Croître ou ne pas croître, telle est la question…
Commençons par un fait établi : il existe toujours une meilleure façon de faire les choses. La nôtre est peut-être bien établie, mais elle ne garantit pas pour autant un résultat optimal. Et qui sait combien de solutions sont meilleures que celles que je vais énumérer ! Laissons-nous quand même l’occasion d’explorer quelques possibilités qui nous sont offertes pour rendre nos répétitions chorales plus efficaces…
1. Protagonistes et acteurs de soutien
Lorsqu’un chef décide d’intensifier les répétitions- peut-être en raison d’un engagement important – il choisit de séparer le chœur en deux parties, et souvent par commodité, il finit par réunir l’ensemble du chœur. Dans ce cas de figure, en règle générale de nombreux chefs choisissent de réunir les hommes d’un côté, puis les femmes de l’autre. Ce faisant, ils rencontrent toutefois certains risques que nous souhaitons analyser avec soin. Tout d’abord lors de l’exécution des vocalises d’échauffement, et en particulier de celles consacrées à l’étude du vocalisme, ils seront obligés de laisser au repos un des deux pupitres : les altos lorsque la vocalisation atteint des hauteurs trop exigeantes pour elles, et les sopranos quand on redescend. Outre la perte de temps liée à l’arrêt de l’un des deux pupitres, cette façon de procéder risque de ne pas être très intéressante d’un point de vue pédagogique, mais aussi psychologique. Ce pourrait être avant tout les altos et les basses qui souffriraient de devoir abandonner la région la plus recherchée, celle des sons aigus. Autrement dit, certainement sans le vouloir, le chef court le risque d’insinuer le sentiment inexprimé selon lequel des protagonistes et des acteurs de soutien existent, ce qui ne profite certainement pas à la synergie spirituelle qui prévaut à la synergie vocale.
Mais ce n’est pas le seul piège de faire fonctionner séparément toutes les voix féminines et masculines, piège qui est facilement surmonté en utilisant des exercices à deux voix à des octaves différentes. Ce qui est plus grave, c’est que la perpétuation de cette habitude puisse générer une contamination telle que les timbres des deux pupitres tendent à se ressembler. Les deux voix accepteront inconsciemment de se rencontrer en un point central de la caractérisation du timbre, qui ne reflète ni la configuration de l’un ni celle de l’autre. En pratique, les hommes deviendront tous des barytons et les femmes des mezzo-sopranos, sans que les voix aiguës ne soient poussées à chercher un son plus élevé et les voix graves la profondeur qui les caractérise.
2. Agrégations utiles
Si on scinde le chœur en deux parties pour des répétitions séparées, il est donc beaucoup plus approprié de grouper les sopranos et les ténors, puis les altos et les basses. Les dangers du point précédent seront évités : il n’y aura aucune contamination de timbre ou de couleur, car les pupitres ainsi regroupés auront la même tessiture, même si c’est à une octave de distance. Nous ajoutons également un autre facteur important, qui peut permettre de gagner beaucoup de temps dans les répétitions : c’est le fait que, normalement, du moins dans la plupart des polyphonies, les sopranos et les ténors chantent successivement le même thème, comme les altos et les basses. Dans le processus d’étude et de construction d’une pièce, faire chanter le thème simultanément aux deux pupitres – jusqu’au moment où les deux lignes se différencieront – revient à optimiser le temps disponible. De plus, dans ce cas, les chanteurs ne peuvent manquer de remarquer l’attention portée par le chef à la didactique et aux aspects pédagogiques, ce qui ne fera que renforcer leur confiance en lui. Nous ajoutons une dernière chose à prendre en compte. En pratiquant la polyphonie ancienne, il est très utile d’associer ténors et altos. De cette manière, en réunissant les deux pupitres dans la partie de l’altus, on pourrait avoir la surprise de découvrir parmi les hommes des contre-ténors potentiels, dont l’utilisation contribuerait de façon substantielle à l’approche de la pratique d’interprétation de l’époque. Si vous recherchez spécifiquement des contre-ténors, il sera bon de prospecter aussi du côté des barytons : parmi eux se trouvent souvent de bons éléments pouvant tenir ce rôle.
