Utiliser la pandémie pour libérer la créativité

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Ki Adams, Vice-président de la FIMC, President de la Fondation Choeur mondial des Jeunes, Co-fondateur et directeur du Singing Network

Il est désormais incontestable que dans le monde choral post-COVID il y aura une ”nouvelle normalité”. Pour beaucoup, la tradition chorale antérieure à la pandémie était familière, confortable et sûre, mais comme le montrent les évènements, elle peut avoir été limitée dans sa vision et son but. Si nous sommes prêts à accepter le changement et à trouver de nouvelles façons et de nouvelles raisons de chanter ensemble, la pandémie nous a fourni un intermède avec des possibilités extraordinaires. Cet article mettra en lumière plusieurs innovations et expériences entreprises par des chorales et des compositeurs canadiens qui, ensemble, se sont engagés dans des projets créatifs et imaginatifs qui n’auraient jamais été élaborés sans la Covid-19.

 

Le projet Convolution

Avec sa population de 38 millions d’habitants et la seconde plus grande surface au monde (9,98 millions de kilomètres carrés), le Canada possède un organisme national de services artistiques dédié au secteur de l’Art choral, Choral Canada. Œuvrant en partenariat avec lui, neuf fédérations chorales sont issues des dix provinces et trois territoires du pays. Choir Alberta est la fédération chorale de la province de l’Alberta (ouest du Canada), qui est un foyer particulier d’activité chorale dans ce pays. Pendant la pandémie, alors que les chorales étaient incapables de se rencontrer ou de se produire en présentiel, Choir Alberta a voulu organiser un projet qui renforcerait la communauté chorale de la province et repousserait les limites du projet de chorale virtuelle conventionnelle.

Le projet Convolution est né de la nouvelle réalité de la pandémie, en particulier du chagrin et de la presque panique au sein de la communauté chorale quant à la façon dont elle survivrait. L’approche consistait à explorer comment la pandémie pouvait devenir une opportunité, plutôt qu’un risque. En créant un nouveau médium choral numérique, Reunion rassemble non seulement virtuellement les choristes albertains, mais reproduit aussi virtuellement leur son dans les espaces où ils chantent habituellement en simulant les résonances des églises et des salles de concert de toute la province.

Les choristes ont pleuré la perte de leur art chéri, avec tous les avantages sociaux, culturels, émotionnels et même pour la santé qu’il apporte, en raison de la distance sociale imposée par la pandémie. Nous espérons utiliser Reunion pour recréer virtuellement une partie de la magie chorale qui manquait aux chanteurs. (Jason Noble, compositeur)

Le projet a impliqué 89 chanteurs de 54 chorales à travers la province de l’Alberta ainsi que des chanteurs auditionnés ou non: le paysage des chorales à travers le Canada. Tous les sons de l’enregistrement proviennent de la voix humaine. Le compositeur décrit le processus de composition:

j’ai essayé de composer une pièce que les chanteurs adoreront chanter, avec des mélodies lyriques, des harmonies luxuriantes, une palette de textures allant des plus délicates aux plus riches et sonores, et un crescendo formel dramatique. Une fois que les chanteurs ont enregistré leurs parties, j’ai utilisé certains des matériaux vocaux pour créer des paysages sonores virtuels qui ne sont possibles qu’avec une amélioration électronique. Nous espérons ainsi transformer la distance qui nous est imposée en une opportunité d’explorer de nouveaux espaces sonores.

En utilisant la convolution, une technique électroacoustique, J. Noble a pu modéliser la résonance d’un espace pour les voix des choristes, renvoyant les voix des chanteurs à leurs propres espaces acoustiques. Dans certaines parties de la pièce, la convolution a été utilisée pour simuler ces espaces acoustiques. Dans d’autres sections, la réverbération est diminuée ou annulée, créant une intimité étonnante en supprimant l’illusion de la distance. Cette technique a fourni un moyen puissant d’évoquer le texte, en commençant par le fait que: la distance disparaît dans les espaces sonores.

