La Répétition
Christian Grases, Compositeur et chef
« Alors que le chant choral améliore le sens de l’écoute et de l’attention lors des concerts publics, en fait c’est lors des répétitions habituelles que l’expérience chorale trouve son identité réelle : en fait, le milieu choral vivant c’est la répétition. »[1]
Cette citation du livre de Ray Robinson et Allen Winold « L’Expérience Chorale » nous aide à comprendre que la répétition est bien plus qu’un temps où on apprend les notes, résout les difficultés techniques et fignole les concerts. C’est l’occasion, pour le chef et les chanteurs, d’approcher un peu plus les véritables intentions du compositeur. En d’autres mots, comme l’écrivent Robinson et Winold, : « … ce ne sont pas des répétitions comme nous les connaissons, mais tout simplement des interprétations de l’œuvre ‘en devenir. »[2] Donc, la répétition devient un but (autant qu’un moyen) et les chanteurs deviennent l’auditoire.
En tant que chefs, nous essayons sans relâche d’optimiser notre temps de répétitions de manière à mettre au point le produit musical recherché de la manière la meilleure et la plus rapide possible. Un chef mène une répétition efficace moyennant l’application de certains principes. Je les groupe en quatre grandes catégories : l’organisation, la communication verbale, musicale et interpersonnelle.
Organisation
- Organisez votre répétition en fonction du temps. Arriver à une répétition sans plan clair de ce que vous souhaitez réaliser, c’est inacceptable. Un plan détaillé s’avérera très utile : il comportera la liste des œuvres que vous voulez travailler, dans l’ordre où vous aller les répéter et avec le temps que vous comptez consacrer à chacune. Il devrait aussi prévoir la partie de la partition que vous comptez travailler, et l’objectif à atteindre pour la fin de la répétition. Cela pourra comporter des éléments aussi divers que lire les notes, créer les articulations correctes, travailler la diction précise, contrôler l’intonation, le phrasé, l’expression, ou juste passer tout cela en revue rapidement si le concert est proche. Il y a plusieurs façons d’organiser des répétitions et il s’avérera payant de ne pas toujours les structurer de la même manière. Cela évitera la routine et assurera un renouvellement permanent du tonus. Voici quelques idées à creuser pour préparer votre plan de répétition. Vous pouvez les exploiter une par une, ou en combiner autant que vous le voulez selon vos perspectives du jour.
- Utilisez les contrastes. Par exemple, alternez des chants dynamiques et lents, des chants liés et articulés, des pièces faciles et difficiles, … de manière à développer l’attention globale, en optimisant l’évolution musicale.
- Utilisez le Nombre d’Or (j = 1,618). Au fil de la répétition, l’attention et le tonus vont inévitablement flancher. Selon certaines études, l’apogée d’attention est lié au nombre d’or (qui correspond, en pourcentage, à 61,8 %). Cela signifie que l’ensemble sera le plus concentré à 61,8 % du temps de répétition (divisez simplement par 1,618 le nombre de minutes de la répétition). Ce moment-là sera idéal pour programmer le travail qui exige le plus d’attention.
- Utilisez les Séries de Fibonacci (0, 1, 2, 3, 5, 8, …). Ces séries, décrites par Leonardo de Pise (aussi connu comme Fibonacci) sont liées au Nombre d’Or ; on les trouve dans diverses formes naturelles (depuis le nombre des pétales de fleurs jusqu’à la forme spiralée de la coquille du nautile). Elles peuvent aussi servir de guides pour l’organisation du temps. En ce qui concerne nos répétitions, nous pourrions commencer le travail par une séance d’échauffement qui n’excédera pas 7 minutes (somme des cinq premiers nombres d’une série : 0+1+1+2+3=7). Ensuite nous pouvons travailler une œuvre pendant 5 minutes (nombre suivant de la série), et ainsi de suite. À l’approche de nombres plus grands (comme le 10è nombre de la série, qui est 34), nous pouvons diviser l’espace de temps pour répéter en plusieurs séances (c’est-à-dire une de 15 minutes et une autre de 19). Tout cela, bien sûr, en lien étroit avec nos objectifs du jour.
- N’employez pas le même schéma pour la répétition et l’échauffement : apportez des idées neuves et créatrices pour que le chœur ne verse pas dans un travail mécanique.
- Partielles : envisagez de partager le groupe, pour que les différentes voix puissent s’apprendre plus vite.
- Vitesse de travail : dans la répétition chorale, il faut adopter une certaine vitesse. Voici quelques pistes pour établir cette vitesse :
- Maintenez la répétition vivante. Ne laissez pas stagner l’énergie de la répétition. Soyez prêt à changer votre plan de départ en fonction du résultat que vous attendez de votre chœur aujourd’hui. Si vous estimez que le groupe éprouve des difficultés pour un passage, ne vous entêtez pas : passez à autre chose.
- Faites des pauses quand il le faut. Considérez qu’un break peut certainement renouveler l’attention de l’ensemble ; mais après lui, le chœur aura besoin d’un temps pour se reconcentrer pleinement.
- Envisagez d’enregistrer votre répétition (vidéo, audio ou les deux) pour pouvoir vous revoir au travail.
- Dynamisez la fin de répétition. Vous pouvez la conclure en planifiant de terminer par un air entraînant, ou par un ouvrage que l’ensemble peut chanter pour le plaisir. Cela donnera à votre chœur une impression finale de satisfaction, de bon esprit : il sera déjà prêt pour la prochaine répétition. C’est en tout cas la meilleure fin de répétition possible. Ne craignez pas de finir occasionnellement par le rappel d’une pièce ratée : cela pourra se traduire par une période très productive entre répétitions.