3. Estime de soi et conscience
Après chaque répétition, le chef pourrait s’arrêter avec un octuor toujours différent (deux chanteurs par pupitre), pour une prolongation de la répétition. Cela évite les exercices vocaux (les voix sont déjà échauffées et prêtes à s’aventurer dans n’importe quelle partie de leur tessiture), et on se concentre sur l’amélioration des morceaux connus, ou ceux en phase de construction avancée. Tout d’abord, cela augmentera l’estime de soi des chanteurs et la prise de conscience de l’intérêt du chef pour eux. Deuxièmement, cela créera d’excellentes possibilités de perfectionner méticuleusement certaines phrases, de traiter certains sons, d’obtenir un phrasé fluide difficile à obtenir avec un chœur au complet. En ce qui concerne la musique ancienne, cela nous permettra de construire un son plus véridique et plus proche de la pratique de l’époque, qui utilisait, on le sait, de petites compositions chorales. Bien entendu, les meilleurs résultats sont obtenus en examinant la même pièce avec tous les groupes de huit. L’exécution future de la pièce avec le chœur au complet sera marquée par la réalisation d’une maturation évidente de la vocalité, du phrasé, de la flexibilité et de la concertation en général.
Avec un petit chœur, des quatuors peuvent être utilisés à la place des octuors, ce qui est certainement la meilleure solution. Le choix de la formation dans l’octuor est conçu pour assurer la présence des quatre pupitres. En fait l’idée est d’isoler un chanteur par voix, même dans chorale plus grande. Dans ce cas, toutefois, l’absence d’un seul chanteur priverait le quatuor de tout un pupitre, rendant toute l’interprétation incomplète. En optant pour cette solution, chaque chanteur pourrait participer à cette initiative seulement lors d’une répétition sur huit (en supposant un chœur de trente personnes, trente-deux précisément). Avec une répétition par semaine, cela devient une réunion tous les deux mois, ce qui pourrait être insuffisant. Dans ce cas, si le chef en a la possibilité, il pourra rencontrer un quatuor avant la répétition et rester avec un autre à la fin de la répétition. En consacrant une demi-heure à chaque quatuor, le processus ne lui prendrait qu’une heure de plus, alors que pour les chanteurs, la situation resterait inchangée (en soustrayant une demi-heure à la répétition d’ensemble). Nous devons également considérer qu’une répétition structurée de cette manière offre des gratifications artistiques significatives au chef, ainsi qu’aux chanteurs, en raison de la formation en solo et du son particulier qui en découle. Si les chanteurs ne sont pas habitués à chanter seuls, les premières répétitions peuvent être difficiles et remplies d’interruptions. Plus tard, les choristes attendront ce rendez-vous avec enthousiasme, tant pour l’efficacité qu’ils pourront vérifier que pour les satisfactions et les avantages qu’ils obtiendront sur le plan artistique.
4. Couleurs
Le chœur peut être divisé en deux demi-chœurs complets et séparés. Cette étape peut également être considérée comme un premier allègement du chœur, visant à réaliser la configuration du point précédent. Si le chœur n’est pas suffisamment développé en termes de nombre de choristes et de qualité artistiques pour qu’il ne puisse pas supporter la réduction de moitié des chanteurs, ou si les chanteurs voulaient exercer une résistance encore compréhensible à cette demande, le groupe pourrait toujours être divisé, en prenant soin toutefois de disposer les chanteurs face à face pour ne pas l’affaiblir. Ainsi, la situation peut déjà être exploitée au maximum, par exemple en effectuant une autre représentation. Il s’agira d’inviter les deux chorales à chanter la pièce en alternant l’exécution des différentes phrases qui la composent, en commençant peut-être par une pièce homorythmique afin de ne pas créer trop de difficultés. Cela obligera les chanteurs à suivre différents aspects du chant en même temps : du départ dans le flux rythmique de l’autre partie du chœur au besoin de suivre avec l’esprit l’intonation de leur partie, la nécessité d’une plus grande dépendance à la gestuelle du chef. (Il déterminera l’alternance des chœurs sans se limiter à demander des interventions parfaitement symétriques et / ou consécutives) à la recherche d’une uniformité du timbre avec les chanteurs de l’autre chœur. En ce sens, le chef peut exploiter la situation à sa guise. En fait, il peut choisir les deux demi-chœurs, distinguant clairement la couleur des chanteurs (d’une part ceux avec un son clair et subtil, de l’autre ceux de couleur plus ronde et plus sombre), puis demander le maintien de la couleur de chaque équipe, ou même rechercher la plus grande caractérisation possible de leurs propriétés tonales. Cela servira à avoir un chœur en possession de deux couleurs : dans l’interprétation d’une polyphonie ancienne, le chef peut demander au groupe d’estimer de façon légère une présence légèrement plus visible que celle des autres, alors que dans la musique à partir de la période romantique, la même chose pour les chanteurs avec la voix plus sombre. Sinon, il sera capable de créer les deux demi-chœurs en mélangeant de manière appropriée les chanteurs avec un timbre clair et ceux avec une couleur plus sombre. De cette manière, une couleur globale uniforme peut facilement être obtenue.