De plus, les chanteurs ont enregistré des sons vocaux parlés et non textuels, qui ont été manipulés numériquement pour créer des paysages sonores naturalistes et sociaux. Ces sons étaient destinés à évoquer des scènes dont de nombreuses personnes ont été privées en raison de déplacements et d’activités limités pendant la pandémie: une forêt, un océan et un rassemblement social. Aucune image de chanteurs n’apparaît dans la représentation, seulement des espaces de concert vides et des environnements naturels. Le projet a vraiment réussi à rassembler les chanteurs, socialement et musicalement dans leurs environnements acoustiques de prestation, bien que ce soit une ”réunion” virtuelle.

 

Sonic Timelapse Project

Sonic Timelapse Project est un projet collaboratif de commande d’art choral qui est né des préoccupations quant à la façon dont les chorales pourraient financer des commandes pendant la pandémie. Créé par Katerina Gimon, Laura Hawley et Geung Kroeker-Lee avec le soutien de Prairie Voices Inc, ce projet rassemble une créativité et des ressources financières partagées dans une période de besoin pour financer la création de 10 nouvelles œuvres ainsi que pour soutenir la programmation en ligne pour les chœurs participants.

Kroeker-Lee explique la genèse du projet:

Au départ, Sonic Timelapse concerne la communauté. L’esprit derrière le projet était de donner à la communauté chorale canadienne l’occasion de réagir aux effets de la pandémie mondiale en s’exprimant à travers de nouvelles œuvres chorales. Nous avons imaginé un processus créatif qui place le compositeur, le chef et le chanteur comme des contributeurs égaux à ces œuvres, car nous avons estimé que c’était une façon de créer des expressions authentiques de notre communauté. L’humanité a toujours eu un moyen de créer une beauté incroyable dans ses moments les plus difficiles; nous espérons que ce projet fournira une expérience qui permettra à notre forme d’art et à notre communauté de pleurer, de réfléchir, de faire de nouvelles découvertes et de célébrer les belles complexités de la vie.

L’idée est de commander de nouvelles œuvres en fonction de ce que ressentent les choristes au fil du temps pendant la pandémie. Le processus de collaboration consiste à rassembler du contenu du paysage émotionnel des communautés chorales au Canada, et à utiliser ces réflexions créatives comme textes pour des compositions chorales. Gimon décrit l’objectif de collaboration:

En tant que compositeur, j’ai toujours été passionné par la recherche de moyens d’impliquer les chanteurs dans le processus de création d’une nouvelle œuvre pour leur chorale. Le résultat de l’implication intentionnelle des chanteurs est la création d’une nouvelle œuvre qui leur ressemble vraiment – quelque chose de représentatif de leur voix, de leurs sentiments, de leur temps, de leurs idées et de leurs luttes. Pendant cette pandémie, je pense que cela est devenu encore plus important. Les moments de distanciation sociale nous ont fait réaliser à quel point nous apprécions la connexion et aspirons à faire partie de quelque chose de plus grand que nous-mêmes à travers la chorale et le chant collectif. Notre espoir avec Sonic Timelapse est que, même lorsque nous ne sommes pas en mesure de chanter ensemble dans une même pièce, les participants peuvent toujours ressentir exactement cette connexion et cette relation aux autres.

