals de musique dont les BBC Proms, ainsi que des concerts dans toute l’Europe et aux États-Unis. Le répertoire de la JCS comprend plus de 30 créations, y compris des œuvres de grands compositeurs du Royaume-Uni ainsi que de compositeurs de France, de Hongrie, de Russie et de Finlande. La discographie de la JCS s’étend à plus de 25 CD et l’enregistrement continue d’être une partie importante de son activité. Peter Broadbent a dirigé les London Mozart Players, l’English Chamber Orchestra, la City of London Sinfonia, le Royal Philharmonic Orchestra, le Southern Sinfonia et les BBC Singers, et est diffusé fréquemment sur BBC Radio 3 et Classic FM. Il travaille comme chef invité dans toute l’Europe, donnant des masterclasses et étant juré lors de concours internationaux. Il a reçu la médaille “Pro Cultura Hungarica” du Ministère de l’éducation et de la culture de la République de Hongrie et, plus récemment, la Croix de chevalier de l’Ordre du mérite hongrois pour la promotion et le renforcement des relations culturelles anglo-hongroises. Courriel: peter.broadbent@jcos.co.uk

 

Traduit par Barbara PISSANE (France), relu par Jean PAYON (Belgique)

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