Il sera également capable de scinder le chœur, en veillant à ce que tous les chanteurs soient considérés comme étant moins en sécurité ensemble, ou ceux qu’il considère artistiquement plus faibles ou moins doués. En d’autres termes, ceux qui ont besoin de soi-disant « guides ». De manière générale, se retrouver privés de la sécurité des supports, ainsi que les encouragements du chef, les oblige à accroître leur sens des responsabilités pour se libérer de la condition de sujétion et assumer une plus grande sécurité par leurs propres moyens. Après un peu d’entraînement, rien ne sera considéré comme excessif, et si le chef veut s’amuser, il mettra fin à l’alternance entre les deux demi-chœurs. Une battue pour chaque demi-chœur adverse donnera même une spatialité stéréo très agréable au son, ainsi que les avantages évoqués plus haut. Le chef peut se faire plaisir en inventant tous les gadgets et les improvisations qu’il souhaite. Alterner les chœurs à chaque mesure requiert de la virtuosité. Ce n’est pas un simple exercice de dextérité acrobatique, mais la démonstration de la maîtrise d’une habileté et d’une prise de conscience remarquables des pupitres, qui peuvent être mises à profit au service de la représentation.
Après cela, le chœur sera capable de passer à l’interprétation d’une pièce de polyphonie non homorythmique. Maintenant, une alternance fortuite obligera certainement de nombreux pupitres à entrer au milieu d’une phrase musicale, engageant les chanteurs beaucoup plus qu’avant à suivre en silence leur propre ligne sur les lèvres des autres. Mieux, même : mentalement. Difficile, pas impossible, mais très efficace. C’est dans la tête que le monde des sons connaît un état de grâce particulière, loin des contaminations et des difficultés physiologiques et anatomiques du chant.
5. Le chœur silencieux
C’est précisément de cette dernière considération que découle une variante très intéressante. Elle consiste à alterner les interventions du chœur avec le passage silencieux de la pièce. Ce procédé peut être mis en œuvre efficacement avec n’importe quelle section du chœur, avec quatuors, octuors et demi-chœurs ; il est aussi parfaitement valable avec l’ensemble du chœur. Vous commencez le chant normalement, puis vous continuez à battre la mesure tout en faisant un signe demandant le silence : le geste du chef et les battues continuent régulièrement, dans le silence total. Après quelques mesures muettes, un signe sera donné pour faire réapparaître le son du chœur, qui entre-temps a dû suivre le déroulement du morceau en observant attentivement les gestes du chef. La très grande validité de cet exercice réside dans le fait que chaque chanteur doit élaborer dans sa tête – et là seulement – la phrase musicale manquante. Le chef s’occupera de développer cet exercice en commençant par une courte partie muette, puis en l’allongeant progressivement. Cela peut être fait en utilisant des morceaux polyphoniques ou des morceaux homorythmiques. Si la partie silencieuse a été longue, l’apparition du prochain accord parfaitement assorti sera un exploit passionnant pour tout le monde, même… pour le chef ! Ne soyons pas découragés par les premiers échecs inévitables et insistons, car ce processus réussit à faire en sorte que chaque chanteur puisse intérioriser au plus profond de lui des mélodies qu’il doit chanter. De cette façon, il les possédera jusqu’au bout et sera alors plus souple et plus flexible pour répondre à toute sollicitation que le chef voudra lui poser, à la fois vocale et mélodique.
De plus, dans la phase silencieuse de la représentation, les chanteurs ne disposeront que de deux supports en dehors de leur mémoire : les gestes du chef et la partition. Le résultat sera la nécessité de lier ces deux facteurs plus étroitement que dans des conditions normales, lorsque chacun d’entre eux se laisse porter par ses collègues et se permet même le luxe de laisser filer paresseusement. Ici chacun doit créer lui-même les sons et les rythmes, il doit imaginer et suivre le déploiement de la bonne intonation, il doit matérialiser les signes graphiques, il doit regarder les notes écrites et entendre leurs sons, et surtout les associer à la gestuelle du chef. …
6. Disposition
Quel que soit le choix effectué quant au placement de la chorale, il est vivement recommandé de modifier fréquemment la position de chaque chanteur afin qu’il ne dispose pas toujours à ses côtés des deux mêmes personnes. On sait que le positionnement statique crée la sujétion chez les chanteurs les plus faibles, et renforce la domination des plus entreprenants. Cela entraînera également des aspects négatifs qui doivent être soigneusement évités :
6.1 De par sa nature, la chorale est capable de recouvrir d’une enveloppe protectrice et rassurante toute personne assise en demi-cercle. Les chanteurs faibles se sentiront encore plus en sécurité s’ils côtoient les plus expérimentés, et ne seront pas incités à mûrir et à se libérer de la dépendance des soi-disant “guides” : des figures utiles dans un sens comme nuisibles dans l’autre. L’absence temporaire d’une de ces dernières mettra l’ensemble du chœur dans des conditions d’insécurité, car les chanteurs moins expérimentés adopteront une attitude de soumission et de démission, qui ne convient certainement pas à une situation de concert.