Ce projet collaboratif est conçu avec beaucoup de flexibilité et d’options basées sur neuf niveaux de financement, chacun avec différents degrés d’accès à l’autorisation de licence numérique pour les partitions commandées, des ateliers de créativité, des réflexions créatives et la vidéothèque New Works. En utilisant un modèle innovant de financement participatif, le projet générera un certain nombre de nouvelles compositions, dont beaucoup pour plusieurs voix dans des effectifs flexibles. Hawley explique le modèle de financement:

En abordant Sonic Timelapse avec ma double casquette de compositeur et de chef, je me suis particulièrement concentré sur la création d’un moyen pour les chœurs d’accéder à de la nouvelle musique dans une année où beaucoup se débattent désespérément, sans compromettre nos objectifs autour de ce que nous voulons pour payer tous les compositeurs sollicités. Nous avons donc conçu un modèle de financement qui vise à rendre financièrement plus facile pour les chorales d’acheter de la nouvelle musique et de s’engager en ligne. Par exemple, le niveau de financement de 350 $ CA comprend l’accès à des ”packs” pour chorales comprenant quatre nouvelles œuvres, des fichiers audios d’apprentissage, des vidéos dans lesquelles chaque compositeur discute de sa nouvelle pièce et trois sessions d’atelier personnalisables selon la durée et le niveau. Tout cela est évalué à 800 $ – 1000 $ CAD.

Avec autant de chorales à la recherche d’aide et avec autant d’individus désireux de soutenir la communauté et les arts, nous croyons que nous pouvons travailler ensemble pour mettre en commun nos ressources financières et créatives. Chaque individu ou chorale qui fait un don ou s’inscrit contribue à bâtir une communauté forte, relie les chœurs les uns aux autres et avec les compositeurs, donne une voix à notre expérience vécue de la pandémie, met la musique entre les mains des chanteurs et génère une formidable énergie créative qui est une lumière positive dans notre monde!

Sonic Timelapse a engagé dix compositeurs canadiens exceptionnels pour créer les œuvres commandées. Pour cet article, chaque compositeur a été invité à partager ses réflexions sur le projet.

  

 

C’est une excellente idée, d’avoir mis en route autant de choses en peu de temps sous un seul thème. Les rendre disponibles pour plusieurs chœurs à la fois est génial, car cela dispense de certaines limites de l’exclusivité dans le processus de commande traditionnel. Après la pandémie, j’imagine un engagement à plusieurs niveaux avec ces pièces de tout le réseau de chorales et de compositeurs qui ont participé à la génération initiale de Sonic Timelapse. En tant qu’ensemble d’œuvres définies par leurs circonstances de création, elles seront un marqueur fascinant à observer rétrospectivement dans les années à venir.

Sonic Timelapse est entré dans ma vie cinq mois après le début de la pandémie lorsqu’il était clair que l’art choral était dans une position vulnérable, que les possibilités en termes de création musicale, de communauté et de réseautage étaient tout aussi peu claires. Le fait de m’inspirer des réflexions artistiques soumises au projet m’a donné un sentiment d’espoir et de but bien mérité à cette époque. Je me suis sentie inspirée pour écrire une pièce qui non seulement traitait de mon expérience de la pandémie, mais pourrait également relever certains des défis auxquels font face l’enseignement et le chant choral en ligne. Il est émouvant qu’en cette période d’incertitude, des compositeurs de chorales de partout au Canada puissent se tenir ensemble sur la même « scène » pour offrir espoir et beauté d’une manière pratique et significative.

J’adore l’idée de Sonic Timelapse en tant que collaboration d’idées, de créateurs, de bienfaiteurs et de bénéficiaires. En tant que compositeur, il est bon d’avoir certains paramètres, et la soumission de textes provenant de plusieurs sources et individus a fourni une grande variété de possibilités. Je pense que c’est une excellente idée de partager les pièces entre toutes les chorales impliquées. Cela donne plus de possibilités aux chorales et aux compositeurs d’avoir plus de représentations de chaque pièce. 

Une des choses qui me passionne le plus à propos de Sonic Timelapse est son aspect ”temporel” avec deux morceaux de nouvelle musique sortant chaque mois, chacun basé sur les réflexions des membres de la communauté de la musique chorale recueillies en permanence. La musique créée servira de ”capsule temporelle” de ce moment unique de notre histoire: les difficultés auxquelles nous avons été confrontés, comment nous avons trouvé l’espoir, comment cela nous a changé et comment cela a changé notre monde. À travers l’incertitude de 2020, ce projet a été une lumière brillante pour moi, m’inspirant et me donnant de l’espoir dans les moments difficiles.

