Le Fonctionnement des Voix dans le Cerveau

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Par Aurelio Porfiri et

Angela Astri Soemantri

 

Ces dernières décennies des progrès phénoménaux dans la recherche sur le cerveau ont révolutionné de nombreux domaines. Aujourd’hui nous parlons facilement de neuro-économie, de neuro-théologie, de neuro-biologie, etc. Les arts visuels sont aussi étudiés désormais qui d’un point de vue neuroscientifique (Ramachandran et Blakeslee, 1998). Quand nous comprenons mieux comment notre cerveau fonctionne, nous pouvons en apprendre beaucoup plus sur nous-mêmes. Nous devrions nous concentrer non seulement sur les développements dans le secteur des neurosciences, mais aussi en psychologie, afin de comprendre que notre manière de fonctionner est une conséquence de la façon dont notre cerveau appréhende ce que nous appelons « l’art ».

La musique fait aussi partie de ce phénomène. Des recherches importantes dans le domaine de la perception et de la cognition musicale nous aident à donner un sens à nos expériences musicales (depuis Meyer, 1961). Pour comprendre le développement très conséquent de ce domaine il nous suffit de mentionner des best-sellers récents tels que le livre très populaire de Daniel J. Levitin « Voici votre cerveau en musique / This is your Brain on Music » (2006), pour n’en citer qu’un.

Nous suggérons que ces développements peuvent aussi être appliqués au domaine de la musique chorale. La recherche récente sur le cerveau (en neurosciences et en psychologie) peut-elle nous aider à améliorer les performances de nos chœurs ? Nous pensons que cela est possible. Seulement quelques articles (Porfiri, 2010) se sont attaqués au thème des neurosciences et des autres domaines scientifiques en connexion avec la musique chorale, mais ceux-ci montrent bien qu’avec une approche plus large, les chefs et les chanteurs peuvent se voir offrir des matériaux pour rendre leurs activités musicales plus efficaces et plus pleines de sens. Nous savons en effet que notre concept du savoir est souvent très étroit. Nous envisageons le savoir uniquement comme ces phénomènes internes à nos domaines de compétences. Nous pensons par exemple, que tout ce que nous devons savoir au sujet de la musique chorale fait nécessairement partie de ce domaine là.  Mais les changements à l’échelle mondiale nous enseignent que la connaissance est de nature holistique. Il n’y a  pas qu’un seul savoir, mais de nombreuses façons de l’envisager. Nous pensons donc qu’il est grand temps de fonder une nouvelle discipline que nous pourrions appeler la neuro-choralité, car le chant choral inclut des notions qui dépassent le simple fait de chanter. Tout bon chef de chœur sait qu’il doit gérer le chœur comme un psychologue, un gestionnaire, un stratège du marketing, un nutritionniste, etc. Le musicien pur et dur est de nos jours une sorte de figure mythologique ; même les musiciens du passé, que nous avons tendance à idéaliser, devaient jouer plusieurs rôles bien au-delà de celui de simple artisan de la musique.

Donc comment pouvons-nous rendre notre chant choral plus brillant en tenant compte des progrès récents dans les domaines scientifiques, surtout en neurosciences ? Heureusement, aujourd’hui, nous avons des ressources fabuleuses qui nous aident à avoir une image plus claire de la façon dont notre cerveau donne sens à la musique. Par exemple, quand nous sommes face à des œuvres de chœur très complexes, le fait de savoir comment le cerveau apprend ou mémoriser des mélodies peut nous aider. Nous devons comprendre que notre cerveau est un système qui forme des réseaux de connexions. Rien n’est en soi impossible pour nos choristes, mais nous devons travailler avec eux pour les aider à donner un sens à leurs perceptions auditives et pour les aider à catégoriser un morceau de musique donné (voir Thompson, 2009). Personne ne naît en aimant ou en détestant un style de musique donné. Pourquoi, donc, certaines personnes dans certains pays trouvent-elles certains types de musique pas à leur goût, ou même énervants ? Parce que leur cerveau ne sachant pas donner un sens à certains signaux sonores particuliers, ils ne sont pas capables de donner un sens à ces mélodies ou à ces pièces.

La recherche dans le domaine de l’enseignement nous apprend que la première question que le cerveau se pose en recevant de l’information de l’extérieur est : ceci est-il important pour moi ? En quoi cette information me concerne-t-elle ? (Sousa, 2006)  Ainsi certaines compositions qui nous semblent importantes peuvent ne pas l’être pour nos choristes. Que nous devons-nous donc faire ? Abandonnons-nous ? Pas du tout. Mais nous devons nous adapter à la façon dont le cerveau est capable d’apprendre. De ce point de vue, nous devons aider à mettre en place le processus qui consiste à catégoriser un type de musique particulier pour que les étudiants ne le trouvent plus aussi étranger. (La catégorisation est le processus utilisé par le cerveau pour comprendre des signaux extérieurs).