6.2 La dépendance se cache toujours, même envers les fautes des autres, qui finissent par être assimilées. À force d’entendre l’émission du souffle à chaque demi-soupir par son voisin, un vibrato mal contrôlé ou un portamento, il est presque inévitable d’être contaminé (surtout si le chef ne dit rien …). La proximité avec un chanteur commettant de telles fautes suscite au moins, chez un nouveau venu, une certaine suspicion.
6.3 L’immobilité fossilise le timbre. Il est certainement plus difficile de changer l’émission défectueuse d’un chanteur qui se cramponne à son timbre, si à côté de lui il en a un autre qui l’imite et entretient leur résistance commune au changement. Le changement de position constitue certainement un enrichissement, pour le meilleur ou pour le pire. Si le nouveau venu chante bien, il pourra améliorer la voix de l’autre par imitation. S’il chante mal, ce sera un stimulant pour renforcer sa conscience que lui chante mieux. En fin de compte, les chances d’obtenir une bonne émission vocale sont hélas plus minces que le risque d’en contracter une mauvaise.
6.4 Au sein de la chorale se cache toujours le risque que naissent divers clans. La proximité constante avec les mêmes personnes crée une complicité qui pourrait conduire à une sectarisation délétère pour l’unité spirituelle de la chorale. Ce changement peut au contraire garantir un échange très utile pour la cohésion générale des chanteurs. Chaque chef sait en effet combien de temps peuvent durer ces dix mètres qui séparent les deux ailes du demi-cercle, et combien de distance psychologique et humaine peut exister dans ce court espace …
6.5 La routine : une maladie à éviter comme le diable, en particulier dans un environnement artistique qui doit être créatif et réactif à tout moment. Mélanger les chanteurs est assez surprenant pour rompre cette habitude et raviver un enthousiasme qui peut être en sommeil.
7. Directions inhabituelles
Nous pouvons conseiller la possibilité d’assister occasionnellement les chanteurs de manière “désordonnée”, sans respecter la cohésion des sections, ni les traditions, les amitiés, les liens de parenté, les sympathies, les alliances, etc. (voir points précédents) Si l’espace disponible est suffisant pour permettre le positionnement sur une seule ligne, vous pouvez empêcher les chanteurs de recevoir l’aide d’un collègue de la section située au dernier rang. Sinon, la disposition sur plusieurs lignes permettra l’avantage d’écouter les autres voix venant de directions « inhabituelles », devenant ainsi une source d’intérêt acoustique et musical pour chaque chanteur. Une soprano pourra entendre la mélodie d’une basse venant de derrière, et l’origine inhabituelle de ce son va certainement activer l’intérêt acoustique et harmonique.
7.1 D’autres avantages seront obtenus en chantant la même pièce deux fois de suite, avec entre les deux des changements de places aléatoires. Ainsi, les chanteurs pourront repérer la présence d’une voix ou d’importants passages harmoniques mélodiques, que la position habituelle avait jusque-là cachés ou du moins masqués. L’embrouillage sera effectué de manière appropriée par le chef, afin d’en exploiter tout le potentiel. Par exemple, il pourra isoler un individu de sa section et l’entourer de différents chanteurs, le responsabiliser et augmenter sa contribution au chant. Cet expédient peut à la fois renforcer davantage la sécurité d’un chanteur aguerri, et encourager l’épanouissement d’un chanteur moins expérimenté. Inversement, le chef pourra réunir certains éléments d’une même section en opposition à une section de l’autre, afin d’obliger ces dernières à renforcer leur présence vocale.
7.2 On pourrait aussi s’assurer de garder un quatuor complet uni dans la “confusion” des autres chanteurs. Il sera alors possible d’alterner avec le son de tout le chœur, ou de faire taire temporairement le chœur ou le quatuor et de les laisser entrer à des intervalles éventuellement irréguliers, en préservant chaque fois l’intonation et le rythme. Tout cela aidera à “découvrir” davantage le répertoire de chaque chanteur, et à identifier les points de vue et les richesses qui autrement pourraient rester cachés dans le son de la masse chorale.