Travailler avec les réflexions créatives soumises signifiait se connecter de manière créative avec tous les artistes du monde choral qui avaient soumis ces réflexions. En lisant leurs contributions et en réfléchissant à la manière de mettre en musique ces émotions et ces idées, j’ai senti qu’un pont s’était créé entre nous. Maintenant que je chante ma pièce terminée, chaque phrase, mot ou idée émotionnelle me relie à la personne qui a inspiré ce moment. C’était un aspect du projet que je n’avais pas nécessairement prédit : le pouvoir de ce processus créatif collaboratif de raccourcir la distance entre nous, et comment cela me rappellerait que je fais partie d’une communauté qui peut trouver du potentiel créatif même dans les moments les plus sombres et travailler ensemble pour en faire une expression artistique.

À une époque où les artistes ont dû interrompre leurs efforts de création, ce projet m’a donné l’occasion de créer et de réfléchir à mon expérience de la pandémie mondiale. J’ai été attiré par Sonic Timelapse par les réflexions créatives partagées par des chefs de toute la communauté chorale canadienne. Alors que mon processus de composition commence, j’espère tisser ensemble leurs perspectives uniques avec les miennes pour représenter les émotions complexes qui ont été suscitées pendant cette période.

À l’époque de la pandémie et du soulèvement social, je réévaluais ma relation avec la musique chorale en tant que personne d’origine sud-asiatique. Travailler dans une forme d’art spécifique de la culture qui a colonisé mon peuple est un obstacle auquel j’ai été plusieurs fois confronté. Sonic Timelapse m’a permis de canaliser certaines de mes pensées et sentiments sur ces problèmes dans une œuvre où je pourrais avoir plus de visibilité. Les idées d’inclusivité et de diversité ainsi de soutien à la communauté chorale pendant cette pandémie semblent si pertinentes que j’ai sauté sur l’occasion de faire partie de ce groupe de compositeurs canadiens.

Quel projet! Alors que tout le monde était encore sous le choc des annulations de milliers de concerts et de répétitions au printemps, Sonic Timelapse a offert une nouvelle façon de créer de la musique en réunissant choristes, chefs et compositeurs malgré la distanciation physique. Bien sûr, je voulais en faire partie! C’est aussi un formidable défi de composer quelque chose de ”plus simple” afin de le garder accessible lors de répétitions via Zoom, tout en étant toujours convaincante sur le plan artistique. J’espère que ce modèle qui rend la commande accessible à moindre coût aux ensembles de notre communauté s’épanouira dans la communauté chorale internationale!

Il fait froid, sombre, et nous ne pouvons pas voir nos amis. La mort et le chagrin sont vécus dans des configurations extraterrestres et distantes. L’esprit canadien persiste. Le dégel est plus prometteur que jamais cette fois-ci. Sonic Timelapse parle de cet esprit de résilience et de créativité canadiennes face aux difficultés. L’une des tâches de la musique consiste à capturer des moments comme celui-ci : un instantané vivant d’une époque et d’un lieu. J’espère que l’image est celle de la transcendance, au milieu des ténèbres, du chagrin et de la neige

Sonic Timelapse est une façon tellement innovante d’apporter de l’espoir à la communauté chorale: chanteurs, réalisateurs / chefs, public et compositeurs! Ce projet aborde l’engagement communautaire, la création de nouvelles musiques, la collaboration financière et la résilience émotionnelle à un moment où nous sommes contraints au silence. En tant que chef, choriste, professeur de musique et compositeur, je pense que ce projet comble actuellement de multiples lacunes dans la création musicale collaborative et qu’il continuera d’être nécessaire après la pandémie. Sonic Timelapse nous rappelle la nécessité de nous pencher vers la musique et les uns vers les autres pour la résilience et l’espoir.