- Envisagez de faire changer de place votre ensemble, ou simplement certains chanteurs.
- En fin de répétition, faites-en collectivement un bilan.
Communication verbale
- Parlez peu, chantez beaucoup. Ma devise : «Exprime-toi en cinq mots au plus».
- Donnez des instructions claires.
- Parlez lentement, fort et clairement.
- En début de répétition, expliquez de manière organisée où vous en êtes : du grand au petit (numéro de page, système, mesure, temps).
- Ne donnez pas d’instructions à un groupe inattentif.
Communication musicale
- Écoutez. Ne vous contentez pas de foncer tête baissée selon vos seules attentes. Écoutez vraiment ce que l’ensemble est en train de chanter et comment il le chante.
- Répétez avec méthode. Si un problème surgit, décrivez-le et suggérez une solution.
- Ne recommencez pas inlassablement depuis le début du morceau.
- Demandez à vos chanteurs d’avoir de quoi écrire et de prendre des notes sur les partitions.
- Soyez courageux : isolez les passages difficiles et consacrez-leur plus de temps de répétition.
- Corrigez les fautes le plus vite possible : mais d’autre part laissez au chœur le plaisir de chanter, en particulier quand il chante une pièce pour la première fois de la journée. N’arrêtez pas tout le temps. C’est un équilibre difficile à atteindre.
- Répétez lentement, avec méthode. Si cela ne marche pas à un tempo lent, ce sera aussi incorrect à un rythme plus rapide.
- Là où il y a des difficultés harmoniques et des accords difficiles, demandez aux chanteurs de maintenir l’accord, pour qu’ils perçoivent les relations internes entre les sons. Vous pouvez aussi construire les accords une note après l’autre.
- Le rythme et le texte peuvent être dissociés pour travailler séparément la diction (tensions et détentes).
- Psalmodier le texte (à l’unisson ou sur un accord fixe) permet aux chanteurs de se concentrer sur le texte tout en utilisant leur voix chantée.
- Soyez prudent avec les tessitures extrêmes. Envisagez de répéter à une octave plus confortable les passages trop hauts ou trop bas.
- Du plus grand au plus petit : ne soyez pas obnubilé par des détails alors que la structure générale n’est pas encore en place.
- Envisagez à l’occasion de répéter doucement les passages forts pour vérifier la précision du rythme et de la justesse.
- N’utilisez pas le piano tout le temps. Souvenez-vous que si le piano est un instrument tempéré, la voix ne l’est pas.
- Maintenez tous les pupitres aussi actifs que possible. Si vous devez vérifier un passage dans une des voix, demandez à tous les chanteurs de chanter ce même passage à leur octave ou demandez-leur de fredonner leur partie en même temps.
- Ne craignez pas de demander à une voix d’en aider une autre. Par exemple si les ténors ont un passage très aigu alors que les altos ne chantent pas, demandez à certaines altos de chanter avec les ténors.
- Utilisez le nom des notes pour contrôler la justesse.
- Travaillez inlassablement la technique vocale, pas seulement pendant les séances d’échauf-fement mais aussi pendant toute la répétition.
- Combinez les voix pour aider à résoudre une difficulté. N’isolez pas constamment une voix, vous pouvez demander des combinaisons de deux ou trois voix pour chanter ensemble, de sorte qu’elles soient en référence harmonique, rythmique, ou les deux.
Communication interpersonnelle
- Dirigez par l’exemple. Ne demandez pas à vos chanteurs une chose que vous ne feriez pas vous-même.
- Ayez avec vos chanteurs un contact franc et direct.
- Soyez vulnérable. Si vous vous ouvrez à vos chanteurs, ils feront de même envers vous.
- Le résultat est un contact très particulier et très intime qui rendra unique l’interprétation de la musique.
- Soyez socialement conscient et soignez votre sensibilité.
- Employez le plus possible un humour sain (le cas échéant, même pour réprimander votre chœur).
Voilà quelques-unes des idées que j’exploite régulièrement lors de mes répétitions. La plupart d’entre elles ont été «empruntées» à d’autres chefs, à plusieurs de mes professeurs (Alberto Grau, Marîa Guinand et Jo-Michael Scheibe) ou à des livres sur le sujet. L’art des répétitions efficaces est difficile. Inévitablement, il y aura de bonnes répétitions et d’autres qui seront moins réussies, puisque nous travaillons avec un ensemble vivant qui existe à travers des situations constamment changeantes. Néanmoins, l’application de certaines de ces idées peut accroître votre aptitude à diriger avec succès des répétitions. Donc, gardez toujours à l’esprit que certains des moments les plus profonds de la pratique musicale ont souvent lieu pendant ces «interprétations» d’œuvres «en devenir».
[1] Waveland Press, Illinois, 1992
[2] Ibid.
Christian Grases a obtenu son Master en Direction Chorale auprès d’Alberto Grau et María Guinand à Caracas, au Vénézuéla et son Doctorat en Direction Chorale à l’Université de Miami. C’est un compositeur primé, actif comme chef sur invitation, technicien, juré et pédagogue an Amérique du Nord et du Sud, en Europe et en Asie. Il est Membre du Bureau de la FIMC et Président du Comité des Perspectives Ethniques et Multiculturelles (Division Ouest) de l’ACDA. Il est actuellement Professeur adjoint à l’Université de Californie du Sud à Los Angeles.
Traduit de l’anglais par Jean Payon, Belgique