8. Dissonances
Le cas suivant est un exercice apparemment très difficile, mais certainement une vérification pédagogique portant sur de nombreux aspects. Vous chantez une chanson connue – de préférence homorythmique pour les premières fois – en demandant aux deux voix masculines ou féminines de commencer une mesure plus tard. Le résultat sera plein de dissonances improbables, mais les chanteurs devront garder intacte leur ligne mélodique malgré les perturbations constantes des deux autres voix, même là où, dans des conditions normales, une consonance silencieuse régnait sans être dérangée. À l’arrivée de la première cadence, ou en tout cas après un nombre suffisant de mesures, les sections commencées en avance attendront les autres qui sont en retard d’une mesure, et si elles ont été bonnes, les chanteurs pourront s’asseoir sur le premier accord de consonance. La satisfaction ne dure pas longtemps car cela redémarre immédiatement, juste après le temps de reconnaître l’exactitude de la consonance. C’est un exercice exigeant, mais même dans ce cas, une application ni fugace ni superficielle ne peut garantir une réelle immunité contre les dangers de l’intonation, en particulier des anneaux harmoniques construits consciemment sur de vraies dissonances. Les chanteurs seront également en mesure d’intégrer profondément leur ligne mélodique, tant du point de vue rythmique que mélodique, et rendront les entrées plus indépendantes et plus conscientes qu’auparavant.
8.1 Nous pouvons proposer au chœur une première approche des difficultés de cet exercice en le divisant en deux parties (également dans ce cas – voir le point 2 – il est préférable de mettre les sopranos avec les ténors et les basses avec les altos), et en invitant les chanteurs ainsi divisés à chanter une gamme très simple d’ut majeur, ascendante et descendante. Comme dans le cas précédent cependant, ici aussi nous demanderons le décalage des entrées, en faisant démarrer chaque fois en avance l’une des deux sections. L’arrivée de la deuxième section sur la même note réapparaîtra momentanément à l’unisson, puis recommencera vers la prochaine dissonance. Ici aussi, les variantes peuvent être nombreuses. Cependant, il est recommandé que ce ne soit pas toujours la même partie du chœur qui démarre la première, mais que la dissonance soit créée par les deux, en alternance à la fin de l’exercice ou le long de l’échelle descendante. En fait, une dissonance entendue pendant que la note inférieure est jouée est complètement différente si vous l’écoutez en chantant la note supérieure.
8.2 En ce qui concerne la fusion des sons et l’exactitude de la dissonance, le meilleur résultat sera obtenu en chantant la même voix, même si le nom des notes aide les chanteurs à ne pas perdre le contact avec la structure de la portée, ou du moins avec la position des demi-tons. En fait, des exercices comme celui-ci sapent profondément la hiérarchie tonale des intervalles mélodiques de la gamme. Pour cette raison, la prononciation du nom de la note peut aider à relier le son relatif à ce qui reste de la structure de la gamme majeure, après la destruction de l’organisation des divers degrés de la gamme due à la dissonance continue.
9. Compétences d’écoute
Séparez une partie du reste de la chorale en l’éloignant progressivement de quelques mètres. Dans le cas où il y a une section plus faible que les autres, sa séparation du chœur permettra aux chanteurs qui la composent de mieux se situer, à la fois vocalement et psychologiquement. Dans le même temps, leurs compétences d’écoute augmenteront. Cette pratique peut être enrichie en demandant à la section espacée ce que nous avons défini au point 5 précédent comme une analyse silencieuse. Il s’agit d’interrompre sa contribution pendant un long moment, tandis que les autres continuent à chanter, en demandant aux chanteurs qui en font partie de bien suivre leur phrase, puis de recommencer à chanter à la demande du chef. De cette manière, le reste de la chorale aura l’occasion d’étendre les limites de son attention et sa capacité de concentration, en essayant de recréer dans son esprit les sons qui manquent actuellement, dans un contexte harmonique à sa mélodie, mais avec des contours inhabituels. L’harmonie restante en trois parties suscitera en fait un nouvel intérêt, et établira des relations non couvertes entre les éléments restants. Une quinte juste, par exemple, montre toute sa stabilité lorsqu’elle se manifeste à vide, sans tierce. De la même manière, une septième mineure appartenant à un accord de 7ème de dominante – mais surtout dans son 2ème renversement – montre toute sa force dynamique si elle est isolée du contexte harmonique de son propre accord, etc.
10. Partager les évaluations
Même si cela ne rentre pas exactement dans le contexte de la gestion des répétitions, la suggestion suivante peut s’avérer un outil utile pour améliorer les représentations chorales ; c’est pourquoi nous la formulons. Si vous avez un enregistrement de la chorale en concert, écouterez-le après un laps de temps important, de préférence quelques années. On notera que les pièces du répertoire stable, celles qui traversent l’histoire de la chorale au fil des ans, subissent au fil du temps une lente mais inexorable transformation. Elles changent peu à peu d’expression, mais d’une manière si lente et mesurée qu’elles se ressemblent toujours. Cela signifie qu’après plusieurs années, une pièce peut aussi être profondément transformée sans que quiconque – peut-être même le chef – intervienne consciemment pour la modifier. Pour cette raison, écouter attentivement le fruit de ce processus peut être très utile.
