La publication de musique chorale dans un monde en transition

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Aurelio Porfiri
compositeur, chef de chœur, écrivain et éducateur

 

Il y a quelques années, j’ai eu une conversation téléphonique avec le propriétaire d’une célèbre et importante maison d’édition spécialisée dans la musique chorale et sacrée. Une compagnie avec une histoire plutôt longue et bien connue des musiciens. Le propriétaire m’a dit quelque chose qui m’a bien surpris: il m’a dit que la vente de partitions était presque à zéro. J’étais si surpris, parce que si cet éditeur ne pouvait pas vendre beaucoup, et qu’il a construit un catalogue au cours des 100 dernières années, pouvez-vous vous imaginer comment les éditeurs mineurs peuvent survivre? Et pourquoi cela se passe-t-il?

Nous devons préciser avant tout que les éditeurs de musique chorale font face à différents types de problèmes, mais je vais évoquer deux situations qui peuvent expliquer assez bien les difficultés. Dans certaines zones géographiques, dans certaines régions d’Europe ou d’Asie, nous devons dire en toute honnêteté qu’il n’y peu ou pas de respect pour la loi sur les droits d’auteur, et que les partitions pour la chorale ne doivent pas être achetées, mais qu’elles peuvent être photocopiées à partir du document original. C’est la mentalité commune dans certains pays, et il est très difficile de la surmonter. D’autres pays respectent les droits d’auteur et achètent donc un certain nombre d’exemplaires pour répondre aux nécessités de ceux qui mettent la partition à disposition, soit des créateurs (compositeurs) et des distributeurs (éditeurs et autres entités).

Oui, parce qu’à chaque fois que nous ne payons pas pour une partition protégée par le droit d’auteur, nous compliquons la survie des compositeurs et des éditeurs, déjà assez difficile en soi. Ne prétendons pas être des anges: beaucoup de gens, m’incluant, ont probablement essayé de se procurer une partition d’un autre compositeur sans l’acheter. Comme je l’ai dit, dans certaines régions du monde, c’est une mentalité courante. Ainsi, c’est un énorme problème pour la survie des éditeurs, parce que ceux-ci doivent d’abord dépenser du temps, de l’argent et des ressources. Ensuite, si une pièce a du succès (de toutes les pièces qu’ils publient, peu en ont), ils peuvent être certains qu’ils courent le risque de grandes pertes financières dues au grand nombre de partitions qui ne sont pas obtenues de manière conforme. Est-ce qu’il est possible de passer outre ce problème? Ce serait possible, si les directeurs de chœurs et les chanteurs commençaient à respecter l’importance d’avoir des compositeurs et des éditeurs, qui mettent à leur disposition de la musique de qualité à interpréter. Laissez-moi vous raconter une autre histoire qui m’est arrivée dans une certaine ville d’Asie. J’étais là et j’avais la possibilité d’assister à un concours choral organisé annuellement pour les chorales scolaires. J’ai remarqué que les compositeurs des pièces au programme n’étaient pas annoncés. On pouvait y lire le nom des pièces, mais pas qui en étaient les compositeurs. Je l’ai donc fait remarqué à un des membres du jury, que je connaissais personnellement, un local. Cette personne a eu l’air bien surprise de ma remarque, pensant quasiment que de ne pas donner le crédit aux compositeurs ne présentait pas un gros problème. Cette personne était même un professeur formant d’autres élèves aspirant à devenir eux-mêmes instituteurs! Vous pouvez vous imaginer que si telle est la situation au niveau des éducateurs, cela ne peut pas s’améliorer aux niveaux inférieurs. Nous ne parlons pas, bien sûr, d’une situation générale, mais cela est tout de même assez répandu.

Dans ces conditions, comment peuvent survivre les éditeurs? Ils ne peuvent pas. Évidemment, aujourd’hui internet donne de merveilleuses opportunités. Vous pouvez avoir un site internet plutôt pas mal et pour tous les morceaux, y inclure un grand nombre d’informations, d’exemples audio, la traduction des textes, des pages de lecture gratuites… Vraiment, vous pouvez offrir beaucoup de possibilités aux directeurs de chorales d’évaluer un morceau depuis le confort de leur foyer. Et il y a, disons-le clairement, plusieurs directeurs achètent encore les partitions en fonction du nombre de chanteurs dans la chorale. Je dois aussi dire, d’un autre côté, qu’il y a vraiment de nombreuses chorales, qui n’ont pas les ressources pour acheter des partitions. Ils viennent de pays peu développés et n’ont pas d’argent pour ce genre de choses.