 

Veritas: Seeking Truth, Sharing Wisdom

Explorant le concept de vérité pendant une pandémie mondiale saturée de ”fausses nouvelles”, de tromperie et de désinformation, les Aeolian Singers (Halifax, Nouvelle-Écosse) ont commandé des œuvres à des compositrices canadiennes sous le titre Veritas: Seeking Truth, Sharing Wisdom. Les trois compositrices sont Frances Farrell (Nouvelle Ecosse), Marie-Claire Saindon (Québec), et Carmen Braden (Territoires du Nord-Ouest), issues chacune d’une région différente du Canada. La directrice artistique Heather Fraser décrit l’inspiration de ce projet:

Nous recherchons tous la vérité dans nos vies, et il semble qu’elle soit de plus en plus difficile à trouver. Ce projet incarne à quel point la vérité est largement ouverte à l’interprétation et comment nos certitudes peuvent être si différentes les unes des autres. Nous sommes constamment aux prises avec le monde complexe de l’ombre et de la lumière, du vu et de l’invisible, et de la manipulation de la réalité.

 

À travers leurs commandes, les compositrices ont exploré le thème de la vérité, et cela leur a permis de les conduire sur des chemins créatifs très différents. Farrell s’inspire de la rose comme symbole de vérité, quelque chose qui peut être dépouillé pétale par pétale et s’épanouir dans les endroits les plus inattendus. Saindon examine la vérité à l’ère des fausses nouvelles, des anti-vaccins, des théories du complot et de la technologie deepfake. Braden met les auditeurs au défi d’expérimenter la vérité à travers les yeux d’un enfant aux souvenirs et aux impressions en constante évolution.

Plutôt que de présenter les commandes en un seul concert, le projet présente les compositrices individuellement dans trois concerts distincts conçus pour permettre au public d’interagir avec ces remarquables compositrices canadiennes. Chaque concert comporte la création mondiale d’une commande ainsi qu’une présentation de la compositrice sur un sujet lié à son propre processus de composition et de création. La compositrice s’engage dans une démonstration en collaboration avec la chorale sur l’œuvre commandée, donnant au public l’occasion rare d’entendre directement les créateurs parler de leur métier, d’assister au processus de création collaboratif et de faire l’expérience d’un regard approfondi sur le monde de la composition. 

 

Frances Farrell, composer

 

 

Une des compositrices, Frances Farrell, partage ses réflexions sur son processus créatif et la composante du projet Veritas qui implique la compositrice, la chorale et le public: 

Le premier défi dans la réalisation de cette commande, A Rose by Any Other Name, a été d’aborder un sujet aussi vaste. J’ai décidé de créer une suite de trois pièces, pour refléter la vérité de plusieurs points de vue. Une exploration préliminaire de la poésie m’a conduit à la citation d’Anne Brontë: ”Mais celui qui n’ose pas saisir l’épine – Ne devrait jamais avoir envie de la rose.” J’ai joué avec la rose comme symbole de vérité qui pourrait unifier les trois mouvements de A Rose by Any Other Name. En lisant la dernière strophe du poème Night de Hilda Doolittle (H.D.), j’ai été intriguée par l’image des pétales en train de tomber, ne laissant que le noyau dur de la rose. En lisant le texte, l’idée d’un air de Haendel m’est venue. La vérité de nos jours, semble-t-il, est une construction plutôt archaïque, et il m’est venu à l’esprit d’associer cette notion à un style musical archaïque, mais très apprécié, le baroque, résultant en un adieu lent et majestueux à la vérité comme le titre de ce premier mouvement, Elegy, le suggère. La deuxième pièce de cet ensemble a été inspirée par une image que j’ai rencontrée dans un poème de Tupac Shakur, d’une rose poussant dans du béton. L’impossibilité de cette situation m’a intriguée et, en y réfléchissant davantage, la notion de se tenir dans sa vérité, de croire en soi alors que personne d’autre ne le fait peut-être, a fini par éclairer le matériel musical de ce mouvement. Les idées musicales du dernier mouvement de cette suite, Women Are Not Roses, ont été inspirées d’un poème du même titre. Dans ce poème, la célèbre auteure Ana Castillo remet en question la manière dont les femmes ont été décrites et catégorisées de manière stéréotypée, oubliant ostensiblement la vérité sur qui nous sommes vraiment. Musicalement, je voulais refléter la notion de rétention de la définition en jouant avec la musique pour qu’elle ne reste pas au même endroit, pour ainsi dire, entraînant des changements de signatures temporelles, des mélodies peu orthodoxes et le jeu avec des touches temporaires créant des changements brusques dans les idées musicales. Ce mouvement est vraiment une sorte de cible mouvante.