Les possibilités sont évidemment au nombre de trois : soit le chœur s’est dégradé, soit il est resté identique, soit il s’est amélioré. Chacune a un effet positif sur le chœur, même la première. Si c’est pire, cela signifie qu’il n’est pas impossible de revenir à ces niveaux artistiques, en profitant également de la saine fierté d’avoir été si bons. Pour revenir à l’ancienne splendeur, il suffira de restaurer les articulations du son, l’élégance du phrasé et la variété des couleurs qui se sont estompées progressivement à cause de l’habitude, de la routine ou de la fatigue. Si la baisse est due à la perte de nombreux chanteurs expérimentés et / ou à l’arrivée de nombreux nouveaux membres, il est nécessaire de remédier sans retard à la situation, pour éviter que le niveau ne baisse trop et qu’il devienne impossible à redresser pleinement.
Si le niveau est resté le même, nous pouvons tous nous réjouir que le temps écoulé n’ait pas affecté la qualité de la chorale. Cela signifie que la voie suivie par le chef reste valable, et que les chanteurs le suivent avec confiance.
Il n’est pas nécessaire de dépenser trop de mots si le niveau a augmenté. D’autre part, il est nécessaire d’ajouter que les processus évolutifs du chœur se déroulent assez lentement. La progressivité des améliorations se mesure en réalité selon une ligne légèrement inclinée vers le haut. L’évaluation quantitative du niveau du chœur, mesurée sur la différence de niveau de cette légère inclinaison, donne donc des résultats minimaux si elle est réalisée à court terme. En d’autres termes, les chanteurs ne sont pas conscients de leurs améliorations d’une répétition à l’autre. Par conséquent, écouter un enregistrement un peu ancien leur donne l’occasion de reconnaître la validité du travail du chef ainsi que, bien sûr, du leur. La crédibilité professionnelle du chef est accrue et la motivation qui les a motivés à devenir chanteurs en sort renforcée. Si nous nous référons aux chorales de ville, où il y a bon nombre d’ensembles et où le passage de l’une à l’autre crée une certaine instabilité au sein de chaque chorale, cela peut constituer un antidote valable aux migrations non désirées.
11. Essor du soliste
Il serait très approprié d’adopter un comportement similaire pour accompagner et souligner la maturation vocale de chaque chanteur. Il suit les enseignements et les conseils de son chef en matière d’émission, se soumettant aux exercices qui lui sont proposés, qui parfois ne permettent pas de comprendre pleinement l’utilité ou le but recherché. C’est pourquoi parfois vous pouvez voir dans ses yeux une certaine méfiance, sinon du scepticisme, auquel le chef ne peut opposer que la validité des résultats. Ces derniers parcourent toutefois lentement la ligne inclinée dont nous parlions un peu plus haut, ce qui ne permet pas au chanteur de voir l’augmentation constante. C’est pour cette raison qu’il est très efficace d’écouter et de commenter avec le chanteur les enregistrements espacés, même de simples vocalises.
12. Nouveaux chanteurs
Comment se comporter avec eux ?
Il n’est pas approprié de les jeter dans la mêlée à l’intérieur du demi-cercle magique. Il serait préférable de les faire asseoir à côté du chef le temps de quelques répétitions, en attendant de les faire entrer dans la chorale. Ceci pour certaines raisons :
- Ils doivent considérer l’entrée dans la chorale comme un objectif à atteindre, et surtout à mériter à la fin d’un parcours de formation. Même si c’est un ténor, et que vous en avez besoin … résistez !
- Positionner les nouveaux chanteurs au beau milieu de la chorale, c’est leur en faire entendre la pire partie. Ils ne pourront pas reconnaître ce qu’ils ont entendu comme le son qui les a fascinés lors du concert auquel ils ont assisté, et pour lequel ils ont décidé de rejoindre la chorale. Et leur conviction pourrait vaciller, ainsi que leur enthousiasme ;
- C’est une telle confusion des sons qui parvient à leur oreille non préparée dans le chœur, qu’en général, à la fin de la première répétition, ils s’adressent au chef en leur disant qu’ils n’y arriveront jamais ;
- La tentation de les placer aux côtés des meilleurs chanteurs afin qu’ils puissent apprendre plus tôt et pour les rendre meilleurs, s’avère contre-productive : une attitude addictive est créée, qui ne peut guère être changée par la suite ;
- Il ne faut pas sous-estimer l’intérêt de prodiguer aux chanteurs « fidèles » des compliments adéquats saluant leur expertise supérieure à celle du débutant ;
- Dans le même sens, les nouveaux chanteurs se sentiront l’objet de l’attention du chef, qui devra nécessairement leur réserver une demi-heure avant ou après la répétition.