Une autre application de la recherche récente au domaine de la musique chorale est la gestion des problèmes avec les chanteurs adolescents. Nous savons très bien que quand nous dirigeons un chœur de lycéens, par exemple, nous devons faire face à des crises émotionnelles : des pleurs, des sauts d’humeur, des inconstances (Santrock, 2008). Elles peuvent nous rendre fous. Mais nous devons savoir que ces comportements adolescents font partie du processus de croissance du cerveau. En effet, à cet âge, l’amygdale cérébrale (le siège de nos émotions) jour un rôle immense dans notre comportement parce que le lobe frontal (le siège de nos pensées rationnelles) n’est pas encore totalement développé (Papalia, Olds et Feldman, 2009). Le fait de savoir cela et bien d’autres choses encore nous aideront à faire face aux problèmes avec une meilleure compréhension de leur nature profonde. Cela nous incitera sans doute à chercher une aide psychologique plutôt qu’à crier encore plus fort. Nous savons aussi que des découvertes récentes peuvent nous aider à rendre nos modes de fonctionnement plus efficaces en sachant par exemple quelles sont les meilleures couleurs pour l’environnement ou encore en sachant que l’humour facilite  vraiment le processus d’apprentissage.

 

Table of the emotions
Table of the emotions

 

Ce ne sont que quelques exemples du potentiel de cette nouvelle approche pour  nous aider à améliorer notre façon de faire de la musique. De nouveaux articles et de nouvelles découvertes nous offrent de nouvelles perspectives sur notre cerveau, et sur notre potentiel à nous en servir et à le développer pour n’importe quelle activité humaine, dont la musique. Etablir des connexions entre la science et l’art peut donner des résultats potentiellement surprenants. Et ceci n’est pas nouveau puisque nous savons qu’il en était ainsi de la vision médiévale de la musique, un reflet d’une perfection et d’un ordre supérieurs.

Parmi ces découvertes, un grand nombre d’entre elles sont bien acceptées et ont déjà été mises en place dans des lieux d’enseignement. Nous pensons réellement qu’il est sérieusement temps de transposer ces conclusions dans le domaine du chant choral. En effet, nous savons que de nombreux musicologues ont déjà commencé à analyser des compositions du point de vue du processus cognitif de l’écoutant (Marsden, 1987). Nous avons besoin d’être conscients maintenant que nous ne pouvons pas simplement ignorer ces recherches à un moment où notre monde change de façon si drastique. Nous savons que nous devons accepter ce défi et commencer à regarder nos choristes comme plus que des voix, puisque les voix sont le produit du travail du cerveau. Ainsi les chefs dirigent des cerveaux, et plus ils sont conscients de la façon dont ces cerveaux fonctionnent, plus ils obtiendront les bons résultats qu’ils s’efforcent d’obtenir.

 

REFERENCES : livres et articles.

  • Levitin, D.J. (2006).  This is your Brian on Music : The Scicnce of a Human Obsession. New York, NY : Penguin Group.
  • Levitin, D.J. (2009).  The world in six songs : How the musical brain created human nature. New York, NY : Penguin Group.
  • Marsden, A.A. (1987). A study of Cognitive Demands in Listening to Mozart’s Quintet for Piano and Wind Instruments, K 452. Psychology of Music : 15,30.
  • Meyer, L.B. (1961). Emotion and Meanig in Music. Chicago, IL: University of Chicago Press.
  • Papalia, D.E., Olds, S.W. et Feldman, R.D. (2009). Human Development (11ème edition). Boston, MA : McGraw-Hill.
  • Porfiri, A. (2010). Brain for conductors. Paper presented at the Music Cognition II conference, December 3, 2010, Macau, China.
  • Ramachandran, V.S. et Blakeslee, S. (1998). Phantoms in the Brain : Probing the Mysteries of the human mind. New York, NY : HarperCollins Publishers.
  • Santrock, J.W. (2008). Children (10ème éd.). Boston, MA : McGraw-Hill.
  • Sousa, D.A. (2006). How the Brain Learns (3ème éd.). Thousand Oaks, CA : Corwin Press.
  • Thompson, W.F. (2009). Music, Thought and feeling. Understanding the Psychology of Music. New York, NY : Oxford University Press.

 

 

Aurelio_PorfiriAurelio Porfiri est organiste italien, chef de chœur et un compositeur qui est à présent Professeur Associé de Musique et coordonnateur du programme de musique à l’Université de Saint Joseph (Macao, Chine).  Il est aussi le Directeur des Activités Chorales de l’Ecole Santa Rosa de Lima, section anglaise. Il est un chef invité du Département d’Education Musicale du Conservatoire de Musique de Shanghai (Chine). Il a publié quatre livres et plus de 200 articles. En tant que compositeur, il a publié des douzaines de psaumes, d’oratoires, de cantiques et de motets en Italie, en Allemagne, et aux USA. Email : aurelioporfiri@usi.edu.mo

 

angela-astri-soemantriAngela Astri Soemantri travaille sur son Mastère en Psychologie de l’Education. Elle a dédié 14 ans de sa vie à l’enseignement de la musique, surtout le piano. Ces dix dernières années, elle s’est concentrée sur l’étude de la musique chorale, s’impliquant activement dans des ateliers pour solistes ou ensembles et des master classes. Elle cherche à transférer avec passion ses connaissances à ses choristes. Elle a dirigé le Chœur Monarch Orcaellanum Luminare (MOL) (connu auparavant sous le nom de Orcaellae Vox Sacra) dans un concours international pour chœurs à Venise (Mai, 2009), où elle a gagné deux diplômes d’or (dans les catégories Musique de Chambre Mixte et Folklore). Fière d’être indonésienne, Mme Soemantri s’efforce de faire connaître la richesse de la culture indonésienne au monde entier à travers la musique chorale. Email : angela.astri@gmail.com

 

Traduit de l’anglais par Pascale Isoleri (France)

Edited by Anita Shaperd, USA

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