Il semble qu’actuellement l’art choral soit également une cible mouvante. Nous avons tous été mis au défi d’explorer et d’étendre les paramètres de ce qu’il peut offrir. Le projet Veritas incite à l’innovation en ces temps d’incertitude. Le fait que ce projet se soit réalisé, compte tenu des restrictions dues à la Covid, témoigne de la détermination de la directrice artistique Heather Fraser et des Aeolian Singers. Mais, au-delà de la Covid, le projet Veritas souligne le rôle qu’un compositeur vivant peut jouer dans l’essor de la musique chorale.

Le fonctionnement hors-scène est apparemment devenu un incontournable dans de nombreuses autres formes artistiques, comme en témoignent les entretiens avec des acteurs et des réalisateurs de films, des auteurs et leurs livres, et des cercles d’auteurs-compositeurs. Outre les œuvres en tant que telles, ces événements donnent la parole aux créateurs. Dans le monde choral, et je me rends compte que je parle en termes généraux, la voix du compositeur a tendance à être reléguée aux notes de programme ou aux brèves remarques du chef. C’est inévitable avec les compositeurs qui ne sont plus en vie. On pourrait soutenir que l’interprétation de l’œuvre d’un compositeur est en fait sa voix. Mais comment l’expérience des interprètes et du public pourrait-elle être améliorée en donnant plus de possibilités d’entendre le compositeur lui-même ? En les invitant à travailler avec les chanteurs et le chef pour partager leur vision de la pièce, à parler au public de sa genèse et de ses principales caractéristiques de composition? Le projet Veritas peut servir de modèle de concert choral qui voit une remise en question et un renforcement de l’alliance entre les interprètes, le public et le compositeur, et peut ainsi apporter de nouvelles réponses aux préoccupations séculaires de soutenir et de développer une base d’audience. De plus, inviter la voix du compositeur modifie l’équilibre entre le processus et le produit, affirme et élève la voix du compositeur et, en même temps offre de nouveaux moyens de responsabiliser et d’élever la voix des choristes et des chefs dans leur rôle partagé d’agents de talent artistique. C’est un fait : des projets tels que Veritas peuvent montrer la voie, dans le monde choral, à travers ces temps troublés et au-delà.

 

Aeolian Singers

 

The Light of Hope Returning

Shawn Kirchner

 

En juin 2020, alors que la réalité d’une saison chorale entière perdue à cause de la pandémie se confirmait, Morna Edmundson, directrice artistique de l’Elektra Women’s Choir (Chœur féminin Elektra, Vancouver, Colombie-Britannique, Canada), a été approchée par Ofer dal Lal, directeur artistique de WomenSing (Orinda, Californie, États-Unis), sur la possibilité d’une collaboration internationale entre les deux chœurs pour une interprétation de The Light of Hope Returning de Shawn Kirchner. Edmundson déclare:

Vu que le mandat d’Elektra comprend la sensibilisation à un bon répertoire pour les chœurs de voix aiguës, et que les œuvres longues sont si rares dans le répertoire pour notre tessiture, j’ai sauté sur l’occasion de découvrir The Light of Hope Returning et de la promouvoir. En raison de l’interdiction de voyager entre le Canada et les États-Unis, nous savions dès le départ que le spectacle devrait être enregistré. Dès la conception du planning, nous avons décidé que ce projet de chorale virtuelle devrait avoir une animation et en avons appris plus de Kirchner quant au travail de l’artiste visuel syro-américain Kevork Mourad avec des musiciens classiques, notamment la LA (Los Angeles) Master Chorale et Yo-Yo Ma. Il a été fascinant de réunir nos deux formes d’art.