13. A l’écart
Lors de la répétition qui a généralement lieu avant un concert pour connaître l’acoustique du lieu, retirer un ou deux chanteurs de la chorale un à un, pour qu’ils puissent écouter un instrument qu’ils ne connaissent que de l’extérieur, est très bénéfique sur le plan psychologique. Ils seront surpris de goûter à distance un son et une homogénéité du chœur qu’ils n’auraient jamais pu imaginer. Il est bien connu que pour écouter un chœur de la meilleure façon possible, il faut se mettre à une certaine distance de celui-ci (compris, chers techniciens du son ? Vous voulez toujours approcher le micro trop près du chœur pour avoir plus de présence, mais cela en gâche beaucoup l’homogénéité !). Malheureusement pour les chanteurs, nous devons reconnaître que le pire endroit est leur emplacement. Si la salle de répétition est suffisamment spacieuse, ce procédé peut également être utilisé pendant les répétitions ordinaires, en plaçant deux chanteurs à la fois bien au-delà des épaules du chef. L’inverse de la sensation désagréable se fait sentir quand on entend pour la première fois à distance le beau son d’un orgue mécanique, puis en s’approchant jusqu’à entendre le cliquetis de ses transmissions, les « plops » de ses soupapes qui se referment, le souffle de l’air dans ses porte-vents, le mécanisme des tirants de registres… La magie du son s’estompe de façon irréparable, en contact étroit avec le réalisme de la source qui le génère, et la vague éthérée de sons révèle toute la rigidité insoupçonnée de la vraie nature de ses mécanismes. C’est valable pour l’orgue comme pour le violon et le froissement gênant de son archet frotté sur les cordes (si près de l’oreille du violoniste), c’est valable pour l’orifice à la bouche de la flûte traversière comme pour le chœur. Et dire que les chanteurs ont toujours vécu emprisonnés dans les entrailles de ce corps choral, immergés dans un système pneumo-mécanique empli d’humeurs et de bruits humains ! Pour cette raison, la possibilité d’écouter les chœurs de l’extérieur leur procurera un grand enthousiasme.
Un alphabet de conseils utiles pour les chefs, dans le désordre
A. Marquez dans chaque système de la partition un point commode à partir duquel reprendre la répétition après une éventuelle erreur : la chorale s’impatiente quand vous perdez du temps à chercher où reprendre.
B. Ne parlez pas trop souvent, et ne faites pas de longues prédications explicatives : rappelez-vous que si les chanteurs sont venus, c’est pour chanter…
C. Demandez le silence avant toute attaque, en particulier après les interruptions dues à une erreur : les chanteurs parlent généralement (en vain, même de bonne foi) pour tenter de mettre en évidence ou de résoudre l’erreur.
D. Après une interruption et la correction d’une erreur, dites clairement où vous voulez reprendre (page-mesure-rythme-mouvement … et non l’inverse !), Et donnez aux chanteurs le temps de trouver le point indiqué (mais pas trop, car sinon ils commencent à se parler …).
E. La simple répétition tous ensemble d’un passage ne corrige pas les défauts constatés, ni même la bonne représentation par le chef : il est nécessaire de faire travailler séparément le fragment par la voix qui s’est trompée.
F. Ne répétez pas un passage sans explication.
G. Faites attention aux notes longues et répétées : elles baissent facilement.
H. Attendez que le morceau finisse par baisser d’un demi-ton avant de corriger : les chanteurs n’entendent pas les quarts de tons et ne peuvent pas les corriger.
I. Si le chœur monte d’un demi-ton, cela signifie que cette hauteur lui convient mieux et qu’il est préférable de l’adopter.
J. Vérifiez le ton à la fin d’un morceau : s’il a baissé, vous devez travailler encore …
K. Pour donner le la, n’utilisez pas le diapason à bouche: si vous soufflez fort ce sera trop haut, si vous soufflez faiblement ce sera trop bas …
L. Si vous voulez vraiment utiliser le piano pour donner le ton, donnez simplement la tonique et construisez les autres notes vocalement : le diapason tempéré éteint le son de n’importe quel chœur !
M. Si la répétition est longue, de temps en temps faites lever le chœur pour chanter un passage ou un morceau entier.
N. Étudiez un morceau lent en le faisant chanter plus vite : les chanteurs mémoriseront mieux les mélodies.
O. Méfiez-vous des sauts d’octave : ils sont généralement chantés faux, car ils n’ont pas d’objectif à atteindre comme ceux de quarte ou de quinte. Attention aux mesures composées : tous les chœurs les ralentissent facilement…
P. Si vous voulez révéler l’entrelacement rythmique d’une pièce, remplacez les paroles par le phonème Linn à chaque note : vous aurez de bonnes surprises …
Q. Si vous voyez les chanteurs avachis sur le dossier des chaises, vous devez inventer quelque chose pour raviver leur intérêt. Peut-être avez-vous trop parlé …
R. Ne chantez pas constamment mezzopiano. Et si vous voulez un piano, ne mettez pas l’index devant la bouche en gardant l’autre bras tendu : faites un petit geste !