Puis, quelque chose de nouveau a certainement changé le paysage de l’édition de musique chorale: la possibilité d’acheter des partitions en format digital. Dans ce cas, vous n’avez pas besoin de payer la livraison ou d’attendre des semaines pour recevoir les partitions. Vous allez recevoir un PDF et payer pour une licence, et vous pourrez utiliser la partition et en faire un grand nombre de copies. C’est beaucoup plus confortable et cela représente certainement le futur. Bien sûr, il y a un côté négatif à cela, mais soyons honnêtes, il y a un côté négatif aux deux formats, digital et papier. Cela explique pourquoi les éditeurs ne peuvent pas vous permettre d’acheter un seul exemplaire d’un morceau; parce qu’ils savent qu’un seul exemplaire acheté entre 1 et 3 euros sera utilisé par les chorales qui ont peut-être plus de 50 membres. Ainsi, ils perdent beaucoup d’argent. C’est pour cette raison qu’un nombre minimum d’exemplaires est demandé: vous payez une partition pour le prix de 10 à 15 copies, afin de minimiser les pertes.

Mais nous devons maintenant faire face à un autre scénario, en relation avec ceux expliqués plus tôt, mais qui ajoute plus de soucis au problème général: covid-19. Au moment où j’écris ces lignes, il y a une nouvelle poussée du nombre de personnes infectées, et cela, bien sûr, signifie qu’il a des règles à respecter lors de rassemblements. Et les chorales, peu importe comment vous percevez cette activité, sont certainement des rassemblements. Alors, aux difficultés dont nous avons déjà discutées, s’ajoutent un nouveau problème: non seulement les chorales n’utilisent pas les partitions en respectant la loi sur le droit d’auteur, mais il y a tout simplement peu d’activités chorales, ce qui rend inutile l’achat de partitions, car vous ne pouvez pas les interpréter ou les pratiquer. Maintenant, laissez-moi vous dire quelque chose, nous n’avons pas besoin d’être trop pessimiste à ce propos. Nous savons qu’en temps de crise, comme les guerres ou les catastrophes, les technologies se développent plus rapidement, à cause de l’urgence du moment. Ainsi, je crois qu’il en sera de même pour la présente situation ; quand tout cela sera derrière nous, nous pourrons dans tous les cas observer la musique chorale et les activités qui nous sont familières sous un nouvel angle. Nous avons tous déjà pu témoigner l’explosion des vidéoconférences, comme celles sur Zoom (la plate-forme en a fait douter certains pour des raisons de sécurité et certains préfèrent ne pas l’utiliser). De plus, nous avons des répétitions virtuelles, auxquelles les gens peuvent se joindre à l’aide d’internet. Cela étant dit, il y a encore des problèmes à ce propos, parce que la connexion internet n’est pas idéale pour tous et ainsi, pour être vraiment ensemble, ce n’est pas aussi facile que lors d’une répétition en personne. Et, bien sûr, je sais qu’être à proximité d’un autre être humain n’est pas la même chose qu’être à plusieurs kilomètres de distance. Mais regardez, nous avons dit la même chose quand le téléphone a été inventé. Parler à quelqu’un était certainement un art, l’art de la conversation, qui s’est complètement transformé depuis l’invention du téléphone. Ainsi, dans ce cas, nous pouvons supposer que la technologie va améliorer les possibilités des répétitions en ligne et en faire quelque chose d’aussi agréable qu’en personne, même si quelque peu différente. Sur une note positive, vous pouvez penser à l’occasion de former des groupes chorals stables, avec des personnes choisies, issues du monde entier. Vous pouvez penser aux gens venant de pays où l’enseignement de la musique n’est pas très développé, gens qui peuvent joindre virtuellement un chœur, dirigé par un éducateur choral compétent et avoir l’éducation dont ils ont peut-être toujours rêvée à partir de leur maison. Ne pensez-vous pas que c’est une opportunité? Il y a beaucoup à faire. La technologie n’y est pas encore. Mais nous avons déjà vu les possibilités en action. Prenez moi en exemple: j’ai fait des diffusions en direct à propos de thèmes sur la musique et sur la chorale, des diffusions en direct sur YouTube et Facebook, dont les experts se trouvaient dans différentes parties du monde. Mais nous étions là, ayant des conversations agréables durant plus d’une heure, parfois (rarement) rencontrant des problèmes de connexion, comme nous pouvons en avoir avec un microphone durant des conférences en public. Oui, je sais, se rencontrer en personne est autre chose, mais nous devons faire face aux défis que le monde nous présente et les maîtriser plutôt que d’en être la proie. En tant qu’éducateurs chorals, nous devons être ceux qui façonnent le Monde, sans renier les éléments de peur qui nous entourent, en étant prêts à transformer ceux-ci en courage, quand nous pouvons leur faire face.

 

 

Aurelio Porfiri est un compositeur, directeur de chœur, écrivain et éducateur. Il a publié plus de quarante livres et mille articles. Plus de cent de ses partitions sont disponibles en format papier en Italie, Allemagne, France, aux États-Unis et en Chine. Courriel: aurelioporfiri@hotmail.com

 

 

Traduit de l’anglais  par Amélie BERGERON (France), relu par Jean PAYON (Belgique)

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