 

The Light of Hope Returning est une ”cérémonie” de chants folkloriques d’une durée de concert, où un certain nombre des décors de Noël les plus appréciés de Kirchner sont associés à des chants de Noël originaux sur les thèmes de Noël, du solstice d’hiver et du Nouvel An. Ces chants de Noël réunis forment un arc dramatique, qui emmène l’auditeur dans un voyage de l’espoir lointain à travers les ténèbres à la renaissance de la lumière et du véritable espoir pour l’avenir. La soliste canadienne Allison Girvan et des instrumentistes du San Francisco Opera Orchestra sont de la fête, ainsi que des textes de Susan Cooper.

Bien qu’intemporels, les aspects thématiques de ce travail semblent tout-à-fait appropriés aux conditions actuelles restreintes que nous traversons tous pendant la pandémie. Menaçant la vie de nombreuses personnes et nous séparant de la chaleur de l’autre, la Covid-19 a mis le monde dans un état ”d’hibernation”. Conçue comme un antidote au désespoir en ces temps troublés, cette collaboration multimédia internationale reflète de manière poignante l’état actuel de l’incertitude mondiale, tout en faisant confiance au cycle des saisons et à l’espoir incarné par l’éventuel retour de la lumière. Nous chanterons à nouveau ensemble!

Kevork Mourad

 

Pour l’avenir…

Trop souvent, les organisations essaient de trouver des moyens de se différencier des autres… qu’il s’agisse de chorales, de festivals ou d’organismes nationaux de services artistiques : nous nous considérons comme des concurrents plutôt que comme des collaborateurs. La pandémie a démontré que nous avons vraiment besoin les uns des autres pour nous aider et nous soutenir, pour sortir du tunnel avec un art choral prospère et survivant. La communion ne concerne pas seulement les chanteurs qui ne peuvent pas se rencontrer pour chanter ensemble : il est tout aussi important que tous les niveaux de l’art choral se connectent et collaborent.

Jamais nous n’aurions pu imaginer que le catalyseur pour libérer la créativité illustrée par ces quatre projets serait une pandémie qui bousculerait fondamentalement nos modes de vie. Nous ne retournerons jamais à ce que nous étions auparavant. Ensemble, il nous faut réinventer la manière dont la communauté chorale communiquera et comment elle collaborera. Cela ne fait aucun doute: nous sommes tous partis pour un nouveau voyage ensemble.

Je ne suivrai pas le chemin, mais j’irai là où il n’y a pas de chemin, et je laisserai une trace. (Muriel Strode, 1903).

Le défi pour nous tous est de chercher des moyens de laisser une trace, plutôt que de suivre un chemin.

 

Ki Adams, originaire de Birmingham en Alabama (États-Unis), est professeur de recherche honoraire à l’Université Memorial de Terre-Neuve (Canada) où il a enseigné pendant 25 ans dans les programmes de musique et d’éducation musicale de premier cycle et des cycles supérieurs. Actuellement membre du conseil d’administration de la Fédération Internationale pour la Musique Chorale et président de la Fondation du Chœur Mondial des Jeunes, Ki est co-directeur fondateur de The Singing Network, un collectif qui génère et produit une série d’expériences vocales et chorales allant d’ateliers, de séminaires, master-classes et dialogues au Symposium international biennal sur le chant. Courriel: kiadams@mun.ca

 

Traduit de l’anglais par Barbara Pissane, relu par Jean Payon

 

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