S. N’indiquez pas toujours quelque chose en gardant l’index tendu comme si vous l’aviez plongé dans la confiture…
T. Essayez de battre le tempo avec le métronome, et de le réduire au silence pendant quelques battues : si vous n’êtes pas avec lui à son retour la prochaine fois, réfléchissez-y bien avant de dire au chœur “Soyez en rythme, punaise … !”…
U. Préférez-vous diriger en deux temps plutôt que quatre ? Même l’Ave Verum de Mozart ? C’est malin !
V. Considérez votre main gauche comme une grande chance, pas comme un gâchis supplémentaire à gérer !
W. Si vous souhaitez améliorer en un clin d’œil le son du chœur, apprenez-lui la respiration diaphragmatique !
X. Ne manquez jamais d’enthousiasme. C’est con-ta-gieux… !
Y. Le vieil adage est toujours valable : le chef doit avoir la partition dans la tête, et non la tête dans la partition. Idem pour les chanteurs.
En conclusion, nous les chefs, nous devrions procéder à un examen de conscience. À la fin d’une répétition difficile et exigeante, après avoir exigé tant des chanteurs, parfois même plus que ce qu’ils peuvent donner, nous sommes pleinement satisfaits de la joie d’avoir obtenu un bon résultat final, peut-être dans un passage de trois secondes. ! Mais les chanteurs, peuvent-ils dire qu’ils ont appré- cié ce son comme nous ou devraient-ils se contenter de notre satisfaction, aveuglément confiants d’avoir obtenu un excellent résultat que les plus distraits n’ont peut-être même pas entendu ? Il leur suffira de notre “Merci”, que parfois on ne dit même pas … ?! Peut-être oublions-nous que nos motivations sont strictement musicales, alors que celles qui poussent un chanteur à laisser sa famille pour venir à la répétition sont surtout sociologiques et qu’ils sont donc plus vulnérables, probablement plus faibles en termes de résistance et d’obstination. Inutile de souligner en quoi les aspects psychosociaux constituent un élément essentiel de la musique avec une chorale. Ne serait-ce que parce que le chef ne joue pas d’objets en bois ou en métal, mais émeut les cœurs, les sensibilités et les âmes de tant de gens …
Walter Marzilli a étudié en Italie et en Allemagne. Il est membre de diverses commissions artistiques et scientifiques en Italie et dans d’autres pays. Musicologue et chef de chœur, il a été invité aux États-Unis, au Brésil, au Liban, en Angleterre, en Espagne, en France, en Allemagne, en Suisse, en Hollande, en Pologne, en Hongrie. Il a publié de nombreuses études dans des comptes-rendus de conférences et dans des revues spécialisées. Il dirige le chœur polyphonique de l’Institut pontifical de musique sacrée de Rome, l’ensemble I Cantori de l’Institut pontifical de musique sacrée, les Madrigalistes de Magliano en Toscane et le chœur “Giacomo Puccini” de Grosseto. Il a dirigé le Chœur de Rome à huit voix, le quatuor Amaryllis, le Chœur Régional de Calabre et l’ensemble Octoclaves de la chapelle Sixtine, avec lequel il a enregistré un CD. Il est consultant artistique du label Deutsche Grammophon pour les enregistrements du Chœur de la Chapelle Sixtine, institution avec laquelle il collabore régulièrement. Il est professeur à l’Université Notre-Dame de South Bend, dans l’État de l’Indiana, aux États-Unis, et professeur de direction chorale au conservatoire G. Cantelli de Novara. Il enseigne la psychoacoustique au Centre Méditerranéen d’Arts-Thérapies, Master en musicothérapie, et a enseigné la vocalité chorale au Conservatoire F. Cilea de Reggio Calabria. Il est professeur de chant au Collège international Sedes Sapientiae de Rome, où il dirige également le Département de musique. Il a également enseigné au Séminaire pontifical français, au Collège pontifical de Saint-Paul et à l’Académie italienne de l’Opéra. Il a dirigé le Centre italien de pédagogie musicale de la méthode Ward. Depuis 1987, il enseigne la vocalité et la direction de chœur pour l’association italienne Sainte Cécile. Depuis 1991, il dirige la chaire de direction chorale à l’Institut pontifical de musique sacrée de Rome. E-mail : marzilliwalter@gmail.com
Traduit de l’italien par Barbara PISSANE (France).
Relu de l’anglais par Jean PAYON (Belgique)